Deuxième roman de Patrice Verry, le Fou qui volait la tête en bas nous entraîne dans les mondes souterrains à la découverte de vampires complotant pour mettre l’humanité en esclavage. De manière inattendue, le roman développe une réflexion politique aboutie qui n’est pas sans écho avec notre présent…
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Corinne Guitteaud, des éditions Voy’[El], que j’ai pu interroger m’a confirmé que le point de vue de Patrice Verry, mêlant vampires et réflexion politique, son étude de l’organisation d’une société, et l’opposition maître/esclave entre humains et vampires ont motivé son choix d’éditer ce roman. À titre personnel, je trouve que la thématique de Patrice Verry en fait un roman sortant des sentiers battus.
Petit A Parte : selon les idées reçues d’outre-Atlantique, le Vampire est un solitaire richissime, incrusté au haut d’un gratte-ciel, vivant de ses rentes, parasite de l’homme, pour son sang et parasite de l’économie spéculant en Bourse, que les auteurs anglo-saxons dotent du rôle de super-héros, entièrement dévoué à sa mission, consistant à sauver l’humanité une fois par jour et surtout, à répandre les idées reçues sur le libéralisme. Et tout ça, sous couvert de raconter du Merveilleux… et en « prétendant ne pas faire de politique » Jusqu’où les contradictions vont-elles se nicher ?!
Prologue :
Orvano est un vampire ancien, doté de pouvoirs extraordinaires, dont la télékinésie, ce qui est rare pour un vampire, mais nous apprenons lors du prologue qu’il est également porteur d’une malédiction. S’il mord un humain, ou un vampire, celui-ci se transforme en un être régressif : un humain dénué d’humanité, de langage, de sociabilité, un être dénué de raison, violent. En un mot : une brute.
Comment devient-on vampire ? Jessica, une des héroïnes du roman, l’apprend à ses dépens. Jeune femme violente, en rupture avec la société, lors d’une rencontre, avec des gens qu’elle croit être des marginaux, elle se fait mordre par une vampire. Instantanément, elle sombre dans un sommeil comateux, et découvre à son réveil qu’elle est devenue en quelques heures une vampire…
Ici, les vampires ressemblent un peu à des vampires tels que la littérature imaginaire nous l’a appris : se nourrissant exclusivement de sang, avec des canines crochues, la lumière du jour les tue, ils sont capables de cicatriser à une vitesse ahurissante, ce qui peut sembler les rendre invulnérables, ils sont doués d’une vitesse et d’une force « surhumaines » et leur longévité défie l’imagination.
Toutefois, nuance cruciale, ce sont bien des humains, doués de langage, de raison, vivant en société, et surtout, ils sont mortels, ils meurent de blessures… Cette nuance en fait une communauté très différente dans ses attributs, et son mode de fonctionnement, plutôt violent, mais fondamentalement, ils ne sont qu’un mode d’humanité, une communauté vivant ses propres règles en marge des sociétés humaines.
Enfin, les Fous, que le lecteur a découverts lors du prologue, forment une troisième manière d’humanité, mais si dégradée que l’esprit peine à leur accorder le titre d’Humains, ce qu’ils sont malgré tout, mais comme cauchemar, ce que nous pouvons devenir si nous ne faisons pas attention. Ils sont décrits comme inaccessibles à la raison et à l’échange, humanité régressive limitée à une pure animalité.
Le roman se déroule à l’époque moderne, avec Jessica, jeune vampire révoltée que le vieil Orvano manipule sans scrupule. Se ralliant avec passion à la communauté. Jessica se fond dans les plans de son mentor. Aveugle à la manipulation, elle devient bientôt l’égérie des vampires qui, imbus (abusés ?) par leur supériorité supposée, complotent à l’échelle de la Terre pour s’emparer du pouvoir et réduire l’humanité ordinaire à un troupeau d’esclaves dont le sang nourrira les Vampires, maîtres tout puissants d’une humanité sans valeur à leurs yeux.
Ils n’ont pas compté avec l’intelligence des humains, dont certains, alertés très tôt, vont réussir à mettre en place un plan de lutte pour résister à l’envahissement…
Loin des clichés de la littérature actuelle, le roman se situe donc plutôt dans la prestigieuse lignée d’un monument de la littérature, Je suis une légende de Richard Matheson (plus connu sous la mauvaise adaptation qui en a été tirée, avec Charlton Heston dans le rôle titre : Le Survivant) : les vampires sont une évolution de l’humanité, compatibles, très supérieurs dans leurs capacités, mais fondamentalement de même nature que les hommes.
Néanmoins, si supérieure soit-elle dans ses capacités de combat et d’organisation, une minorité est-elle apte à prendre le pouvoir et le conserver durablement ?
À l’heure où une minorité enrichie tente d’imposer à l’humanité entière un mode de vie dont ils sont les uniques bénéficiaires, la question est brûlante et le roman invite le lecteur à laisser la métaphore filer son cours. Avec finesse et précision, Patrice Verry en débusque les contradictions, les limites, et la nécessaire évolution des rapports de domination supposée…
Une société peut-elle se construire sur l’absolue domination d’une minorité même dotée de super-pouvoirs ? Si la prise de pouvoir semble plausible, cette domination est-elle appelée à s’installer dans la durée, à devenir pérenne ? Ou bien n’est-elle au regard de l’Histoire qu’une péripétie sans lendemain, et risible quant au sentiment de surpuissance de cette minorité ? Améliorerait-elle réellement le sort des humains ?
Dans les conditions du roman, le risque, et c’est là où le roman développe sa dramatique, quand la principale conséquence de cette domination est la propagation de la Folie, entrevue au prologue, obligeant humains et vampires à fuir les Fous en se terrant dans les sous-sols. En surface, les Fous, de par leur nombre, se répandent comme une peste à la surface de la Terre et se révèlent — du simple fait de leur nombre — invincibles.
Si la première partie du roman survole un peu les épisodes du complot des vampires, j’ai beaucoup aimé la seconde partie qui se déroule à travers les yeux des deux personnages principaux, que je trouve très attachants : Fabien, l’Humain, archiviste, hanté par un drame ancien, très amoureux d’une belle vampire, Rachel. C’est entre leurs mains que va aboutir la résolution du roman. Rachel et Fabien sont-ils capables de surmonter la haine et les contradictions que la prise de pouvoir par les vampires ont générées, la mettant en péril ?
Aussi, je ne saurais trop recommander ce roman attachant.
Bernard Henninger
© Portrait de Patrice VERRY, Bernard Henninger, Imaginales 2018