03 Mai

Le chanteur Kabyle Idir, chantre de la fraternité, est mort

Sa famille a annoncé hier soir le décès du chanteur kabyle Idir à l’âge de 70 ans. Ce fils de berger qui avait fait des études de géologie est arrivé dans la chanson un peu par hasard, mais aussi par conviction et par amour. On retiendra son engagement pour la culture kabyle et contre les obscurantismes religieux. Sur fond de grande humanité.

©PHOTOPQR/LE PROGRES/THEVENOT LAURENT – via MaxPPP

Hamid Cheriet est un enfant modeste du petit village d’Aït Lahcène (kabylie, Algérie). Une enfance bercée par la poésie, l’atmosphère magique des veillées familiales empreintes de traditions orales. Un terrain propice à la modestie et à l’écoute de l’autre. Plus tard, sous son nom d’artiste, Idir sera aussi un homme discret.

De sa voix chaude et envoutante, il a réussi à conquérir un public au-delà de son pays. En 1976, avec « A Vava Inouva » chanté en berbère, il a connu le succès dans près de 80 pays, traduit dans une quinzaine de langues. Un morceau sous forme de berceuse, le premier tube d’Afrique du Nord magnifié par sa voix chaleureuse, qui a fait prendre à sa culture natale une autre dimension.

La fraternité en étendard

Le parcours artistique d’Idir n’est pas une longue ligne droite sans cassures. Notamment par le fait qu’il a dû quitter son pays pour s’établir à Paris. Mais aussi parce-qu’il était loin du show-biz et de toute préoccupation carriériste. Plusieurs fois il a mis en suspens la musique, arrêté la production discographique, la scène. Mais il n’a jamais rangé ses valeurs. Notamment avec l’album « Identités » sorti en 99 où il invite Manu Chao, les Bretons Gilles Servat et Dan ar Braz, Zebda ou encore le grand chanteur Ougandais Geoffrey Oryema. Toujours la fraternité des peuples. Surtout quand les cultures sont minorisées.

Idir interprétant le Se Canta (occitan) à l’Etivada de Rodez

L’hommage des bretons à Idir.

En 2007, en plein débat sur l’identité nationale, il sort un disque républicain « La France des couleurs » où il défend la diversité. Sa voix, ses chansons respirent l’ouverture, le partage, l’humanité, le voyage aussi. Comme le rapelle Le Monde, Pierre Bourdieu disait de lui : « Ce n’est pas un chanteur comme les autres. C’est un membre de chaque famille. »

Hommage de France 24

Un poète engagé des temps modernes

L’humanisme profond de l’homme se retrouve dans sa voix. Idir est avant tout un interprète. D’ailleurs en 2017 sur l’album « Ici et ailleurs », il reprend Lavilliers, Aznavour, Cabrel, en langue berbère. C’est aussi un musicien qui a d’abord appris l’instrument des bergers : la flûte. Viendra ensuite la guitare, puis les instruments traditionnels : bendirs, darboukas. Comme bon nombre d’artistes issus de cultures minorisées, il a pris les bases traditionnelles kabyles et les a modernisés. Tel des Nadau, Marti pour l’occitan, Dan ar Braz ou Malicorne chez les bretons, I Muvrini pour la Corse il n’a pas hésité à mettre de l’électrique, du moderne, sans renier quoi que ce soit.

En langue berbère, Idir signifie « Il vivra ». Cet admirateur de Brassens disait qu’une chanson valait 1 000 discours. Son oeuvre musicale n’est pas très quantitative, mais il aura marqué le paysage musical.

Hommage de Berbère Télévision

Benoît Roux

 

18 Avr

Mon conte de Monte-Cristo. Hommage à Christophe.

Un brin solitaire, une once dans la lumière, tel était Daniel Bevilacqua : Christophe, prince de l’élégance, apôtre chic de la nonchalance. Bevilacqua, né à Juvisy mais aux assonances corse et italienne. Je voudrais lui faire cet hommage sensible, si possible différent; comme il l’était. Je l’imagine corsaire de la musique, sur la petite île de Monte Cristo. Capitaine atypique d’un bateau bardé de claviers, toujours prêt à faire une embardée pour des territoires nouveaux. Voici mon conte de Monte-Cristo.

