Que les fous de Dieu (ou de Dieux) soient rejoints par les fous tout court n’a rien de rassurant.
Les derniers évènements me procurent un sentiment de déjà vu qui remonte à mes vingt ans lorsque j’ai donné vingt-huit mois de ma vie à l’armée française.
Je me souviens de la magnifique ville d’Oran en 1961, c’était une sorte de Nice en Algérie, en moins touristique, un temps où «Bling bling» ne signifiait que le son des cloches des églises de la métropole. La vie y était douce (oui douce, même pour beaucoup d’Algériens « de souche » dont j’ai vu le désarroi au départ des pieds noirs) jusqu’à ce que le général De Gaulle profère le fameux « Je vous ai compris ! », déclaration qui allait peut-être dans le sens de l’histoire mais qui fut quand même avant tout ressentie comme une trahison par une très grande partie des deux communautés qui peuplaient cette terre.
Ce qui va se passer en France dans les mois qui viennent, j’ai la triste impression de l’avoir déjà vécu. Quand on monte les communautés les unes contre les autres on joue à un jeu qui nous échappe très vite. J’ai vu de mes yeux en 1961 comment des agents de l’Etat envoyés de Paris s’y prenaient pour faire démarrer une manifestation (et qu’on ne me serine pas avec une éventuelle théorie du complot, je ne parle que de ce à quoi j’ai assisté, c’était toujours les mêmes, on finissait par les connaître). Ils prenaient quatre ou cinq mômes de douze ans et les plaçaient au début des avenues stratégiques de la ville. L’ordre était rudimentaire. « Tu vas dans toutes les boutiques et tu cries : « Si vous ne fermez pas on vous plastique ! ». Une demi-heure plus tard les commerçants se retrouvaient dans la rue. Que faire d’autre qu’une manifestation ? Rien n’était plus simple.
Après venait le temps des ratonnades où des civils devenaient fous furieux jusqu’à tuer des arabes qu’ils connaissaient très bien. J’ai vu des dames pourtant gentilles, des mercières, des fleuristes, assassiner des ouvriers algériens à coups de pavés et de barres de fer, j’ai vu des pieds-noirs brulés vifs dans leurs voitures par les cinglés du FLN, j’ai vu les maisons soufflées par les bombes toutes les nuits, les cadavres dans les rues le matin. Bref, je préfère ne pas insister.
Je sais on me sortira le fameux : « Le contexte était différent ». Mais je n’ai pas la prétention d’analyser la situation politique de l’époque en rapport avec celle d’aujourd’hui, je ne parle que de l’horreur de la guerre lorsqu’elle se retrouve entre les mains des civils. On en arriverait presque à regretter les militaires.
Et je pense que tous ces gens envahis par la haine et le désespoir étaient moins coupables que ceux qui ont soufflé sur les braises. Il y a chez nous aujourd’hui des gens qui jouent à un jeu très dangereux.
Je me souviens du déchirement des milliers de pieds-noirs obligés de fuir sur des bateaux sans qu’on leur ait même demandé leur avis. Alors l’idée qu’un jour on risque d’obliger tous ces franco-algériens-tunisiens (que l’on a fait venir) à faire le même chemin à l’envers me rend malade par avance.
Bien sûr, j’espère que les choses n’iront pas aussi loin en France mais il suffira d’un rien pour que cela démarre. Les partis politiques, tous confondus, ne pourront pas se contenter de bêler des slogans grotesques du genre « La France forte », « Hé oh la gauche » ou « La France apaisée ».
Rattraper trente ans de laisser-aller ne se résoudra pas d’un claquement de doigts. Comment ? Je ne sais pas. Je n’ai ni l’intelligence ni le courage que l’on est en droit d’attendre des gens qui font de la politique. J’espère seulement ne pas revoir en France l’horreur des guerres de rues à Oran en 1961.
Et qu’on ne me siphonne pas le cortex avec le « Vivre ensemble ». On dit ça et après ? On vit avec ceux qu’on aime bien et on ne peut pas aimer tout le monde. Affirmer le contraire n’est qu’une bondieuserie, une forfanterie destinée à nous donner bonne conscience le soir, bien au chaud dans son lit avant d’éteindre la lumière.
J’en ai marre d’avoir mauvaise conscience…
Jean-Marie Périer