20 Mai

Vangelis & Jon Anderson (Yes) : la rencontre de 2 étoiles

Vangelis, le sorcier des synthés s’en est allé à 79 ans. Surtout connu pour ses musiques de films : « Les chariots de feu » (oscarisé en 1982), Blade Runner (83), « 1492 Christophe Colomb (92) « Blade Runner » ou encore « Lunes de fiel ». Des synthés cosmiques qui ont aussi croisé les cordes lunaires de Jon Anderson le chanteur du groupe Yes. La rencontre de 2 astres pour une musique céleste.

Jon Anderson au chant et Vangelis aux claviers publieront 4 albums

La rencontre Joan Anderson & Vangelis

Le Grec Evangelos Papathanassiou dit Vangelis pose ses claviers dans les années 70, tout d’abord avec le groupe d’un de ses compatriotes (Demis Roussos) : les Aphrodite’s child. L’anglais Jon Anderson rejoint le groupe Yes en 1968 pour pousser ses envolées cristallines.

Dans le groupe Yes, figure un autre grand chaman du clavier Rick Wakeman. Mai 1974, il décide de quitter le groupe. Vangelis fait alors des essais pour le remplacer au sein de la formation britannique. Ils s’avèreront peu concluants mais l’amitié entre le chanteur et le créateur de musique électronique new-age se noue. Première collaboration sur l’album de vangelis où Jon Anderson chante sur un titre « So Long Ago, So Clear » .

Le côté lunaire des 2 artistes s’accorde à merveille, les claviers planants et sautillants de Vangelis portent la voix céleste et virevoltante du merveilleux Jon Anderson.

Les premiers albums

Un premier album, « Short Stories sort en 1979, l’année où le chanteur quitte le groupe Yes. Sut cet album plutôt réussi, on retrouve des compositions de Vangelis et des textes écrits et chantés par Jon Anderson.

La voix d’un autre monde d’Anderson, les mélodies concises, emphatiques de Vangelis, l’album surprend, déroute mais rencontre son public sur certains titres comme « I hear you now » et ses nombreux effets sonores.

L’album le plus réussi est certainement « The friends of Mr Cairo » qui sort un an plus tard en 1981. Plus fusionnel que le précédent entre les 2 univers, le disque compte quelques morceaux de bravoure et des pièces épiques dont l’époustouflant « I’ll find my way home » qui n’est pas ici dans sa meilleure version (playback) mais qui permet de voir les 2 artistes.

Un album très expérimental, mi-chansons mi-opéra-rock progressif. Un son marqué très années 80 au niveau des claviers mais aussi du sax de Dick Morrissey. Le titre « State of independance » deviendra très populaire, repris et entendu lors de nombreuses occasions.

Ces albums sont un peu des ovnis musicaux, pas très terrestres mais lunaires. Ils auront marqué les 2 artistes qui poursuivront ensuite leurs chemins séparemment.

4 albums et puis…

Vangelis connaîtra le succès avec ses musiques de film. Grand musicien, inventeur souvent dédaigné.


Jon Anderson rejoindra Yes avec notamment le succès tonitruant d' »Owner of a lonely heart ». Une voix atypique -encore plus dans le milieu du rock- un chant habité, il continue de traverser le temps. En 2018, le groupe fêtait ses 50 ans (et lui ses 74).

Sa prestation sur la scène de l’Apollo avec ses comparses de Yes (Rick Wakeman grandiose), plus quelques nouveaux membres est tout simplement bluffante. Superbe titre « Lift me up » avec Trevor Rabin guitare et chant.

01 Déc

Anne Sylvestre : 5 chansons et beaucoup d’engagements

Les chansons d’Anne Sylvestre décédée le 30 novembre 2020 ont fait grandir beaucoup d’enfants. Celles pour adultes n’ont pas eu une écoute à la hauteur de leur qualité. Celle que l’on compare souvent à Brassens pour le côté guitare-chant était bien plus engagée que lui. Exemple avec 5 chansons qui ont la puissance d’un hymne.

PHOTOPQR/OUEST FRANCE/MAXPPP

Lorsqu’elle débute sa carrière à la fin des années 50, Anne Sylvestre écrit, compose et interprète ses chansons. Ce qui était alors plus que rare pour une femme. Elle se produit à la fin des années 1950 dans des cabarets parisiens de la rive gauche, comme au Trois Baudets, où l’on croise aussi Bécaud, Perret, Ferré. Son premier disque, Mon mari est parti, sort en 1959. Pacifiste, en pleine guerre d’Algérie, elle conte dans cette chanson le désespoir d’une jeune femme qui espère le retour de son homme. 

En 68, elle interprète pourtant la « Chanson dégagée ». Une formulation qui rappelle une citation et l’esprit de Daniel Balavoine : « Je ne suis pas un artiste engagé; je suis un artiste dégagé. »

Y en a qui voudraient que je porte
Une oriflamme ou un couteau
Que je crie et que je m’emporte
Mais faudrait qu’ils se lèvent tôt
Il y a quinze ans et des poussières
Peut-être je leur aurais plu
J’ai pleuré pour ma vie entière
Maintenant je ne pleure plus

Un an avant la loi Veil sur l’avortement, elle chante « Non, tu n’as pas de nom ». Beaucoup y verront une chanson pour défendre l’avortement. « Ce n’était pas une chanson sur l’avortement mais une chanson sur l’enfant ou le non-enfant »,  a toujours précisé Anne Sylvestre. Un engagement sans faille pour les femmes avec de la « politique poétique » comme le dit Jeanne Cherhal.