©PHOTOPQR/L’EST REPUBLICAIN/Alexandre MARCHI via MaxPPP

Ca fait bien longtemps que Christophe à quitté Aline et autres Marionnettes yé-yé. Pour moi Christophe ce n’est pas ça, juste un moment de jeunesse avant de trouver sa vraie identité. Un Paradis perdu qu’il faut un jour quitter, entendre une dernière fois ses idoles Eddie Cochran, Gene Vincent… C’est assez étonnant le décalage qu’il y a eu longtemps entre certaines de ses chansons un peu faciles, presque kitchs, et sa personnalité sophistiquée, élégante, perfectionniste.

Christophe c’est le maître du son, chantre des nappes synthés, des atmosphères sonores, scrutant les horizons jusqu’aux profondeurs des abysses. Tel un Manset ou Bashung, il a chez lui la nostalgie de paradis perdus, une quête poétique inassouvie.

Ses paysages sonores sont à l’infini, des univers, où se raccrochent des mélodies. Oui c’était un grand mélodiste, la note juste, sans excés. Un interprète aussi, de sa voix fragile et désabusée, sur les cimes des crêtes, funambule en détresse. En quête d’amour, de sensualité sur des terrains glissants et aux contours déroutants. Comme le morceau J’lai pas touchée en touches sensorielles.

Des titres trompeurs qui cachent des lettres poétiques un brin désabusées comme cette supplique à la princesse Stéphanie Ne raccroche pas. L’amoureux des voitures a parfois frôlé la sortie de route sur des mots faciles, mais la force de sa musique l’emporte souvent. Tel un autre grand mélodiste : Michel Polnareff celui de Lettre à France ou Goodbye Marylou. Comme marieur de notes, Christophe est moins à l’aise dans les rythmes avec des batteries souvent prétexte et des basses improbables.

©PHOTOPQR/LE PARISIEN : OLIVIER LEJEUNE JEAN-MICHEL JARRE ET CHRISTOPHE (CHEZ LUI) via MaxPPP

Il a souvent confié ses mots à Jean-Michel Jarre (Les mots bleus, Paradis perdus, Senorita…) mais aussi à Boris Bergman, souffleur de mots, l’auteur des premiers Bashung. Parfois il les a abandonnés pour des morceaux presque sans paroles, des onomatopées. Il y a eu aussi ce Paradis retrouvé, en yaourt anglais ou les mots n’ont plus de sens mais juste une forme et du son.

Une œuvre souvent sombre et belle ou rien n’est certitude ou tout est amplitude. Impossible d’y coller des étiquettes, si ce n’est celle d’un dandy aux commandes d’un OVNI pour des expérimentations en tous genres. Sa parole est pesée, rare. 

Album « Aimer ce que nous sommes »

En 2008, il sort un pur bijou sonore Aimer ce que nous sommes, disque magnifique, splendide dans sa diversité, sa quête des sons aux guitares déchirées. Un travail de longue haleine où l’on retrouve les plus grands musiciens mais aussi Isabelle Adjani, Daniel Filipacchi ou son ami, celui qui l’a découvert et l’a produit : Francis Dreyfus. Un disque aérien, grandiose où les genres se croisent et s’entrecroisent. Sans doute la consécration, la constellation parfaite. 

Quatre plus tard, sa production ultime, il nous laisse avec Les vestiges du chaos. L’équilibriste funambule a fini par tomber. Le capitaine des claviers vaisseaux est parti sur un autre ilôt.

Il y aura toujours mon île du comte de Monté Cristo. Une île que l’on aime retrouver, se réfugier et se perdre pour d’autres voyages. Ciao belissimo!

Photo : MaxPPP

Bonus Track : le making off de l’album Aimer ce que nous sommes

Le périple musical de cet album magnifique. Où l’on voit tout le travail de recherche de l’artiste.

24 Mar

L’immense artiste Manu Dibango est mort

Emmanuel N’Djoké Dibango est mort. Comment résumer la vie et l’oeuvre de cet immense artiste, pluri-instrumentiste et grand humaniste? Impossible tellement sa longue carrière (plus de 70 ans) est riche, variée, généreuse et dépasse le cadre artistique. Retour sur quelques jalons qui font de lui un homme et un artiste à part.

