09 Sep

Les enjeux du pass unique

Depuis le 1er septembre, l\’Île-de-France vit sa deuxième révolution des transports, 40 ans tout juste après la création de la carte Orange, lancée en 1975 pour accompagner le développement des premiers RER. Cette fois, les élus ont anticipé de plusieurs années le lancement du Grand Paris Express, le futur métro souterrain automatique en rocade autour de la capitale qui aurait définitivement rendu caduque la tarification en zones (de 1 à 5).

Après les week-ends, les petites vacances, les grandes… Voici le pass navigo définitement dézoné, avec un prix unique, celui de l\’ancien pass zone 1-2. 70 euros par mois pour voyager en Île-de-France, le tarif est imbattable, faisant de la région l\’endroit avec le réseau de transport en commun le plus dense au monde, mais aussi le moins onéreux. Les usagers abonnés au pass unique ne paieront plus en moyenne que 20 à 30 % du coût réel de leurs déplacements. Avec à la clé, chaque jour, des milliers de trains, de RER ou de bus à destination de l\’ensemble du territoire francilien, maillé de jour comme de nuit. La SNCF estime que voyager avec le Transilien sera 5,5 fois plus économique que la voiture, voire 11 fois moins cher pour les salarié(e)s qui bénéficient du remboursement de 50 % via leur employeur.

Le pass unique n\’a pas été lancé du jour au lendemain : le STIF et les opérateurs travaillent sur le sujet depuis plusieurs mois, mais de nombreuses questions restent pourtant en suspens. Quid de l\’augmentation du trafic ? Quid du coût et de la pérennité de la mesure ? Quid des investissements ?

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Quid de l\’augmentation du trafic ?

Aussi incroyable que cela puisse paraître, personne n\’a la moindre idée du nombre de voyageurs supplémentaires que le pass unique va engendrer, et notamment en grande couronne où le tarif de l\’abonnement a littéralement fondu avec une économie de 2,30 euros par mois (pour les zones 3 à 5) à 39,50 euros (pour les zones 1 à 5, soit 435 euros sur une année pleine).

Les usagers jusqu\’alors réticents à emprunter le Transilien vont-ils délaisser leur voiture pour se rendre à leur travail ? Dans quelle proportion ? La fusion des zones va-t-elle faire évoluer les trajets ? Toutes ces questions aujourd\’hui sans réponse sont pourtant essentielles au bon fonctionnement du réseau. Avec déjà deux millions de trains et plus d\’un milliard de voyages par an, le Transilien n\’a plus beaucoup de marge, notamment aux heures de pointe. Pendant ces heures critiques, un train entre ou quitte une gare francilienne toutes les secondes : difficile de faire plus. Le pass unique pourrait donc se traduire par une dégradation des conditions de transport aux heures critiques, si d\’aventure les rames, déjà souvent bondées, étaient prises d\’assaut dès leur gare de départ en grande couronne.

La question est prise très au sérieux par la SNCF qui a pris les devants en installant dès le printemps dernier des capteurs (censeurs thermiques, des capteurs Wi-Fi, des vidéos 3D, tapis de comptage) dans cinq gares tests. L\’idée est de faire, grâce aux données collectées, une photo des flux avant et après le lancement du pass unique. Les gares choisies (Bois-Colombes, Le Stade, Colombes, Melun et Choisy-le-Roi), l\’ont été pour leur potentielle sensibilité au changement tarifaire : Melun en grande couronne ; Le Stade, Colombes et Bois-Colombes dans l’hypothèse d’un report de flux du métro (ligne 13) vers le train ; et Choisy pour son potentiel de hausse de fréquentation en zone 3. Il faudra maintenant attendre la fin de l\’année pour avoir en main la nouvelle carte des flux entre Paris et la proche/grande banlieue. L\’adaptation de l\’offre (du nombre de trains) sera proposée en janvier. D\’ici là, la SNCF, comme le STIF d\’ailleurs, croise les doigts.