« Comme une sorcière » parait en 1975. C’est devenu l’hymne féministe de plusieurs générations, une chanson qui parle aussi aux hommes. « Vous m’avez aimé servante / M’avez voulue ignorante / Forte, vous me combattiez / Faible, vous me méprisiez  » La destinée des femmes pendant des décennies, du militantisme qui n’oublie pas la finesse.

« Ecrire pour ne pas mourir » pourrait symboliser une carrière riche de 600 chansons. En 1978, il y aura « Douce maison » sur le viol, puis « Pas difficile » sur la misère, la magnifique  » Roméo et Judith » contre l’anti-sémistisme et « Les gens qui doutent ». Un hymne aux gens simples, à ceux qui passent « pour des cons » comme elle disait. « J’aime les gens qui n’osent / S’approprier les choses / Encore moins les gens / Ceux qui veulent bien n’être / Qu’une simple fenêtre / Pour les yeux des enfants  »

Une chanson devenue presque un étendard pour la nouvelle génération de la chanson française. Reprise par Vincent Delerm, Jeanne Cherhal, Albin de la Simone.

Il faudrait évoquer aussi la guerre avec la « Berceuse de Bagdad », « La faute à Eve » qui dénonce  la misogynie du christianisme et bien sûr la petite dernière : « Gay, marions-nous » en 2007. Un engagement joyeux et décontracté avec une femme qui demande à sa voisine de l’épouser.

« On voulait que les femmes parlent mais on ne les écoutait pas » déclarait il y a peu Anne Sylvestre en évoquant le mouvement MeToo. Aujourd’hui, les hommages pleuvent et on découvre qu’il y a beaucoup à écouter derrière les « Fabulettes » pour enfant.

Anne Sylvestre a écrit, composé, interprété ses œuvres. Elle a aussi créé sa propre maison de disque.

Écrire pour ne pas mourir
Écrire sagesse ou délire
Écrire pour tenter de dire
Dire tout ce qui m’a blessée

Une vie d’engagements ,d’indépendance et d’humanité profonde. Anne Sylvestre a beaucoup écrit et ses chansons vivront longtemps. 

Bonus track

Anne Sylvestre c’était aussi l’esprit et l’humour. Exemple avec cette très drôle « Lettre ouverte à Elise ». Après ça, Ludwig van Beethoven ne doit plus être sourd. Mémorable.

Benoît Roux

07 Oct

Eddie Van Halen en 10 titres

Le célèbre guitariste Eddie Van Halen est mort mardi soir 6 octobre 2020 à l’âge de 65 ans. On retiendra ses riffs de guitare, le « tapping » qu’il a inventé, ses tenues excentriques, sa longue chevelure. Retour sur ce guitar hero du métal en 10 morceaux.

Eddie Van Halen Photo : John Angelillo/UPI via MaxPPP

Eddie Van Halen c’est tout d’abord l’inventeur du « Tapping », une technique qui consiste à ne pas utiliser de médiator avec la main droite, mais de taper sur le manche avec les doigts. Un procédé qui donne une impression de vitesse fabuleuse que Van Halen érigera en institution. Exemple sur cette reprise du célèbre morceau des Kinks. 

Van Halen – You really got me

Mais évidemment, le titre entendu des milliards de fois n’est pas un morceau de Van Halen. Il a juste réalisé le solo. Et quel solo !

Michael Jackson – Beat it

Le TUBE de Van Halen, c’est « Jump » sorti fin 83. Remarqué pour un son de synthé assez novateur, les guitares de Van Halen ne sont pas en reste. Eddie aurait même déclaré que c’était son solo préféré. En France, le morceau cartonne et depuis plus de 30 ans, il accompagne l’entrée des joueurs de l’OM sur la pelouse du Vélodrome. 


Eddie Van Halen – Jump

Connu comme guitariste, Eddie Van Halen joue aussi de la batterie. Il forme avec son frère Alex le groupe Van Halen en compagnie du très remuant chanteur David Lee Roth. Une agitation contagieuse, comme on peut le voir sur le clip avec des extraits de concerts.

Eddie Van Halen – Panama

Le groupe se fonde en 1978 et dès le premier album, figure ce qui va devenir le manifeste du « Tapping » : le titre « Eruption ». Avec 2 maîtres de la guitare revendiqué : Dieu lui-même -Eric Clapton- et Jimmy Page.

Van Halen – Eruption live in Charlotte 2015

Il réalise la même technique sur une guitare folk avec le titre « Spanish Fly » d’une technicité impressionnante.

Eddie Van Halen – Spanish Fly

Le groupe Van Halen est avant tout un groupe de métal dès les premiers albums. Comme le prouve ce morceau paru en 1978.

Eddie Van Halen – Ain’t talkin’ bout love Live

Eddie Van Halen – Hot for teacher

Autre morceau étonnant, « Hot for Teacher » qui commence par un solo de batterie endiablé sur tout le morceau. Le clip est aussi assez délirant, co-réalisé par le chanteur David Lee Roth.

Comme tout bon groupe de hard qui se respecte, Van Halen a aussi fait (rarement) dans le morceau plus calme, le slow bien balancé. Un peu anecdotique mais ce live révèle aussi la qualité des musiciens.

Eddie Van Halen – Love walks in

Dernier titre qui envoie bien paru dès 1978 : « Runnin’ with the devil ». David Lee Roth en pleine forme et les légendaires solo de Van Halen.

Eddie Van Halen – Runnin’ with the devil

Disparu a 65 ans, Eddie Van Halen aura changé le son et la manière de jouer de la guitare.

