17 Jan

Mali: "Il ne s’agit pas d’une ingérence" pour Jean-Pierre Chevènement

Jean-Pierre Chevènement

Le sénateur du Territoire de Belfort Jean-Pierre Chevènement s’est exprimé au nom du groupe Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) lors du débat sur l’intervention française au Mali hier au Sénat. Celui qui fut notamment Ministre de la Défense de Michel Rocard (1988-1991) a soutenu l’engagement des forces françaises. « Il ne s’agit pas d’une ingérence qui aurait violé la souveraineté d’un pays africain indépendant. Au contraire, il s’agit d’une assistance apportée à un pays ami en grand danger », a lancé Jean-Pierre Chevènement à la tribune, estimant qu’« il vaut donc mieux frapper vite et fort pour dérouter l’adversaire ». « On ne peut pas concevoir la paix et la stabilité de cette immense région sans l’Algérie », précise l’ancien maire de Belfort.

Voici l’intégralité du discours de Jean-Pierre Chevènement:

« Vite et fort »
Le coup d’arrêt donné par l’armée française à la progression vers Bamako de colonnes islamistes, sur ordre du Président de la République française, à l’appel des autorités légitimes du Mali était nécessaire.
Le groupe du RDSE approuve la décision prise, sous l’emprise de l’urgence, par le Chef de l’Etat. Il ne s’agit pas d’une ingérence qui aurait violé la souveraineté d’un pays africain indépendant. Au contraire, il s’agit d’une assistance apportée à un pays ami en grand danger, dont l’intégrité territoriale avait été violée par des groupes terroristes entendant imposer leur loi et quelle loi ! – et dont non seulement la souveraineté mais la survie même eussent été compromises, si les éléments islamistes armés avaient pu continuer leur raid vers le Sud. L’intervention de la France s’est faite en vertu de l’article 51 de la Charte des Nations Unies et a donné lieu à la réunion du Conseil de Sécurité qui a confirmé la légitimité de l’intervention française.
Certes la guerre est toujours haïssable, mais il est des guerres inévitables. Celle-là l’est, car elle répond à un souci de légitime défense non seulement de la part du Mali, mais aussi des pays d’Afrique sahélienne, y compris l’Algérie, et des pays européens clairement visés comme le nôtre par les menaces d’Aqmi.
Certes une solution politique partielle avec les groupes rejetant le terrorisme, eût été préférable, pour isoler les groupes terroristes et rétablir à moindre frais l’intégrité territoriale du Mali ce qui implique un modus vivendi durable entre les populations du Nord et du Sud du pays. Une telle perspective n’aurait pas dispensé, en tout état de cause, de réduire les éléments terroristes dans leurs repaires du Nord-Mali. Mais le choix d’Ansar El dine, groupe touareg fondamentaliste, de rompre toute négociation avec le MNLA et de se joindre aux groupes terroristes que sont Aqmi et le Mudjao, pour menacer Bamako et mettre à bas la République et l’Etat du Mali, ont rendu caduque une telle perspective.
Il n’était tout simplement pas possible de laisser se constituer sur les décombres de la République malienne un sanctuaire du terrorisme au cœur de l’Afrique.
La réactivité des forces armées françaises doit être saluée et hommage rendu à nos soldats tombés dans l’accomplissement de leur devoir, au service de la France.
On mesure à l’occasion de ces évènements l’intérêt des forces françaises pré-positionnées et l’erreur d’appréciation, que j’avais signalée lors de l’adoption du « Livre blanc », qui consistait à ne vouloir conserver qu’une seule base en Afrique. Heureusement il restait encore quelques forces disponibles à Dakar, à Ndjamena et en Côte d’Ivoire.
Bienvenue est l’arrivée de matériels – ERC Sagaïe et hélicoptères Tigre – assurant une meilleure protection à nos soldats.
Un mot d’abord sur les buts politiques de l’intervention :
Le Président de la République en a défini trois : arrêter l’agression terroriste, sécuriser Bamako, permettre enfin au Mali de recouvrer son intégrité territoriale. « La France a-t-il ajouté, n’a pas vocation à rester au Mali. Son but est de préparer la venue d’une force africaine, encadrée et soutenue par la communauté internationale, afin qu’il y ait au Mali des autorités légitimes, un processus électoral et plus de terroristes quand nous partirons ».
Constatons cependant que, pour le moment, la France se trouve seule en ligne avec ce qui reste des forces armées maliennes combattantes. C’est une réalité. C’est dans des moments comme ceux-ci que se révèle la réalité sur la base de laquelle les politiques doivent être construites.
Les troupes de la Cedeao mettront un certain temps pour monter en ligne. Cela dépendra beaucoup des moyens logistiques disponibles ou mis à disposition par nos alliés. Une partie de ces forces sera peu opérationnelle. Ces forces dans leur majorité, seront plus des forces de maintien de la paix que des forces d’intervention proprement dites. On peut espérer que certains pays comme le Tchad, le Niger ou la Mauritanie, pourront fournir des forces aguerries.
Sans être « aux abonnés absents », nos partenaires européens manifestent peu d’empressement à se joindre à nous. C’est à l’aune des réalités qu’on mesurera la pertinence des discours sur la « défense européenne ».
Espérons que le Conseil des Ministres des Affaires étrangères qui devrait se réunir demain, démentira le constat fait par un membre du gouvernement « d’une mobilisation un peu minimale de l’Union européenne » et de « certaines absences regrettables ». Je suis moins surpris que d’autres de cette carence.
