06 Mar

Compte-rendu du passage de Serge Lehman à la médiathèque de St-Jean de la Ruelle

Une vingtaine de spectateurs étaient présents pour l’interview de Serge Lehman à la Médiathèque de Saint-Jean de la Ruelle. Le feu des questions a permis de survoler l’œuvre et à Serge Lehman d’exposer sa vision d’historien des littératures de l’imaginaire.

Passionnant exposé où Serge Lehman  développe sa vision d’historien, avec la science-fiction des origines, en France et son foisonnement, avant 1914 avec Jules VerneJ.H. Rosny aînéH.G. Wells, André Laurie, Jean de la Hire, Maurice Renard, mouvement appelé le Merveilleux-scientifique (avec un tiret, comme dans Science-Fiction).

Le paradoxe vient de ce que, à part une poignée de passionnés, cette littérature est aujourd’hui dans l’ombre, mal connue et même parfois violemment critiquée. D’où viennent les ruptures qui ont conduit à son rejet ? Tout d’abord, l’image de la science, tout empreinte de merveilleux  avant 1914, où le radium était une matière magique, Marie Curie une héroïne totalement dévouée à la science, désintéressée (jamais elle ne voulut « vendre » un brevet) et qui passe son permis en pleine guerre pour aller sur le théâtre des opérations réaliser des radios des blessés se renverse : les états-majors allemand et français prétendent mener une guerre scientifique (autant le souligner en rouge). L’expression : frappe chirurgicale fut inventée en 1914 avec les conséquences que l’on peut imaginer. Après 1918, la science incarne  l’horreur des tranchées. La guerre dite scientifique est un vocable qui, associé à un million de morts, conduisit au rejet du Merveilleux-scientifique du champ littéraire. Dans la foulée, toute la science-fiction naissante fut remisée dans les littératures populaires, d’une part, et dans les livres pour enfants d’autre part. Et toute science évacue le champ littéraire (à part un archétype, le savant fou, bien entendu).

Dans les années 1920, alors que la Science-Fiction connaît en Amérique un  essor sans précédent (le nom Science-Fiction est créé en 1926 par Hugo Gernsback, directeur de revue), la science-fiction française régresse. Là où les américains développent des super-héros, les précurseurs qui furent inventés par des français, dont le plus emblématique fut sans doute le nyctalope créé par Jean de la Hire, déclinent et tombent dans l’oubli. Autre super héros, le passe-muraille, inventé par Marcel Aymé, n’est le héros que d’une unique nouvelle et le récit, évitant le merveilleux et sa fascination, vire au comique. Pour conclure avec Jean de la Hire, antisémite, il s’empara pendant la guerre de la maison de ses propres éditeurs Ferenczi… La faillite française de la première Science-fiction française fut aussi incarnée par ces auteurs dévoyés, Jean de La Hire, René Bonnefoy, collaborationnistes et antisémites et la science-fiction qu’ils avaient incarnée, sombra avec la découverte des camps de concentration en 1945.

Bien  sûr, il ne s’agissait pas seulement d’une conférence d’histoire et le récit de Serge Lehman est lié à sa propre histoire d’auteur, les années 90 et l’arrivée d’une nouvelle génération. Il a évoqué ses tentatives pour  construire un mouvement qui retrouve sa mémoire, en particulier avec l’univers des super-héros français : le passe-muraille, le nyctalope…  en témoigne la saga des Brigades Chimériquesvaste cycle de bandes dessinées dont il est le scénariste.

Le vœu de Serge Lehman de reconnecter les littératures imaginaires d’aujourd’hui avec leurs racines fécondes accompagne donc le renouveau du genre. Depuis trente ans, des auteurs se sont emparés de cette littérature, en repartant de zéro ou presque : nouveaux éditeurs (L’Atalante, Critic, Au Diable Vauvert, Les moutons électriques), nouveaux illustrateurs (Caza…), nouvelles générations d’auteurs (Roland C Wagner, Ayerdahl, Sylvie Denis, Sylvie Lainé, Jean-Claude Dunyach, Laurent Genefort (que ceux que j’oublie veuille bien me pardonner)), nouvelles exigences pour que la science-fiction gagne en réalisme et en réflexion…

À la fin, Serge Lehman a répondu aux questions et il s’est très gentiment plié au jeu de la photo. Qu’il en soit remercié !

Bernard Henninger