Benoît Roux

01 Août

Hommage à Alan Parker, le réalisateur qui a filmé la musique des Pink Floyd, Peter Gabriel et Madona

Le réalisateur britannique Alan Parker s’est éteint le 31 juillet 2020. On lui doit beaucoup de films où l’acteur principal, c’était la musique. L’occasion pour lui de bâtir des scénarios, des longs métrages où les images étaient portés par une bande son avec une importance capitale. On pense à « The Wall » avec les Pink Floyds, Birdy avec « Peter Gabriel », « The Commitments » magnifié par la musique irlandaise. De « Midnight express » avec une musique de Giorgio Moroder (1978) à Evita (1996) avec Madona, Alan Parker a souvent mit la musique au cœur de ses films.

EPA/ANDY RAIN via MaxPPP

L’homme qui filme en musique

Le réalisateur, metteur en scène et scénariste avait son propre regard cinématographique. Sa source d’inspiration était souvent la musique. Son premier long métrage « Bugsy Malone » est une parodie musicale des années 20 jouée par des enfants. La musique est déjà là, au centre du film. Après, viendra « Midnight express » (1976), un film très dur sur le milieu carcéral turc. La mise en scène se sert beaucoup de la musique de Giorgio Moroder. Le compositeur de « I feel love » et autres grands succès de Donna Summer signe une BO prenante qui lui vaudra l’Oscar de la meilleure musique, pendant qu’Alan Parker recevra celui du meilleur scénario. Une musique très hypnotique et synthétique notamment pour la scène finale.

Alan Parker & Giogio Moroder – Midnight Express

En 1980, Parker récidive et frappe un grand coup avec « Fame » qui deviendra deux ans plus tard une série à succès. Un cinéma spectacle aux musiques inoubliables avec Irène Cara (Flashdance). Oscars de la meilleure chanson et meilleure musique pour le pianiste américain Michael Gore.

Alan Parker & Michael Gore – Fame

 

1982, il se lance dans un grand chantier « The Wall ». Le héros (Pink), incarné par le musicien et acteur Bob Geldof souffre de schizophrénie. Il se fabrique un mur protecteur qui finit par l’étouffer. La psychiatrie est souvent un élément central d’étude des films de Parker. Quasiment aucune dialogue, le film alterne scènes classiques et dessins magnifiques signés Gerald Scarfe. Place donc à la musique des Floyds, certains titres repris tels quels, d’autre ré-enregistrés ou créés pour le film comme « When the Tigers Broke Free ».

Alan Parker & Pink Floyds – When the Tigers Broke Free


 

L’osmose entre les univers suffocants, très totalitaires du film et la musique tantôt dure, tantôt poétique des Floyds.

Alan Parker & Pink Floyds – Run like hell

En 1984, le cinéaste est récompensé à Cannes  (Grand prix spécial du Jury) avec « Birdy ». Suite à un traumatisme subit lors de la guerre du Vietnam, Matthew Modine se prend pour un oiseau sous l’œil de Nicolas Cage. Peter Gabriel signe sa première musique de film. L’ami de Scorcèse (le réalisateur fera plusieurs documentaires sur lui) fait appel à son guitariste David Rhodes et au musicien Daniel Lanois pour travailler.

Peter Gabriel ré-enregistre certains morceaux come « The rhythm of the heat » et en compose certains pour le film. Là-aussi, l’univers sonore un peu dur et parfois « bestial » de l’artiste colle parfaitement aux images de Parker.

Alan Parker & Peter Gabriel – The Heat 

Fervent humaniste, grand défenseur des droits civiques et des libertés, Alan Parker réalisera plusieurs film pour dénoncer ceux qui les entravent : « Midnight express », « Birdy », « The Wall » ainsi que le brillant « Mississipi Burning » sur le Ku Klux Klan. Les musiques y prennent évidemment une part prépondérante.

Mais pour ce qui est des films musicaux, Parker y revient avec l’excellent « The Commitments ». Sorti en 1991, le film raconte comment Jimmy Rabbitte, organise des castings plus ou moins sauvages pour monter son groupe dans les années 80. Un film magnifique et une ode à la musique irlandaise. Tourné à Dublin, les acteurs jouent et chantent vraiment dans le film. Des reprises d’Otis Redding, Aretha Franklin, Wilson Pickett tellement bien interprétées, que beaucoup de personnes ne l’ont pas cru tant le niveau était bon. 

Alan Parker & The Commitments – A  Little Tenderness

1996, Alan Parker concrétise son rêve : faire une comédie musicale sur les destin extraordinaire d’Evia Perón. Cette femme charismatique au destin tragique devait accéder à la vice-présidence de l’Argentine. Mais un cancer en décidera autrement. Le film « Evita » est une sorte d’opéra où Madona est plus que crédible. « Don’t cry for me Argentina » composée par  Andrew Lloyd Webber deviendra un énorme tube. 

Alan Parker &  Andrew Lloyd Webber – Don’t cry for me Argentina

Avec la mort d’Alan Parker, le monde artistique perd un cinéaste au regard singulier, un humaniste engagé. La musique, l’un de ses serviteurs les plus aiguisés et fidèles.

Benoît Roux

07 Juil

Ennio Morricone, l’homme aux 500 musiques devenues des classiques

Sa musique est profondément humaine tout en touchant au divin. Le compositeur italien et chef d’orchestre Ennio Morricone jouait souvent les premiers rôles dans les films dont il a composé la bande originale. Des chefs d’œuvres gravés sur pellicule et dans les mémoires. On doit 626 œuvres à Mozart durant sa courte vie et presque autant à Morricone qui vient de s’éteindre à 91 ans. Des musiques qui sont devenus des classiques. Hommage à l’un des plus grands maestros de la musique.

