A en croire toutes les photos de « vacances » publiées sur Facebook, il ne restait pas grand monde pour occuper les routes Franc-Comtoise ces jours derniers. Ce raz le bol peut-être ? qu’on finissait par lire sur beaucoup de visages emmitouflés sous les tricots, des Vosges jusqu’au Jura. La raison certainement, de tous ces clubs cyclistes régionaux qui ont profité des vacances scolaires pour tenter de se soustraire un moment de la grisaille récalcitrante et des températures polaires enregistrées cet hiver. De la neige, du vent et un thermomètre toujours bloqué à un niveau juste favorable pour la télé, les directs météo dans les journaux. Le CCEtupes par exemple, avait choisi d’emmener ses jeunes sur la Côte d’Azur, pendant que le Guidon Bletteranois avait abandonné son Jura pour la Catalogne. Dans le même temps, l’Esperance cycliste Baumoise visitait l’Ardèche. Un moment de la saison décisif pour bien commencer l’année et réussir à s’emparer de quelques jolis bouquets sur les premières compétitions sur route. Quelques chanceux en tee-shirt, chapeau de paille et bermudas… et d’autres en caleçon long avec un ou deux bonnets bien enfoncés sur les oreilles ; comme l’Amicale Cycliste Bisontine décidée d’aller rendre visite aux coteaux du Beaujolais le dernier week-end de février. Une météo franchement exécrable ! (Ou comment faire des kilomètres pour trouver encore pire qu’à la maison !…) Près de 4 heures de route en camion pour rejoindre un gite perché sur les hauteurs de Vaux-en Beaujolais. Et le sentiment déjà, en voyant défiler les « Morgon » et « Brouilly » au milieu des paysages viticoles blanchis par le givre, le crachin neigeux et le brouillard verglacé… qu’il n’y aurait aucun répit pour les guerriers.
L’arrivée des troupes sur le domaine du Fagolet
Une première sortie à peine toute l’équipe descendue du « Tagazou » (Et ne me demandez pas pourquoi ce camion là de trente ans d’âge et sa belle robe jaune rafistolée de partout filant à plus de 25 km/h dans un vignoble dorénavant tout décoiffé, s’appelle comme ça ? Le bolide s’appelle le « Tagazou », voilà. C’est comme ça ! Un machin de compétition habituellement aux commandes du « Belge » (L’entraineur des pistards Bisontins qu’on ne présente plus !) Son dragster équipé d’un démarreur de compétition qui ne dépasse pas les 110 dans les descentes avec le vent dans le dos. Juré, on a tout essayé ! Heu ! Non le Belge ! C’est pas ce que je voulais dire !… Je te jure, qu’y est rien arrivé à ton beau camion climatisé en ouvrant le fenêtres l’été et en tapant dans ses mains l’hiver. Promis, craché ! )
La grande messe du soir pour s’y retrouver le lendemain dans les opérations de « flingage » à tout va !
Un premier entrainement donc, dès l’arrivée du groupe au lieu dit du Domaine Le Fagolet. Un beau domaine… mais « en pente ». C’est-à-dire qu’à peine descendu de la « machine agricole » dont je viens de vous parler, qu’il a fallu remonter un décor penché dans le sens de la hauteur dès les premiers kilomètres de « mise en jambes » comme c’était écrit sur le programme. La feuille de route concoctée par le chef de clan dans la catégorie concernée à l’Amicale Cycliste Bisontine. Romuald Lefèvre. Ce « Romu » de cadre sportif bénévole, comme on en connaît seulement quelques-uns dans chaque génération. Un bosseur insatiable lorsqu’il s’agit d’apporter sa pierre à l’édifice cycliste régional. Tout autant impliqué dans sa tâche de capitaine de route du Tour de Franche-Comté, que dans son rôle d’encadrement des jeunes espoirs du cyclisme Comtois. Les juniors… son truc à Romu ! Pour ne pas dire : toute sa vie. Une passion ou plutôt un sacerdoce pour lequel l’ancien coureur amateur déploie une énergie sans réserve toute l’année. Une passion pour « le métier » qui prend tout son sens lorsqu’un certain Thibaut Pinot se souvient aujourd’hui avoir fait ses premières armes dans cette coutume familiale bien plantée dans la capitale Comtoise. Ce « Romu » jamais avare de bonnes surprises, l’auteur de ce chouette programme rédigé quelques semaines plus tôt dans la perspective du déplacement de l’Amicale sous les sommets du Mont Brouilly. Un chef d’œuvre de la barbarie des temps modernes. En commençant par cette première séance dite « de décrassage » dont tout le monde semblait ignorer qu’elle aurait lieu avec le genre de gamins énervés devant le moindre obstacle sur la route, comme une pente raide qu’ils préfèrent en général avaler comme s’ils n’avaient rien bouffer depuis le début de l’hiver. Des vrais morfales !