3 août 2019. Manu Dibango  est sur la scène de Marciac avec sa formation favorite : le Soul Makossa Gang. Il a 85 ans. Et si on ne le sait pas, ça ne se voit pas. Ça ne s’entend pas tellement il est à l’aise. La joie partagée sur scène et sous le chapiteau.

Il viendra à quatre reprises dans le Gers. Jean-Louis Guilhaumon se souvient de l’artiste dans cet article de France 3 Occitanie.

Manu Dibango c’est d’abord Soul Makossa. Ce qui n’était au départ qu’une face B (et oui on parle des années 70 et des 45T) composée pour la coupe d’Afrique des Nations qui se déroule dans son pays (Cameroun), « Soul Makossa » va devenir le plus gros tube africain de tous les temps. Version 1972.

Soul Makossa tube planétaire plagié par Jackon et Rihanna

Le morceau et ses riffs de sax vont faire le tour du monde. A tel point que le King Michael Jackson lui même se laisse influencer avec son titre  « Wanna be startin’ something ». Ce qui lui vaudra un procès et une condamnation pour plagiat. Plus tard, c’est Rihanna qui utilise le thème dans son hit « Don’t stop the music ». 

Un camerounais très vite en France

Né au Cameroun le 12/12/1933, Manu Dibango arrive en France en 1949. Son père veut l’envoyer faire des études en Europe. Sa famille d’accueil se trouve dans la Sarthe. Il apprend plusieurs instruments et rencontre un compatriote camerounais fan de Jazz : Francis Bebey, l’interprète d’Agatha merveilleusement repris par Rachid Taha. C’est un peu son initiateur dans le domaine. Plus tard, il forge son expérience scénique dans plusieurs boîtes bruxelloises avec différents groupes.

Un artiste inclassable

Début 1962, il compose même un twist. S’en suit une aventure africaine.

De retour en France, il cotoie Dick Rivers et Nino Ferrer avec qui il joue de l’orgue Hammond. Mais pas que.

Il sera son chef d’orchestre pendant 4 ans, arrangeur de la chanson Mamadou Memé. Sa curiosité l’amènera à cotoyer aussi Claude Nougaro, Gainsbourg, mais aussi… Mike Brant ! Plus tard il jouera avec les Fania All Stars. Là ça respire latino. Ensuite Fela Kuti… Indomptable le lion du Cameroun. Inclassable surtout. 

Retour aux racines

1982 sort l’album « Waka Juju », mélange hétéroclite de différents styles  très avant-gardiste. Symbole d’un artiste qui n’aime pas se répéter. 2 ans plus tard, avec Martin Meissonnier aux manettes, le deuxième tube planétaire : Abela Dance.

Un disque qui lui ouvrira les portes de grands musiciens tels Bill Laswell et Herbie Hancock.

Mon coup de coeur : Wakafrika (1992)

Un tout jeune label (celui de la Fnac) vient de se monter. Son directeur (Yves Bigot) veut frapper un grand coup. Ce sera Wakafrika, avec une pléiade d’artistes qui revisitent des standards.

C’est un peu le « We are the world » version africaine. On y retrouve des Africains Youssou N’dour -qui a la lourde tâche de reprendre Soul Makossa- King Sunny Adé, Salif Keita, Papa Wemba, Touré Kunda, Angélique Kidjo, Geoffrey Oryema, Ladysmith Black Mambazo. Et des stars internationales : Peter Gabriel, Sinéad O’Connor, Dominic Miller (guitariste de Sting), Manu Katché… La world musique n’a pas produit que des chefs d’oeuvre mais celui-ci en est un. Grâce aux artistes et à une production intelligente. 
Ami Oh! Voix : Papa Wemba & Angélique Kidjo. Batterie : Manu Katché.

Chevalier des Arts et des Lettres en France, artiste de l’Unesco pour la paix, tout récemment (2017) honoré d’un Lifetime Award pour l’ensemble de sa carrière, l’oeuvre de l’artiste est à la hauteur de ses valeurs humaines : à multiples facettes et grandes. Ciao Manu. Je continuerai à t’écouter.


Merci à RFI où j’ai trouvé une biographie très complète. Pour aller plus loin et mesurer l’éclectisme et la générosité de l’artiste, interview en octobre dernier sur TV5 Monde. Elle revient sur plus de 60 ans de carrière.

Benoît Roux