Graffiti Mural à Rome. Photo : FABIO FRUSTACI via MaxPPP

De la toute première « Mission ultra-secrète de Luciano Salce en 1961 à la dernière « A rose in winter » de Joshua Sinclair, Morricone aura signé la musique de plus de 500 films. Sans compter toutes les musiques écrites pour la télévision et autres œuvres orchestrales. Des musiques souvent simples, 3 ou 4 notes qui vont à l’essentiel et des arrangements hors pair. Il savait aussi jouer des silences, des bruits, des sifflements, des instruments inattendus qui s’invitent dans une mélodie. Voici quelques chefs d’œuvres de son génie créatif.

Et tout d’abord, une chanson immortalisée par Joan Baez pour le film « Sacco et Vanzetti ». A partir de 2001, Ennio Morricone a privilégié la direction d’orchestre à la composition. C’est le cas ici 2007 à Venise.

Ennio Morricone – Here’s to you

Evidemment, celui qui l’a fait connaître n’est autre que son ami d’enfance Sergio Léone. Morriconne signera la musique de la plupart de ses westerns. L’art de la mise en perspective des images, une composition orchestrale fabuleuse et une écriture pour les voix splendide.

Ennio Morricone – Once upon a time in the West

Ennio Morricone – Le bon la brute et le truand

Morricone était d’abord un trompettiste de formation qui sera diplômé plus tard en direction d’orchestre. Ce qui transparait dans beaucoup de films comme l’émouvant « Cinéma paradiso ». Une version où l’on retrouve Yo-Yo-Ma et Chris Botti.

Ennio Morricone – Cinéma paradiso

Morricone a aussi beaucoup composé pour les réalisateurs français. Il signe par exemple une partie de la bande originale de « La cage aux folles », et participe au succès du film de Georges Lautner « Le professionnel ».

Ennio Morricone – Le professionnel

Mais aussi « Le clan des Siciliens » d’Henri Verneuil avec un orchestre classique mais aussi une section rythmique basse-batterie sur des envolées de cordes.

Ennio Morricone – Le clan des Siciliens

Mais pour moi sa composition la plus touchante, la plus aboutie c’était la BO du film « Mission » de Roland Joffé. Un thème obsédant, des cordes splendides, des voix divines. Un chef-d’œuvre d’une émotion incroyable. Une version du thème principal dirigée par le maestro en 2012 lors d’un concert de noël.

Ennio Morricone – Mission

Avec sa version de l’Ave Maria Guarani. Grandiose.

En 2016 il obtient enfin la consécration. Grand fan, Quentin Tarentino prendra à plusieurs reprises ses compositions. Pour « Les 8 salopards », il obtient enfin un Oscar (il n’a jamais eu de César).

Ennio Morricone – Les 8 salopards

La même année, son étoile est inaugurée sur l’Hollywood Boulevard. L’artiste resté dans l’ombre des images méritait au moins ça. Lui qui a tant magnifié les pellicules en les empreignant de sa musique puissante, riche et inoubliable. Grazie mille Maestro Morricone.

Benoît Roux

 

23 Juin

Disparition de Joan-Pau Verdier : l’hommage de Jean Bonnefon, Francis Cabrel et Eric Fraj

Grande voix rauque, artiste libre et engagé, Joan-Pau Verdier vient de nous quitter à l’âge de 73 ans. Dans les années 70, il a été l’un des premiers à moderniser la chanson occitane, à signer également dans une grande maison de disques. Poète d’une grande richesse aussi bien en français qu’en occitan, homme généreux et toujours à l’écoute, il aura marqué tous ceux qui l’ont rencontré lors de ses concerts et avec ses émissions de radio. Ses amis Francis Cabrel, Jean Bonnefon et Eric Fraj lui rendent hommage.

Joan-Pau Verdier dessiné par Yves Poyet Site Joan-Pau Verdier

Retour sur le parcours de cet artiste poète, musicien, chanteur et humaniste en 10 moments forts au travers des témoignages de ses amis Francis Cabrel, Jean Bonnefon et Eric Fraj. Ce dernier rappelle que Joan-Pau Verdier est parti pour la fête de la musique, petit clin d’œil.

1/ Les débuts en 1973

Joan-Pau Verdier a 26  ans. Il chante dans les cabarets musicaux à Bordeaux et à Paris. « Il a introduit du rock, du folk des notes qu’on n’avait jamais entendues », déclare Jean Bonnefon. Il signe alors son premier 33T L’Exil, où se trouve la très belle chanson dédié à l’artiste qui l’a toujours inspiré : Léo Ferré.

Joan-Pau Verdier – Maledetto, Léo !

En 1972, un autre artiste occitan émergeant le rencontre : Eric Fraj. C’était pour la Félibrée de Villamblard (24). Beaucoup de groupes folkloriques et des jeunes artistes plus modernes sont là, dont Joan-pau Verdier et Eric Fraj. « Je me souviens, tout le monde n’était pas d’accord pour que ces jeunes aient leur place. Le public était scindé en 2 et certains criaient : « les peluts (chevelus) dehors ! Je n’ai pas pu chanter très longtemps. Les gendarmes ont dû nous accompagner pour sortir. Joan-Pau a été très amical et chaleureux. Depuis, il a toujours été un ami fidèle qui m’a toujours accompagné ».  

2/ Les années Philips

J’étais Franchimant chez les Occitans et Occitan chez les Franchimants !

