L’été aurait pu être meurtrier pour Smovengo : fin juillet, Anne Hidalgo n’y croyait plus. Quelques semaines plus tôt, dans son bureau, elle avait passé un savon à Arnaud Marion, le nouveau président de Smovengo, recruté tel le capitaine Flam par des actionnaires déboussolés par l’incroyable échec industriel du Vélib 2. Une fois passé 20 minutes de colère froide bien légitime, Anne Hidalgo avait exigé des améliorations rapides. Mais là, fin juillet, la Maire de Paris ne voit rien venir : le tableau est toujours aussi noir et les rapports qui lui sont faits par les deux expertes de la ville de Paris chargées d’y voir plus clair dans la nébuleuse Smovengo sont tout aussi alarmants. On se dirigeait alors tout droit vers une exécution en place publique de Smovengo à la rentrée et à la résiliation du contrat, quitte à ranger Vélib au rayon des souvenirs du Paris d’avant. Une issue inimaginable lorsqu’on se souvient qu’en octobre dernier l’ensemble des élus de la métropole nous présentait fièrement le nouveau Vélib. Et puis Paris sans Vélib, ce n’est plus tout à fait Paris.
Et c’est précisément quand plus personne n’y croyait – et surtout pas les utilisateurs, dépités ou remontés selon les cas – que le service reprit du poil de la bête. Pas du jour au lendemain bien sûr. Mais progressivement, dans la torpeur du mois d’août. C’est à ce moment-là que les décisions et les priorités définies par Arnaud Marion fin juin, peu de temps après son arrivée, ont commencé à porter leurs fruits.
Avec Arnaud Marion, Smovengo modifie totalement sa stratégie de déploiement
La ligne définie par le nouveau PDG est claire : terminé le « quantitatif », place au « qualitatif ». Fini donc le déploiement à marche forcée, tel que pratiqué jusqu’au printemps par Smovengo (qui visait surtout à minimiser les pénalités de retard en livrant le maximum de stations le plus vite possible, ce qui ne faisait qu’empirer la situation), avec des totems, des bornes et des vélos pas ou peu opérationnels. Place à un resserrement du périmètre et une résolution prioritaire des problèmes les plus handicapants, à l’origine de 80% des dysfonctionnements : l’électrification des stations, la décharge de la V-Box et bien sûr le fameux bug cadenas.
Après les cales, dont je vous avais déjà parlé dans de précédents posts, ce sont des guide-roues (la version parisienne de la bornette imaginée par Smoove était la seule dépourvue de guide roue) qui sont testés, puis installés sur les bornettes. Aujourd’hui, 25% des stations sont équipées de guide-roues, et 30% de cales (avce un objectif à terme de 100%). Parallèlement, une version 3.16 est installée sur les V-Box. Et 25% des fourches sont remplacées par une version 4 plus robuste.
Grâce à ces améliorations, qui tiennent certes parfois plus du bricolage qu’autre chose mais qui ont le mérite de fonctionner, le taux de disponibilité des vélos bondit en août de 30% à 70%. Et le nombre de locations journalières passe de 7.000 à 15.000. Pour autant, tout n’est pas réglé : vous l’avez sans doute constaté par vous-même, beaucoup de vélos sont bloqués en station. En gros, 1 Vélib sur 4 n’est pas toujours pas empruntable, pour différentes raisons. Mais ceux qui sont fonctionnels roulent de plus en plus ! Et comme ils sont utilisés de plus en plus souvent (plus de 35.000 courses hier… réalisées par seulement 5.500 vélos), la chance que vous tombiez sur un vélo bloqué en station est d’autant plus grande, c’est statistique. Ce qui explique que l’on croise à la fois beaucoup plus de Vélib en circulation et, dans le même temps, qu’on ait ce ressenti que la plupart des Vélibs en station sont inutilisables.
La situation s’est améliorée mais il reste du chemin
Personnellement, j’ai repris mon abonnement Vélib dimanche dernier, 10 mois après la fin de mon précédent abonnement. Je n’en pouvais plus de ne pas pouvoir faire de vélo à Paris. Sur 7 tentatives, 5 ont fonctionné (en deux jours). Soit peu ou prou la proportion avancée par Smovengo, et confirmée par les statistiques en ligne sur le site https://velib.philibert.info/.
Du côté des stations, 1131 sont à ce jour sorties de terre, mais toutes ne sont pas opérationnelles : 200 d’entre elles doivent être électrifiées courant septembre puis intégrées dans le périmètre à disposition des utilisateurs en octobre. Deux scénarii sont à l’étude, et Smovengo n’a pas encore tranché : mise en service en masse de toutes les nouvelles stations ou mise en service progressive, par palier, comme c’est le cas pour les vélos depuis début juillet. Aujourd’hui, entre 7.000 et 10.000 vélos sont déployés (selon les sources), dont 1/3 de Vélibs électriques, remis en circulation cet été après un retrait en juin. L’objectif est désormais d’avoir 15.000 Vélibs à la Toussaint, avec un taux de 80% de vélos disponibles.
Objectif, déploiement à 100% le 31 mars… 2019
Du côté de l’hôtel de ville de Paris, l’ambiance a changé du tout au tout, en l’espace de quelques semaines. « Désormais, Smovengo tient ses promesses, et ça c’est nouveau. Je reste très attentive au dossier, mais on peut désormais y croire », me confiait il y a quelques jours Anne Hidalgo. Arnaud Marion, que j’ai également rencontré, a donc réussi sa première mission : sauver la tête de Smovengo. Bien aidé par la bourrasque Autolib’ en juin, il a pu travailler dans un climat un tantinet plus serein, débarrassé d’une bonne partie de la pression médiatique auquel faisait face son prédécesseur, Jorge Azevedo. Mais ne nous leurrons pas : le chemin est encore très long pour arriver aux 1.400 stations et aux 20.000 vélos… censés être opérationnels depuis le 31 mars dernier. En tout cas, c’est le contrat qui le dit. Désormais, les différents acteurs du dossier tablent sur un déploiement à 100% au 31 mars 2019… avec donc tout juste un an de retard. Les Parisiens, longtemps en pleine crise de nerfs, auront-ils encore assez de patience pour attendre encore 6 mois ? Il va falloir reconquérir toutes celles et tous ceux qui, dépités, ont juré de ne plus monter sur un Vélib de leur vie, préférant s’acheter un vélo personnel ou utiliser ponctuellement les vélos en free floating. Les usagers et les maires de banlieue, eux, n’en peuvent plus d’attendre leurs vélos et/ou stations. Il serait temps de penser à eux. Car ce Vélib 2 était aussi censé rapprocher les communes de petite couronne avec une solution de transports rapide et écolo, grâce au Vélib électrique. À l’heure actuelle, ce n’est toujours qu’un vœu pieu.
Bertrand Lambert @B_Lambert75
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