(De G. à D.) Corentin Charbonnet, Tristan Bellucci, Vincent Gerard sur les routes du Beaujolais
Imaginez alors derrière, la petite équipe de « Pass’ » invitée à prendre part aux règlements de comptes d’une bande de p’tits mecs taillés dans la dynamite et toujours prêts à exploser au pire moment des dénivelés.
Le problème des « Bordures » expliqué aux stagiaires et le ravitaillement qu’il ne faut pas négligé…
70 KM à respirer la poudre et le gaz moutarde dans les tranchées avant l’apéro. Des nouilles aux nouilles, beaucoup de pain et quelques patates avec un gros paquet de biscottes trempées dans un plat de pâtes en prévision de la dure journée du lendemain. Travail de Bordures pour les uns et séance de Force pour les autres. Les « Bordures »… J’ai passé la nuit à répéter le scénario à l’étage de mon lit superposé. L’estomac ballonné par les kilos de glucides macérant dans les kilos de sucre. Une chambre à trois. Jacques et François au rez-de-chaussée pour respecter mon cv d’ancien alpiniste. La bordure… Cet art de provoquer une « cassure » en usant d’un vent de 3/4 contraignant les copains à « passer par la fenêtre » au bout d’un « éventail ». Drôle de mentalité ! Un jeu de chaises musicales pompé sur une vieux divertissement maritime sûrement ! (Où l’on comprend mieux cette préférence Bretonne élevée à l’air du grand large et des mouvements de voiles avant de sacrifier à la culture du peloton…) Le vent… Ce satané truc qui peut vous mettre le moral en l’air en moins de coups de pédales qu’il faut pour le dire. Et vous me pardonnerez j’espère la candeur malgré mon âge de mes premières impressions en la matière d’une machinerie naturelle infernale dont on m’avait vanté tout le talent pour réussir à déborder l’adversaire et l’obliger à « se faire l’oignon » derrière la petite péripétie dont je vous parle. Un vrai sale coup ! Jusqu’à la Bordure de mon lit qui avait fini par me donner quelques sueurs froides avant de commencer de me « rebecqueter » au moment même où la lumière du couloir entra dans le mini dortoir. Une file indienne de jeunes gaillards en route pour le premier ravitaillement de la journée.
Le briefing du soir avant le diner
Romuald Lefèvre (Romu) en pleine séance d’entrainement avant son passage dans l’émission Top Chef. Sa célèbre tarte au fromage pour accompagner les nouilles au… fromage.
Ils sont tous là : Bottechia, Robic, Alavoine, Bartali, Edmond Jacquelin… Dans le désordre historique, mais tous en héros des Pyrénées ou des grands cols alpins. Des courageux de l’Obisque et du Tourmallet. « Ces forçats » écrivait Albert Londres sur le Tour de France 1924. L’épopée dans laquelle j’avais fini par sombrer cette première nuit, resté « en croustille » au bout de cette foutue bordure qui nous attendait ce matin. Une couleur de mitraille dans le ciel Rhône Alpin ce jour là. Les protège chaussures remontées jusqu’aux genoux et les cagoules doublées pour seul uniforme. Deux heures à « écraser les pédales » en apprenant « à faire la planche »… Bottechia qui s’envole en faisant la mobylette avant de voir Alavoine « ajuster » Robic, et Anquetil « pédaler dans l’huile » avant de « gagner à l’emballage » (toujours dans le même désordre historique)… En réalité : Bellucci, Mosnier, Gerard… pendant que Jacques et moi et quelques décennies supplémentaires, sommes inexorablement condamnés à « faire l’élastique » jusqu’au déjeuner. A peine le temps de profiter des talents du chef Romu derrière ses fourneaux. (Parait que le gars est en lice pour représenter la Franche-Comté à Top chef, et que la grande maison Jeunet installée en Arbois ne quitte plus l’ancien rouleur d’une pelle à tarte). Une rampe. Une de ses côtes dans les environs de St Joseph. Je ne peux pas vraiment vous décrire le cadre tant la tempête effaçait l’image sur cette troisième partie de manivelles prévue dans le séjour. Une partie de montagne pour apprendre à « pédaler avec les oreilles ». Le souvenir d’un grain excessif de la route à flanc de coteaux. L’itinéraire roué. Une succession d’engrenages lancés à toute berzingue sous la vingtaine de machines engagées dans l’épreuve de force. Une débauche de hauteurs consécutives, assemblées sur l’écran de l’ordinateur embarqué devenu complètement dingue au delà de la température minimum d’utilisation largement dépassée. La neige cinglante sur le visage, les doigts et les orteils engourdis. L’apparition de congères sous l’effet des vents contraires. Une giboulée qui obligera finalement le peloton à virer de bord avant le sommet. Un grain d’apocalypse qui finit par me faire perdre l’évidence de ma déroute, loin des ténors de la troupe dont je n’avais d’abord pas remarqué qu’ils se tiraient une bourre du diable devant moi, mais déjà bien des hectomètres plus haut. Des lascars « sur la plaque » malgré le pourcentage et l’épais brouillard qui aveuglent leurs prétentions. La fine fleur des futures échappées au long cours camouflée derrière un épais voile livide. Le film de mon calvaire dans la pente. Une de ces mauvaises journées où même les nombreuses couches de nouilles superposées au pain engouffrées la veille n’auront été d’aucun effet.