Joan-Pau Verdier a toujours marché sur ses 2 jambes : une française et l’autre occitane. Etudiant en Lettres, il a commencé par écrire en français. Puis il découvre les poèmes de son ami de lycée Michèu Chapduèlh. Il lui écrira ensuite des textes spécifiques. Dès le début de sa carrière, pour son premier disque, il est signé par une grande major : Philips. Un reniement pour certains occitanistes qui n’ont pas accepté qu’il parte de la maison de disques occitane Ventadorn. « Il a toujours gardé son esprit libertaire. Ce n’était pas un reniement mais l’occasion d’avoir les moyens de produire la musique qu’il voulait faire. Il a eu raison. C’était le bon moment car dans les années 80, avec la crise, ce n’était plus possible. » Eric Fraj sait de quoi il parle car à plusieurs reprises, il a failli signer chez Pathé Marconi ou d’autres maisons prestigieuses. Il avait raison : début des années 80, Jean-Paul Verdier n’est plus chez Philips.

3/ Pas un dieu, ni complètement un maître, mais son artiste : Léo Ferré

En 1975 sort le 33T « Faits divers » avec la célèbre chanson de Ferré traduite en oc : « Ni diu, ni mèstre ». Libertaire, anarchiste, le Limousin vouait une admiration sans fins à Ferré. Les 2 artistes se sont rencontrés à plusieurs reprises. En 92, Ferré lui donne carte blanche pour un album de reprises. Il décède un an plus tard. L’album est enregistré en 96 mais ne trouve pas de diffuseur. Léo domani sortira finalement en 2001 avec 17 chansons dont 2 inédits.

Joan-Pau Verdier – La mélancolie (2001)

4/ 1976-77 : les premières télés

« Signer chez Philips lui a ouvert les portes des médias nationaux et donné de l’envergure à l’occitan. » Eric Fraj se souvient de cette télé sur TF1 avec Danièle Gilbert à un moment de grande écoute. Nous étions le premier avril 1977.

Joan-Pau est invité par Léo Ferré qui dit de lui : « C’est un artiste vertébré qui écrit des choses vertébrées. » Il y chante « La ballade pour un paumé » qui figure sur l’album « Tabou-le-chat ». Plus tard, on le verra dans d’autres émissions en « prime-time ». Par exemple chez Maritie et Gilbert Carpentier.

Ou encore un dimanche de septembre 1973 dans l’émission Sport Eté présentér par Pierre Cangioni. Le championnat du monde cycliste se déroule en Espagne et Joan Pau parle de l’Occitanie. Il interprète « Chanti per tu ».

 

5/ 1977 : sortie de l’album-concept « Tabou-le-chat »

Toujours chez Philips, en français, un peu en oc, Verdier sort en 1977 un album concept comme il s’en faisait beaucoup à l’époque. La production est résolument moderne où fleurent bon les guitares électriques. Verdier poly instrumentiste. Il joue des guitares (électrique et acoustique), parfois de la basse, des percussions…

Joan-Pau Verdier – Tabou-le-chat (1977)

6/ 1980 : la BO du film de Jean-Pierre Denis

C’est là qu’intervient un autre ami du lycée Bertran-de-Born de Périgueux : le réalisateur Jean-Pierre Denis. Il obtient la caméra d’or à Cannes en 1980 pour son film « Histoire d’Adrien ». Il demande à son copain de faire la bande originale. Avec cette belle « Balade d’Adrien ». Au journal Sud-Ouest, le cinéaste confie : « Il chantait Brel, Brassens, Ferré en français. Sa voix était là. L’occitan est venu après. »

Joan-Pau Verdier -La balade d’Adrien

7/ 1991-1995 : Bigaroc, Francis Cabrel…

1990, Francis Cabrel vient de terminer l’album Sarbacane. A Astaffort, l’artiste propose à ses amis qui viennent de monter un nouveau groupe d’enregistrer dans ses studios avec Ludovic Lanen, réalisateur du disque de Cabrel. « Bigaroc est né. Un groupe volontairement éphémère (1 album et 5 ans d’existence) où l’on retrouve le groupe Peiraguda (Jean Bonnefon, Patrick Salinié entr’autres, séparés en 1988 et reformés en 2003), Joan-Pau Verdier et Blue Jean Rebels.

Joan-Pau Verdier et Jean Bonnefon Site Facebook Jean Bonnefon DR

Francis Cabrel donnera toujours un coup de main à ses amis. Il rend hommage à Joan-Pau : « Quelle tristesse, le grand Joan-Pau qui disparaît. Sa marque est immense en faveur du renouveau occitan ». 

Peiraguda, Francis Cabrel et Jan de Nadau – 2017

8/ 1998 Meitat-chen, meitat-pòrc sur les antennes de Radio-France

Jean Bonnefon prend les rênes de Radio-France Périgord. L’idée d’une émission occitane d’une heure et hebdomadaire est pour lui une évidence. « Je l’ai immédiatement proposée à Joan-Pau. Elle devait s’appeler « 100% occitan ». Mais Joan-Pau m’a dit que ça ne sonnait pas bien. Il a donc choisi « Meitat-chen, meitat-porc » (moitié chien, moitié porc). Nous avons 2 dialectes dans le Périgord : le languedocien au sud, le limousin au nord. Ces variantes étaient présentes à l’antenne. Un vrai succès! »

Il y avait Joan-Pau, les chroniques de Daniel Chavaroche et Martial Peyrouny qui a cédé sa place il y a une paire d’année à Nicolas Peuch.

Joan-Pau était encore à l’antenne de France Bleu Périgord juste avant le confinement.

 

9/ 2001 : Verdier, Salinié, Bonnefon chantent Brassens

Pour les 20 ans de la mort du Sétois, les 3 copains Salinié-Verdier-Bonnefon s’offrent Brassens. 5 ans plus tard, ils récidivent, toujours avec autant de précision et de gourmandise. 2 disques mais aussi de nombreux concerts qui se poursuivent.