Quid du coût  ?

Là aussi, c\’est la grande inconnue. Les chiffres avancés par les uns et par les autres varient du simple au double parfois. Car si l\’économie réalisée par les usagers sur leur abonnement est facile à évaluer, et donc le manque à gagner théorique, le baisse réelle des recettes, elle, est difficile à établir. Un rapport soumis en février au Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF) estime à 181 millions d\’euros la perte de recettes cette année et à 485 millions d\’euros pour 2016. Mais si des centaines de milliers de voyageurs supplémentaires, ou d\’anciens fraudeurs, se décidaient à passer au pass unique, ce seront des dizaines de millions d\’euros de plus pour les caisses du STIF. Cet été, le dézonage du passe Navigo a séduit 700.000 nouveaux voyageurs et lorsqu\’on sait que 1 % d\’usagers supplémentaires rapporte en moyenne 80 millions d’euros de recettes, on se dit que la facture sera sans doute moins salée que prévu.

Parallèlement, de nouveaux financements ont été votés, notamment la hausse du versement de l\’allocation transport payée en Île-de-France par les entreprises de plus de 11 salariés (mesure potentiellement neutre pour elles, puisqu\’elles auront moins à rembourser à leur salarié du fait du tarif unique). Un retour de la TVA à 5.5 % (au lieu de 10 %) pourrait aussi dégager des recettes. Tout comme l\’éventuelle taxation des bénéfices de la RATP qui échappe aujourd\’hui à la fois à l\’impôt sur les sociétés et au versement de dividendes à l\’Etat. Le financement pour 2016 reste malgré tout assez flou, comme le regrette la plupart des associations d\’usagers. Il reviendra donc à la prochaine majorité au conseil régional de trouver de nouveaux financements.

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Quid de la pérennité de la mesure ?

C\’est une question qui découle de la précédente. Le pass unique a été voulu par les Verts, puis repris par le PS à l\’occasion de l\’accord électoral de l\’entre-deux-tours de 2010, combattu puis finalement soutenu par la droite. Quel sera son avenir à l\’issue des prochaines régionales ? Les futurs élus trouveront-ils les financements nécessaires ? Et que se passera-t-il lorsque le métro du Grand Paris fera ses premiers tours de roue autour de Paris ? Le pass unique à 70 euros a du plomb dans l\’aile… Son tarif augmentera forcément à un moment ou à un autre, du fait des charges supplémentaires engendrées par l\’extension du réseau. Les experts estiment que la seule mise en exploitation des nouvelles lignes du Grand Paris Express accroîtra mécaniquement les dépenses d\’exploitation de 2 milliards d\’euros, une somme qu\’il faudra bien répercuter quelque part. Réponse dans une petite dizaine d\’années.

Quid des investissements ?

C\’est le principal reproche fait au pass unique : il va priver le STIF de recettes au moment même où la SNCF et la RATP sont engagés dans des travaux de développement et de remise à niveau du réseau jamais vus depuis l\’après-guerre, on l\’a encore vu cet été avec les fermetures simultanées des tronçons centraux du RER A (RATP) et du RER C (SNCF). La SNCF a ainsi investi en 2015 1,1 milliard d\’euros pour réaliser 218 chantiers sur les lignes existantes du Transilien et du RER. C\’est quatre fois plus qu\’en 2011. Et ce montant va encore doubler d\’ici 2018.

Officiellement, le pass unique n\’aura pas d’incidence sur les investissements, théoriquement sécurisés à la fois par le contrat de plan Etat-Région et par la loi (en ce qui concerne le Grand Paris Express). Une version qui ne convainc ni les associations d\’usagers, ni l\’opposition. Les opérateurs, eux, essaient de se montrer rassurant : la SNCF a ainsi réalisé sur ses fonds propres 300 millions d\’euros de travaux en 2015 sur le réseau Transilien. Un chiffre qui ne dépend pas des dotations du STIF.