Ainsi l’acquisition du troisième objectif fixé par le Président de la République risque de prendre du temps.
Or la France est engagée. Il vaut donc mieux frapper vite et fort pour dérouter l’adversaire et profiter autant que faire se peut, de l’effet de surprise. Ne nous laissons pas enliser dans le schéma peu opérationnel initialement prévu. Si les alliances doivent avoir un sens, c’est maintenant qu’elles doivent se manifester. En tout état de cause, il faut acheminer des renforts. Il ne faut pas attendre trop longtemps pour occuper les villes du Nord.
Une précaution indispensable : dissocier autant que possible les populations du Nord, Touaregs et autres, des éléments terroristes. En tout cas ne pas les solidariser. Éviter au maximum ce qu’on appelle les « dommages collatéraux ». Ne sous-estimons pas non plus la dimension ethnique du conflit. Il y a un problème touareg au Mali qui ne se pose pas d’hier puisque nous en sommes à la quatrième rébellion touarègue depuis l’indépendance en 1960.
Les autorités de Bamako doivent être fortement incitées à trouver un accord avec le MLNA et avec les éléments égarés d’Ansar El Dine qui réprouvent le terrorisme. L’objectif est la refondation démocratique du Mali. Celle-ci  sera d’autant plus facile que le rapport des forces aura évolué au détriment des groupes terroristes. Une certaine autonomie territoriale des provinces du Nord serait alors souhaitable. C’est le cœur des populations qui doit s’exprimer en faveur d’une telle refondation démocratique, au Nord comme au Sud. Nul ne peut ignorer que la répression des précédentes rébellions n’a pas laissé de bons souvenirs aux populations du Nord. Les ressentiments existants n’excusent d’ailleurs en aucune manière le massacre récent de soldats maliens.
Le problème touareg n’est pas propre au Mali. Les Touareg – environ un million de personnes – sont dispersés entre au moins six Etats : le Mali, le Niger, le Burkina-Faso, le Nigeria, l’Algérie, la Libye. Ils sont mêlés à d’autres ethnies, Arabes berrabiches ou chaambi, Noirs soyinkés, Peuhls, Bambaras, etc. Je doute pour ma part que les villes du Nord puissent être reprises sans l’appoint substantiel de militaires français.
Le problème de fond c’est plus que « le coup d’après », et le « billet de retour » de nos soldats, c’est le temps. Le temps dans ces espaces immenses qui vont de l’Atlantique à la Mer Rouge battus par non seulement par les vents de sable mais aussi par celui de contestations venues du fond de l’Histoire, bien avant la colonisation. Les frontières qu’ont tracées, il y a à peine un siècle, nos officiers n’ont pas encore été pleinement intériorisées par ces populations, même si la loi internationale, celle de l’ONU et celle de l’Union africaine, leur confère à juste titre un caractère d’intangibilité.
Les tribus touarègues par exemple se connaissent et s’interpénètrent par-delà les frontières.
Quoi qu’il en soit, la communauté internationale devra financer et mettre en œuvre un vaste plan de développement du Sahel. L’Europe pourrait montrer dans cette affaire son utilité.
Pour mettre avec nous le temps, nous avons, dans cette région du monde, un allié : c’est l’Algérie. C’est le seul grand Etat de la région sahélienne (je mets à part le Maroc situé plus à l’Ouest). Les autres Etats sont fragiles, y compris le Nigeria rongé par un mouvement djihadiste, le Boko Haram. On ne peut pas concevoir la paix et la stabilité de cette immense région sans l’Algérie dont l’armée, soit dit en passant, compte 300 000 hommes. L’Algérie a elle-même dû faire face, dans les années 1990, à la terreur islamiste. Elle a payé un lourd tribut au djihadisme. En ce moment même ses soldats doivent faire face à In Amenas à une tentative d’enlèvement concernant des Français, des Japonais, mais aussi des Britanniques.
J’entends s’exprimer ici ou là des critiques : « les terroristes auraient pu s’approvisionner en essence en Algérie, etc. ». C’est ne rien connaître à cette région que de penser qu’on puisse contrôler facilement des trafics d’essence. Aussi bien l’Algérie qui privilégiait la voie d’un isolement des groupes terroristes, a choisi clairement de leur fermer sa frontière, longue de 1200 km, avec le Mali. L’Algérie a autorisé le survol de son territoire par les avions français.
Au moment où le Président de la République, François Hollande, vient de déclarer, à Alger, le 20 décembre 2012, devant les deux chambres du Parlement algérien, vouloir « ouvrir une nouvelle page dans les relations entre la France et l’Algérie », il ne faudrait pas que ceux qui ne sont pas encore résolus à tourner la page, empêchent, par myopie, la construction au Sahel d’un espace pacifique, purgé du terrorisme. Celui-ci n’apporterait que malheur à la population de ces régions.
Nous comptons sur le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, sous l’autorité du Président de la République, pour bâtir un avenir partagé entre la France, l’Algérie et les pays africains amis. Cette vision politique est nécessaire pour résoudre les immenses problèmes qui se posent aujourd’hui à cette région, à commencer par celui de sa sécurité. Nous faisons confiance au gouvernement et à vous particulièrement, Monsieur le Ministre des Affaires étrangères, pour mettre en œuvre les médiations nécessaires, tisser les alliances, coordonner l’effort. Certes, c’est une tâche gigantesque mais le soutien du pays tout entier ne vous fera pas défaut si cet effort lui est convenablement expliqué, comme nous n’en doutons pas. »
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