Verdier, Salinié, Bonnefon… Site Facebook Jean Bonnefon DR

 

10/ 2010, l’ultime album « Les rêves gigognes »

Entre chansons françaises et rock d’Occitanie, Verdier poursuit son chemin poétique. 16 chansons originales où Joan-Pau revient à l’écriture et la composition, entouré de bons musiciens. Le bilan d’une vie, des moments gigognes, qu’il retrace en chanson dans une belle richesse musicale. Par ailleurs, « Tabou-le-chat » et « Chantepleure » sortent enfin en CD.

PUNT de VISTA présenté par Denis Salles à l’occasion de ces parutions

Les obsèques de Joan-Pau Verdier auront lieu mercredi 24 juin, au cimetière de Chancelade (Dordogne), près de Périgueux, à 16 heures. Adiu Joan-Pau !

Rosina de Peira, Joan-Pau Verdier, Claude Marti, Jean Bonnefon et Martial Peyrouny derrière Photo site Facebook DR

SITE JOAN-PAU VERDIER

FACEBOOK JEAN BONNEFON

SITE ERIC FRAJ

 

21 Juin

L’Orchestre National du Capitole de Toulouse rend hommage à Mady Mesplé

L’Orchestre National du Capitole du Toulouse a retrouvé la Halle aux Grains vendredi soir pour un concert de retrouvailles avec Renaud Capuçon. Jeudi 25 juin, c’est au Théâtre du Capitole que l’orchestre donnera un concert exceptionnel en hommage à Mady Mesplé, une fidèle du lieu. La grande soprano s’est éteinte le 30 mai 2020. L’ONCT n’a pas voulu attendre la nouvelle saison pour lui rendre hommage.

©FREDERIC CHARMEUX/AU THEATRE DU CAPITOLE, REMISE DE LA MEDAILLE DE L’ ORDRE NATIONAL DU MERITE A MADY MESPLE via MaxPPP]

Un concert avec les airs qu’elle aimait

La toulousaine Mady Mesplé était l’une des plus grand soprano colorature de l’après-guerre. Comme l’ONCT elle affectionnait la musique française et elle l’a faite résonner sur les plus grandes scènes.

Jeudi soir au Théâtre du Capitole où elle ne manquait pas une représentation même à la retraite, on pourra entendre du Francis Poulenc : Nocturne n°4 en ut mineur « Bal fantôme », « Montparnasse » et « Métamorphoses ». Des airs moins célèbres que l’« Air des clochettes de Lakmé » de Léo Delibes qui l’a révélée au grand public mais qu’elle a enregistré de nombreuses fois notamment avec son chef de prédilection Georges Prêtre.

Autre compositeur français, Gabriel Fauré avec au programme « L’horizon chimérique  » et le Requiem. Pour compléter la soirée, un extrait de Tristan und Isolde (« Mort d’Isolde ») de Wagner et des passages d’Ariadne auf Naxos de Richard Strauss dont voici son interprétation en 1966.



4 cantatrices et un baryton

Sur la scène du Capitole, tout d’abord une cantatrice bien connue des Toulousains : Anaïs Constans. Elle sera l’un des 3 sopranos qui chanteront sur le même registre que Mady Mesplé. La révélation des Victoires de la Musique 2015 sera épaulée par Catherine Hunold et Céline Laborie. Sophie Koch qui comme Mady a beaucoup chanté les musiques française et allemande assurera le répertoire côté mezzo. 

Anaïs Constans au concours international de chant de Montréal (2015)

Le baryton Stéphane Degout programmé pour la prochaine saison du Capitole sera sur scène. Les artistes seront accompagnés par les pianistes Nino Pavlenichvili, Miles Cléry-Fox et Robert Gonnella, Christophe Larrieu. c’est Alfonso Caiani qui dirigera l’orchestre. 

Une soirée qui s’annonce émouvante. Comme pour les 3 concerts exceptionnels prévus, celui-ci est destiné aux abonnés historiques du Théâtre du Capitole, aux donateurs ayant renoncé au remboursement de leurs billets, ainsi qu’à quelques associations.

Mady Mesplé et Jeanine Reiss décédée juste après la grande cantatrice. Elles interprétaient en 1982 « Le rossignol et la rose » de Camille Saint-Saëns

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Benoît Roux

02 Juin

Hommage à Mady Mesplé, grande soprano restée fidèle à Toulouse

Mady Mesplé, le talent du chant lyrique à l’état pur. Elle fait une carrière internationale mais elle reste toujours simple, abordable et fidèle à sa ville : Toulouse. La grande cantatrice est décédée samedi dernier. Elle était l’une des dernières soprano colorature mythique de l’après-guerre. Une légende qui s’éteint, quelques semaines après la disparition d’un autre astre vocal toulousain : Gabriel Bacquier.

Mady Mesplé reçoit la légion d’honneur des mains du chef d’orchestre Georges Prêtre ©LA DEPECHE DU MIDI via MaxPPP]

Pour tous les amoureux du chant lyrique, l’évocation de son nom réveille des sensations et titille les oreilles. Mady Mesplé c’est l’incarnation d’une grande classe dans l’interprétation, d’un don vocal naturel, et d’une humanité profonde.

Une voix stratosphérique

Même pour ceux qui ne l’ont pas entendu sur scène, Mady Mesplé c’est une grande voix de soprano légère dans la lignée de Mado Robin ou Nathalie Dessay plus près de nous. D’ailleurs son prénom au civil était Madeleine, qu’on appelait Mado à Toulouse. Mais comme il y avait déjà une Mado Robin, elle est devenue Mady Mesplé !

