Yokaï : esprit, fantôme, démon ou apparition. Cette appellation regroupe les créatures surnaturelles du folklore Japonais.
Depuis les « Contes de la lune vague après la pluie » (Mizogushi, 1953) et, plus proche de nous « Mon voisin Totoro », d’Hayao Miyazaki, les français aiment le Japon et ses histoires de fantômes.
Dans les « Noces de la renarde », deux histoires se combattent sans se toucher. Dans l’une, en 1467, dans une région de montagnes, Hikari, est une Kitsune, (1) déesse à forme humaine ou de renarde, avec plusieurs queues qui donnent la mesure de ses pouvoirs. Elle est la chasseuse de son clan, mais ses pérégrinations dans la forêt la conduise dans le voisinage des humains pour lesquels elle ressent une sourde attirance. Tout contact entre dieux et humains est banni, si ce n’est que des Kitsune de son clan se sont emparées d’une femme du village, une religieuse, et lui ont détruit le cerveau pour en faire une esclave. Le père de cette jeune victime pousse les villageois à sa recherche… l’affrontement entre des déesses cruelles et des villageois très soudés est inévitable.
Dans la seconde histoire, de nos jours, Mina est une adolescente terrifiée par un don qui lui permet de voir les Yokaïs, notamment les fantômes. Si la rencontre a lieu, il faut leur expliquer leur statut de mort et de fantôme, les apaiser, mais il y en a tant. L’un d’eux s’en est même pris à sa meilleure amie et elle le signale à Natsume, sa cheffe de classe qui, bien que surprise, la croit… Depuis peu, les nuits de Mina sont hantées par un Yokaï qui s’amuse à la terrifier. Ce Yokaï est un monstre assez puissant pour se moquer de l’O-fuda (2), censé la protéger. Lors d’une visite au temple Shinto, l’esprit qui la traque se manifeste et elle décide de l’affronter : au terme d’une échange magique, elle s’évanouit. Natsume, dont la famille officie au temple Shinto, appelle son oncle à son secours. Natsume, issue d’une famille de prêtre shinto n’a aucun don et fait appel à Mina pour que ses visions l’aident à traquer un monstre qui sème les cadavres dans la ville.
L’histoire démarre lentement. Il faut absorber la complexité des coutumes japonaises et de leurs dieux multiples et cruels. Mais le suspense est brillamment maintenu, tandis que la traque du monstre conduit Mina, dans les lieux cachés du surnaturel, le Kogage, un bar de Tokyo hanté par des esprits, dirigé par Ryu, un tanuki(3), l’étrange Eri qui la protège, tandis que dans le passé, Hikari ne cesse de se rapprocher d’un villageois, Jun, un bûcheron fasciné par cette kitsune moins cruelle que ses sœurs.
Suspense haletant, et aventures se nouent en une tresse serrée et parfaitement maîtrisée. J’avoue que ce roman, peut-être plus destiné à un public adolescent qu’à des gens de mon âge, se laisse parfaitement lire et que j’ai plongé avec un plaisir croissant dans cette histoire de fantômes déchaînés et d’une jeune fille en quête de son identité, à un âge où le surnaturel et la réalité se mélangent insidieusement. Cette quête a un prix, mais lequel ? Comment peut-on apaiser la colère d’un esprit ? Nous sommes tous hantés par nos propres fantômes et nul doute que cette lecture saura soutenir votre propre quête intérieure, recherche de paix ou colère ancienne à apaiser…
Floriane Soulas est une des nouvelles plumes de la littérature imaginaire, elle a été découverte avec son premier roman, Rouille, Prix actuSF de l’uchronie 2018, et tout de suite après, avec ce roman singulier. Recommandons donc vivement la découverte de cette histoire de Yokaïs, et pour les esprits plus aventureux, peut-être pourrait-ce être une incitation à lire (ou relire) le père de tous les contes japonais, les « Contes de pluie et de lune » (Ugetsu Monogatari) du grand écrivain japonais du XVIIIème siècle, Ueda Akinari. pour lequel ces « Noces de la renarde » pourraient être une brillante introduction : les français que l’on dit rationalistes, semblent profondément hantés par ces fantômes qui baignent notre quotidien…
Bernard Henninger
Notes :
1. Kitsune : esprit du renard, il peut avoir jusqu’à neuf queues.
2. O-fuda talisman issu d’un temple Shinto qui protège contre les créatures malfaisantes.
3. Tanuki : yokaï de la forêt, souvent représenté sous la forme d’un chien viverrin (raton-laveur)
Photos : © Bernard Henninger (2018 et 2019)