C’était au lendemain de Paris-Roubaix. J’avais déjà fait quelques kilomètres sur mon vélo de course depuis Besançon pour rejoindre Laurent sur le sien (un « Time RXRS Ulteam »…) pas très loin de Rioz, chez lui en Haute-Saône.
Sur la route avec Laurent Mangel (Saur-Sojasun)
PHOTO © JL Gantner 04-2012
Nous avions convenu de cette « ballade » ensemble juste avant qu’il ne boucle ses valises pour la grande épreuve de ce dimanche de Pâques ; qu’il me raconte un peu cette « Dure des dures », cette route de légende que le coureur professionnel avait entrepris plusieurs fois déjà, mais sans savoir lors de notre conversation au téléphone, que cette édition 2012 resterait pour lui « un de ses plus beaux souvenirs de sa carrière ». Besançon, Marchaux, Chaudefontaine et puis Moncey… « Allo… Laurent. Oui, je suis en route. C’est-à-dire que pour l’instant j’ai le vent dans le dos alors tout va bien… » On s’est retrouvé disons vers Neuvelle-lès-Cromary. L’endroit ne vous dit peut-être rien. Un beau ruban d’asphalte gris clair au milieu des bois sur la départementale N°5. Une des routes très fréquentées par les cyclistes qui habitent les environs. Une des routes où Laurent Mangel s’entraine tout l’hiver pour ne pas rester trop éloigné de sa famille. Le coureur est arrivé avec son maillot d’équipe. Celui de la Saur-Sojasun qu’il portait dimanche sur les pavés lors de son incroyable « baroud » entre Paris et Roubaix. « Salut. Tu t’es reposé un peu ? » « J’ai encore un peu de courbatures mais ça va. Ça a été tellement vite ! Plus de 48KM/H dans la première heure de course… » On a commencé d’emblée à discuter de son week-end de « boulot extraordinaire » en pédalant vers l’Ouest… « Au départ de cette course, tout le monde veut rouler devant. Ce sont les consignes dans les formations. Pour des questions de sécurité, mais surtout si tu veux essayer de te battre pour le final, il n’y a pas vraiment d’autres solutions que de suivre la bagarre. Ça part à chaque kilomètre. À force, je me suis retrouvé dans la bonne »…
(Au KM 70, Le Haut-saônois s’échappe en compagnie de douze autres coureurs. Une virée fantastique » en tête sur 120KM)
Je crois qu’on dépassait juste le panneau de « Venise » à ce moment là de notre discussion. Venise… en Haute-Saône !… Quelques vallons à franchir avec le vent de face ce mardi 10 avril. Le compteur de Laurent indiquait à peine 120 pulsations… Une petite séance de récupération pour lui, avant de rejoindre son équipe sur la « Tro-Bro Léon » le week-end prochain en Bretagne. Une nouvelle manche de la Coupe de France professionnelle, pour tenter de conserver cette première place de la Saur-Sojasun au classement général par équipe. Le vent redoublait.
« Les gens ne voient souvent que les victoires, mais pour moi, cette échappée vaut tous les trophées, vraiment !… C’était une sensation indescriptible sur le vélo. Un souvenir que tu n’oublieras jamais ! » Le garçon originaire de Montigny-lès-Vesoul avait encore les yeux qui pétillaient d’un bonheur unique, deux jours après sa grande aventure, là-haut au milieu des cohortes de fans nordistes massés autour des pavés (une gente de supporters appartenant au décor depuis toujours et qui sait apprécier le spectacle d’un calvaire grandiose poussé jusqu’à son comble). Oui, cet homme-là avait cette sorte de visage serein, rassurant malgré la fatigue qui accompagne généralement les lendemains de batailles obstinées ; cette caractéristique calme et paisible qui sied si bien aux gens plutôt doués pour leur métier. Un Paris-Roubaix à grande vitesse, toute la journée à l’avant face aux caméras de télévisions.
« Je me disais que ma famille me voyait sûrement, je pensais à ma fille… à mon Grand père aussi. Je pense toujours à lui quand je cours, on va passer tout près de chez lui. C’est quelqu’un qui compte beaucoup pour moi. Je me dis quelquefois que je fais ça pour lui. Ça m’aide à tenir dans les moments plus difficiles. Je l’ai appelé comme je le fais d’habitude après l’arrivée sur le vélodrome. » « Attention, on tourne juste là. C’est serré ! » A Vieilley, après un angle droit, la route de Cromary s’élance plein nord vers l’Ognon. Le cours d’eau qui sépare la bise… d’un autre vent !… Peut-être ce secret dans les jambes du « rouleur ». Ces années passées sur la selle à lutter contre des vents contraires… Et cette entrée dans la trouée d’Arenberg ? Cette chute sur les pavés juste devant toi ? À la télé en tout cas, c’était assez effrayant !
« Je n’ai pas eu le temps d’avoir peur, on est entré à 52KM/H dans la Trouée. La route est un faux plat un peu descendant juste avant Arenberg. J’avais vu son vélo partir à droite et à gauche, puis tout s’est passé très vite. Je suis passé sur sa roue et je ne sais pas comment j’ai réussi à rester debout ?!… Il y a des jours ou tu n’as pas de chance, dimanche, j’avais de la chance, voilà ». Pérouse, Buthier…
« Le peloton nous a repris à 66 KM de l’arrivée, et puis Engoulvent a crevé. Je lui ai passé ma roue parce qu’il était mieux que moi à ce moment-là… J’ai dû attendre pas mal de temps la voiture de l’équipe qui était bien plus loin à l’arrière… Mais ce n’est pas très grave ». Laurent m’a longtemps parlé de son rôle de coéquipier qu’il endossait sans problème lorsqu’il le fallait. « Travailler pour un coureur, construire une véritable victoire d’équipe, j’aime bien ça ». On a continué de longer cette vallée de l’Ognon sous une sorte de ciel local en reflet d’aluminium pour nous escorter. Un vrai ciel de chez nous qui annonce la pluie, les trombes d’eau ! Un ciel de l’Est qui n’a quelquefois rien à envier à cet « enfer du Nord » dont on parle depuis tout à l’heure. On a décidé de se quitter avec une dernière photo, avant d’avoir à en découdre avec cette matière-là bien comtoise d’une belle bourrasque annoncée. Juste la photo-souvenir d’un lendemain de fête sur des pavés mythiques : « L’affaire » d’une grande échappée sur Paris-Roubaix, dorénavant inscrite dans nos mémoires sportives à la rubrique des « événements » dont on aimera plus tard se rappeler chaque détail de la belle aventure vécue par un grand champion cycliste franc-comtois ce Dimanche 8 avril 2012.
JL Gantner