A son compteur vocal, 3 octaves et une voix de « rossignol » qui pouvait aller très très haut, notamment dans l’air célèbre de « La Reine de la Nuit » de Mozart. Sans parler technique, on sentait beaucoup d’aisance dans sa voix, une habilité et une très grande classe qui rendait l’auditeur ou le spectateur très attentif et surtout admiratif.

« Le chemin était tout tracé. Je n’ai pas l’impression d’avoir choisi . J’avais une voix juste, et ça c’est un don. Qu’est-ce qu’on peut faire contre cela ou pour cela ? », confiait-elle à France-Musique.

Hommage à Mady Mesplé | Archive INA

C’est dans les années 50 que tout a commencé. Précisément en 1953 dans le célèbre « Air des clochettes de Lakmé » de Léo Delibes. Un rôle presque taillé pour elle, aux suraigus ravageurs, une interprétation dont elle sera la référence et dont elle fera un tube. Mais Mady Mesplé ne se cantonnera pas à un seul registre, un seul répertoire. De nature très curieuse et ouverte, elle s’est glissée dans les grands classiques du lyrique comme dans des œuvres contemporaines plus audacieuses (Boulez, Schoenberg, Betsy Jolas…).

Pas sectaire non plus, elle a interprété aussi de nombreuses opérettes que beaucoup considéraient comme un répertoire mineur. Elle a beaucoup fait aussi pour rendre populaire son art dans un milieu classique un peu guindé. C’est ainsi qu’elle participa à de nombreuses émissions de Jacques Martin et de Pascal Sevran pour démocratiser l’art lyrique. Sa voix était un régal et sa manière de parler de son art, de le partager, tout autant.

Heure exquise extrait de La veuve joyeuse (F. Lehar) filmé par FR3 Aquitaine en 1983

L’une de ses ultimes apparitions scéniques remonte au 14 mai 1990. C’était au théâtre des Champs-Elysées à Paris lors d’un hommage à Régine Crespin. Elle interprète « La dame de Monte-Carlo » de Francis Poulenc et Mady Mesplé est en famille. Elle chante avec l’Orchestre national du Capitole dirigé par Michel Plasson. A presque 60 ans, la magie est toujours intacte.

Mady Mesplé « La Dame de Monte-Carlo » Orchestre national du Capitole dirigé par Michel Plasson



Toulousaine sous tous les registres

Née le 7 mars à Toulouse, sa famille habite à quelques portées du Capitole. Dès son plus jeune âge (4 ans) sa mère l’emmène à l’opéra. Une vraie révélation pour Mady qui restera fidèle au Capitole toute sa vie. « J’ai eu le choc de ma vie, à l’âge de quatre ans, en assistant à une représentation de Faust au Capitole de Toulouse… »  confie-t-elle lors d’un entretien à France Musique. Très rapidement, elle enchaîne avec du solfège, puis des cours de piano. Bercée par le Bel Canto, un professeur vient même à domicile pour lui donner des cours tant et si bien qu’elle intègre le Conservatoire de sa ville dès l’âge de 7 ans et demi. Elle aura comme professeurs Clara Malraux, l’épouse de l’écrivain et Ministre, mais aussi Raymonde Blanc-Daurat, la femme de Didier Daurat, le célèbre pionnier de l’aéropostale. Tout ceci alors qu’elle est issue d’un milieu modeste, ce qui a un peu freiné sa carrière lorsqu’il a fallu partir à Paris. Madame Izar -l’épouse du directeur du Capitole- sera son professeur de chant. Cette même famille qui a des attaches en Belgique et qui la fera débuter à l’opéra de Liège en 1953 dans son rôle fétiche : « Lakmé » de Delibes.

« L’air des clochettes de Lakmé » (Léo Delibes) 1966 INA

S’en suivra la carrière internationale que l’on connaît. Elle s’est produite dans les plus grandes salles du monde, notamment au Metropolitan Opera House de New York en 1973. Mais elle n’a pas oublié pour autant ses racines toulousaines et occitanes, ni sa passion perpétuelle pour le chant.

C’était une boulimique de musique , déclare Christophe Ghristi directeur artistique du Théâtre du Capitole. Elle venait à tous les spectacles au Théâtre du Capitole, avec une soif d’entendre de la musique. Il lui en fallait toujours plus.


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Benoît Roux

22 Mai

Avec Mory Kanté, l’Afrique perd encore un grand ambassadeur de la musique

Après Idir, Manu Dibango et Tony Allen, l’Afrique perd encore l’un de ses artistes qui a su dépasser les frontières du continent. Le Guinéen Mory Kanté est décédé ce vendredi matin à l’âge de 70 ans. A l’instar de ses confrères africains, son parcours musical alterne entre tradition et audaces occidentales, dont le fameux tube planétaire Yéké Yéké.

Pochette du 45T Yé Ké Yé Ké

Yéké Yéké à la conquête du monde en 1987

Les années 80, synonymes de l’apparition de la world music. Et comme dans toutes les vagues, il y a du bon et du moins bon, de l’opportunisme et de la singularité. Au tout début de ces années, Mory Kanté commence à lorgner sur d’autres musiques aux sonorités plus modernes. Il enregistre sur un label américain et songe à partir à la conquête de l’occident. Il a déjà enregistré Yéké Yéké une première fois. Pas vraiment satisfait du résultat, il songe à faire une version plus moderne.

