Pour son 20e album, Springsteen retrouve son groupe mythique The E Street Band. 12 titres enregistrés dans son studio du New Jersey quasiment en live. En ces temps où beaucoup de choses se délitent, écouter ce nouvel album amène une certitude : Bruce Springsteen est bien redevenu le Boss.
I’m alive and I’m coming home
Dans un New Jersey rudement touché par la pandémie, Bruce Springsteen est toujours vivant et il revient à la maison. Sa maison c’est aussi le E Street Band, son groupe habité par le son du bon vieux rock-blues américain. Et quand la formation prodige revient chez elle, l’esprit demeure. Les musiciens sont excellents, ça déménage à tous les niveaux, les arrangements sont classiques mais riches et efficaces. Reste le Boss. Du haut de ses 71 bougies, Springsteen a gagné en fragilité, en sensibilité. Dès le premier morceau « One minute you’re here », on entend d’abord le souffle, et sa voix émouvante, terriblement humaine, vibrante, déchirante. Le « Boss » se ballade dans toutes les nuances. Une intro et un dernier morceau « I’ll see you in my dreams » pour rappeler que la vie peut s’éteindre à tout instant mais que les morts continuent de nous accompagner.
Springsteen revient aux fondamentaux avec une certaine nostalgie. Comme une réunion de vieux potes pour voir si tout fonctionne encore, si les cow-boys peuvent toujours braquer la banque. On pense à « Born to Run », enregistré en 1974 mais en beaucoup plus spontané et moins « cuivré ». La fougue, la fièvre, la tension électrique brûlent toujours, comme sur le magnifique « Burnin’train ». Un train lancé à fond, soutenu par la batterie, éclairé par les guitares au très beau son et conduit de voix de maître par Springsteen. Mon préféré de cette nouvelle production.
« Letter to you » dévoilé il y a quelques semaines et qui a donné le titre de l’album est de la même veine. Les vieux démons -mais surtout l’esprit des défunts- rodent toujours à l’instar des « Ghosts » qui viennent habiter ardemment la maison.
« Letter to You est une réflexion et une méditation sur le temps qui passe, la perte d’amis et comment cela vous affecte en vieillissant. Et en même temps, il s’agit d’une célébration du fait que le groupe continue et que nous portons l’esprit des absents avec nous« , a déclaré Bruce Springsteen au micro de Zane Lowe sur Apple Music.
Des reprises de morceaux inédits des années 70
Et comment ne pas faire nostalgique lorsque l’on reprend des titres comme « Janey needs a shooter » que Springsteen avait écrit avec Warren Zevon au tout début de sa carrière. Springsteen a longtemps voulu enregistrer ce morceau mais il n’a jamais été satisfait du résultat. Warren Zevon décédé depuis s’y était attelé et Springsteen avait trouvé les arrangements intéressants. Orgue Hammond rutilant et harmonica enflammé.
Tout aussi mythique et mystique, toujours écrit dans les années 70, le titre « If I Was the Priest » aux accents très dylaniens, interprété avec une voix à la fois puissante et fragile pour faire place à l’émotion. Un titre écarté de son premier album Greetings From Asbury Park N.J. paru en janvier 1973.
Même époque pour « Song of orphans ». Les fans invétérés connaissent cette chanson étant donné qu’une version studio pouvait se trouver.
Dans les reprises, comme dans les créations, dans les ballades comme dans les rocks enfiévrés, cet album signe le retour du Boss dans ce qu’il sait le mieux faire : du bon vieux rock avec des musiciens hors pair. « Je suis au milieu d’une conversation de 45 ans avec ces hommes et femmes qui m’entourent« , rappelle t-il dans cet article de Francetvinfo. « Nos années à jouer ensemble ont créé une efficacité en studio. Les idées fusent dans la pièce. La confusion règne souvent. Et puis soudain, dynamite!« . Explosif mais pas de surprises, ni de révolution, dans cet album « Letter to You ». Juste le plaisir de constater que tout vieillit bien, sans altération, sans artifice pour le masquer. Vocalement même, l’émotion et l’humanité de Springsteen sont encore plus prégnantes.
ITV en intégralité de Springsteen par Zane Lowe pour Apple music
Benoît Roux