Cette météo détraquée qui empoisonne tout le monde en commençant par le coureur cycliste comme le peintre d’extérieur depuis des semaines. « Mais je ne suis pas un spécialiste… »
Il faut avant tout que je vous avoue que cette route n’existe pas ! Je veux dire… pas de cette manière là. Pas de cette façon dont la suggestion creuse forcément la distance à force des kilomètres qui défilent. Une forme d’extase qui adhère à l’asphalte malgré les morceaux de climat déglingué qui nous interrompt sans cesse.
Une route. Comme une barricade multicolore contre la réalité. Un de ces jours bizarres où la lumière insistait sur l’horizon au passage de ma machine. L’hiver et ces raisons confuses. Un « ciel brouillé ». Un de ces « soleils mouillés ». « Quelque chose d’ardent et de triste, quelque chose d’un peu vague, laissant carrière à la conjecture ». Un truc éminemment Baudelairien en train de filer « à cent à l’heure » sous ma machine.
La lueur sanglante. Une route d’apocalypse et sa couleur orange. Ses flaques bleues dans les marges avant que tout ne finisse par exploser en plein milieu du parcours bien tracé. Cette sorte d’état d’âme touristique emprunté aux agences de voyages médiatiques. Toute cette lumière saturée sous les projecteurs misérables d’un paquet de bagnoles équipées pour les trajets réguliers. Une route… mais qui n’existerait que dans l’imagination sincère et parfaitement réfléchie des brumes matinales et des aléas sensibles.
Une route comme une définition d’un ardent désir de fuir nos abris crispés. Je pensais à tout ça en essayant de circuler loin de l’agitation quotidienne, comme Ionesco circulait d’une pièce vers une autre de son nouvel appartement de rentier solitaire. Une chambre, un grand lit, et l’angoisse d’une impossible résignation à tout ignorer du monde au delà de ses propres rêves.
Une route, enfoncée dans le bitume inondé. Toute cette flotte. Une route d’intuition détrempée, vidée de toute substance tangible. La tête béate sur le décor enflammé, sans avoir lu la presse du jour ni consulter les KOM de Thibaut Pinot ou d’Arthur Vichot sur Strava™… Une route comme un remède aux supports de communication obligatoires. Les multiples tentatives d’insertion dans les flux constants. But, all is out ! « La mariée mise à nue… » de Marcel Duchamp n’a pas retrouvé ses fringues à la fin de la séance de shooting. Une « mariée », photographiée dans son plus simple appareil, et qui serait vendu aujourd’hui un prix forcément exorbitant malgré son verre cassé lors d’un déménagement. Des « conjectures »… sur le prix des choses et sur les moyens qu’on se donne pour nous protéger d’elles.
L’image d’une route, ratée. Constamment perturbée par des déviations de toutes sortes pour éviter les mares improbables et les lagunes improvisées. La tentative d’un rêve sensuel sur Facebook™ en me levant le matin. Un rêve jetable sur ma time line devant mon café et mon ordinateur allumé. « Toutes les images se valent » m’avait expliqué l’immense artiste suisse Thomas Hirschhorn. Une star de l’art contemporain. Mais on avait paumé la pellicule entre temps. L’interview disparu. Et pas la moindre plainte du personnel politique pour m’obliger à restituer les réponses dans l’ordre des questions que je lui avais posées. Tout se vaut. Les tirages brûlés et les routes inondées. Tout se vaut dans la grande absence actuelle de profondeur de champs. Burn is over !
La route comme un grand reportage intérieur des jours d’averse un peu forte. Tony™ et cette incapacité que ce type avait de jeter quoi que ce soit (syllogomanie) du moindre des ses souvenirs affectifs… tout ce qu’il conservait de sentiments précieux dans leur emballage d’origine en faisant mine de les redécouvrir sans cesse comme à la première fois… Et je ne sais pas si vous pouvez vous rendre compte de ce que Tony comptait quand même beaucoup dans l’élaboration du tableau final ?! L’illusion de son total libre-arbitre dans l’affaire d’une peinture abstraite et des conséquences esthétiques du temps qu’il fait sur la route. Cette grande et belle idée de Tony, d’essayer de naviguer a vue, dans quelques goulets météorologiques dont la raison se prive habituellement. JL Gantner