Ces années 80, c’est aussi le moment où d’autres artistes africains commencent à se faire une place en France et ailleurs. Il y Salif Keita avec qui il a déjà joué, mais surtout Youssou N’Dour, Ismaël Lô ou encore Ray Lema. Avec des bases traditionnelles, ils ont fait l’apport d’autres instruments, d’autres sons pour conquérir l’Europe et les USA. 1984, il s’installe en France. Plusieurs producteurs montrent le bout de leurs oreilles, dont l’Anglais Nick Patrick. 1987, ils enregistrent l’album Akwaba Beach. 1988, ils partent à la conquête du Top 50 déjà squatté par les tubes world d’Ofra Haza et Johnny Clegg. Les cordes de la kora sur un rythme diabolique, une production efficace. Le chant des griots mandingues fait son entrée dans les boîtes de nuit.

Résultat : 5M d’exemplaires vendus dans le monde, disque d’or dans plusieurs pays dont la France et Victoire de la musique du meilleur album francophone en 1988. 2 ans plus tard, les mêmes -Mory Kanté, le producteur Nick Patrick et Philippe Constantin du label Barclay- tentent une récidive avec l’album « Touma ».

Un long parcours africain auparavant

Comme beaucoup d’artistes d’Afrique de l’ouest, Mory Kanté est issu d’une famille de griots. Une tradition orale qu’il perpétue en chantant, mais aussi en jouant de la guitare, du balafon puis de la kora que l’on entend sur Yéké Yéké. Il étudie les rites et les chants puis s’exile au Mali. Il est alors repéré par la célèbre formation du Rail Band de Bamako du saxophoniste Tidiani Koné. Dans ce même groupe se trouve un certain Salif Keita qui s’en va en 1973. C’est Mory Kanté qui le remplace comme chanteur, s’illustrant dans des morceaux de pur funk à la James Brown, comme « Moko Jolo » enregistré en 1974 avec le Rail Band ou sur un afrobeat façon Fela à la sauce mandingue.

Il fait ses armes et sa renommée s’amplifie en Afrique de l’ouest. Elle s’amplifie grâce à un ballet mandingue réunissant 75 artistes traditionnels et modernes qu’il dirige sur la scène du Centre culturel français d’Abidjan. C’est pour ce ballet que Jacques Higelin l’invité sur scène pour son spectacle à Bercy en 1985. A côté de lui, il y a aussi une autre étoile montante de la world invitée : Youssou N’Dour. Il fait aussi partie de la trentaine d’artistes africains qui participent à l’opération « Tam Tam pour l’Ethiopie » dirigée par Manu Dibango. C’est là que Philippe Constantin du label Barclay le repère. Plus tard, c’est le célèbre pianiste américain David Sancious (Bruce Springsteen, Eric Clapton, Peter Gabriel) qui le prend sous son aile et produira un album. 

Après ces visées internationales, Mory Kanté revient en Afrique. Il avait pour projet de monter à Conakry (Guinée) un grand centre de promotion de la culture mandingue avec studios d’enregistrements et salle de spectacle. Mais hélas ce projet ne verra pas le jour au vu des difficultés économiques de son pays. En 2012, il sort son dernier album « La Guinéenne ». Le président Guinéen Alpha Condé lui rend hommage sur son compte twitter.

La culture africaine est en deuil. Mes condoléances les plus attristées. Merci l’artiste. Un parcours exceptionnel. Exemplaire. Une fierté.

 

Benoît Roux

 

18 Mai

Le prodige du blues Lucky Peterson est mort

C’était une légende du blues. L’américain Lucky Peterson est décédé ce dimanche 17 mai à l’âge de 55 ans. Son instrument de prédilection, c’était la guitare. Mais avant de savoir parler, il avait appris l’orgue. Musicien multi-instrumentiste, chanteur à la voix rauque, showman incomparable, il avait un lien privilégié avec la France. C’est d’ailleurs sous le label français Jazz Village qu’est paru son ultime album.

Lucky Peterson – Photo site Jazz Radio

Il jouait de la guitare comme il respire : naturellement et sans se poser de questions. Mais c’était aussi un organiste hors pair qui faisait ce qu’il voulait sur ce bon vieux orgue Hammond. Tel Miles Davis à la trompette, il savait creuser le son, aller toujours en profondeur pour explorer toutes les sonorités. Il a été repéré dès l’âge de 5 ans par son grand maître Willie Dixon. C’est aussi à cet âge-là qu’il a enregistré… son premier disque!

Et comme tous les grands, il était resté simple, n’hésitant pas à venir jouer au milieu de la salle ou après un concert avec son public. J’ai eu le privilège de le voir au tout début de sa carrière en France. Pour tout grand amateur de blues, ce monsieur avait tout compris.

Every Day I Have The Blues, Jazz in Marciac 2016

Il respirait cette musique, savait précisément comment la jouer. Avec des sons extraordinaires sortis de sa guitare ou de son orgue Hammond. Un toucher fantastique quel que soit l’instrument et sa voix ardente pour l’accompagner.

Mais sa musique ne se limitait pas au blues : il y avait de la soul évidemment, une posture rock, du gospel (un disque hommage à Mahalia Jackson) et même des pointes de reggae come sur ce titre : « The blues is Driving me ».

Ce titre est un extrait de son ultime album 50 Just Warming Up! sorti sur le label français Jazz Village après avoir travaillé aussi avec le label de Francis Dreyfus. Un disque pour fêter ses 50 ans de carrière. Lucky Peterson avait parfaitement digéré l’héritage de ses aînés Robert Johnson, Buddy Guy, John Lee Hooker. Mais comme d’autres bluesman de sa génération (Robert Cray, Kevin Moore), il apportait une touche de modernité. Il laisse une trentaine de disques et des souvenirs inoubliables pour ceux qui l’ont vu en concert.

Benoît Roux