Les pass’ ont aussi partagé la route des juniors
Le « patron » du Blog Cycliste bien protégé avant… de sauter dans l’emballage final !
D’abord « Tout à gauche » avant de finir par « me garer »… et tenter une sortie par le haut avec la roue dans « le coffre ». Mais rien n’y fera pour me tirer d’un coup de fringale carabiné. Condamné à bâcher » avec ce privilège de finir la visite du pays à bord de la voiture officielle du Directeur de course. Un apéro mémorable ce samedi 23 février juste avant la défaite du XV de France à Twickenham. Tous les coureurs et le staff devant l’écran plasma du salon – salle à manger de la Girardière. (Ce manque de cohésion des bleus dans la deuxième partie du match qui permettra aux Anglais de finir le jeu avec 10 points de mieux que son adversaire). Tout le contraire de l’Amicale Cycliste Bisontine réunie après la douche pour le grand briefing du soir. Une leçon de choses administrée par Anthony Bouillod à tous les jeunes compétiteurs sur le sujet de l’hygiène de vie du champion et de ses bonnes habitudes alimentaires. Pour notre part (Jacques, François, Pascal et les autres..) réfugiés dans la cuisine pendant le sermon : du sucre et du gras à gogo pour accompagner une vinification largement parvenue à maturité au sein du groupe autorisé par l’âge et sa bonne réputation. Un avant propos d’une fournée de tartes fromage, moutarde prévue pour tenir au corps tout le lendemain, ultime étape du voyage. Des tartes, des nouilles à l’emmental et une compote de pommes maison débouchée à la main. Le dernier exploit de notre Alain Ducasse du régime alimentaire cycliste Bisontin après avoir donné son cours de tactique aux élèves maillots jaunes.
Jean Phi et Romu à la topo pendant qu’Anthony Bouillod peaufine ses plans d’entrainement
Le massif du Beaujolais – Romu et Valérie Girard (la propriétaire de la Girardière)
Le prétexte d’une discussion philosophique avec le président Pascal Orlandi entre deux articles à publier sur « le Blog Cycliste ». (Une élection de deux Franc-Comtois à la Fédération. Et une interview du pistard Morgan Kneisky la veille de son titre mondial à l’Américaine sur le vélodrome de Minsk.)
Le président Pascal Orlandi à la manœuvre sur tous les fronts
Le groupe de stagiaires de l’Amicale Cycliste Bisontine devant le gite « La Girardière » à Vaux-en-Beaujolais
L’info était tombée au 40e kilomètre de notre périple pour rejoindre Besançon par nos propres moyens. À savoir une bonne centaine de kilomètres depuis la Bresse après que le staff nous ait déposé tout les coureurs et nos machines sur l’asphalte agressé par les intempéries. Cette giboulée neigeuse encore… Toute une cargaison de courants d’air balancés en pleine figure de bout en bout. Une vraie misère dans le train Bisontin ! Et puis Romu s’était mis a donné de la voix depuis la voiture suiveuse. « Morgan Champion du monde ! C’est confirmé. C’est tout sur Facebook. » L’effet d’un réchauffement planétaire dans le peloton. Une vingtaine d’hommes le pied à terre, un téléphone portable dans les mains pour vérifier la nouvelle incroyable sur les réseaux sociaux, d’un gars de chez nous sur le toit du monde ce dimanche. C’est comme ça qu’on a fini le voyage. Dans l’euphorie d’un Bisontin sur la lune biélorusse à l‘Américaine, et le froid glacial qui nous transperce les bottes malgré le chargement de gras de la veille qu’on avait embarqué sur nos porte-bagages en prévision d’une dernière journée difficile.
Le retour vers Besançon, dimanche 24 février 2013
Arc & Senans, Byans, les papeteries de Boussières, Thoraise, Montferrand-le-Château, et puis Avanne enfin… Les bords du Doubs. Alors que les yeux piquent encore du côté de St Julien, D’Odenas ou de St Etienne-la-Varenne. Le retour d’une bonne ballade en Beaujolais alors que l’équipe première elle aussi rentre au bercail après un stage « revigorant » à Dignes. Alexis Noel et Sylvain Rolland déjà dans l’objectif d’une première manche de la coupe de France (DN2) sur la Vienne Classique le dimanche suivant. Cet « incroyable » Kneisky qui se faufile dans le brouhaha général des conversations, les dizaines de bagages entassés entre les carcasses de machines et des sacs de roues. La fatigue bienheureuse et fière sur les visages de guerriers encore transis. Le garage de l’Amicale Bisontine transformée en « village d’arrivée » très animé ce dimanche 24 février dans la fin de l’après midi. Jean-Luc Gantner
PHOTOS © JL Gantner et Romuald Lefèvre – février 2013