22 Oct

Qui est derrière « Rockstars du Moyen-Âge », un titre du dernier album de Francis Cabrel ?

Comment Francis Cabrel -le chanteur respecté mais discret- est-il devenu défenseur des régions, admirateur des troubadours occitans, pourfendeur du jacobinisme français? Avec son dernier album, l’artiste est sorti de sa réserve avec des mots très explicites. Derrière cet engagement symbolisé par la chanson « Rockstars du Moyen-Âge », il y a plusieurs artistes dont Jean Bonnefon.

Francis Cabrel et Jean Bonnefon sur scène Octobre 2017

Le journaliste de France Bleu et chanteur occitan Jean Bonnefon est un ami de Francis Cabrel. Voilà presque 40 ans qu’ils partagent une belle amitié pas seulement artistique. Enraciné à Astaffort (47), Francis Cabrel sème des graines d’artistes et les fait grandir avec les « Voix du Sud », des rencontres artistiques régulières dont le président n’est autre que … Jean Bonnefon! 

Quand le groupe périgourdin « Peiraguda » fête lui aussi ses 4 décennies, Francis Cabrel est invité à partager la scène avec Jean et ses complices. Il y a aussi le chanteur de l’emblématique groupe Nadau. Jan de Nadau, Jean Bonnefon et Francis se connaissent bien et leurs points de vues sont souvent communs. Ils se reconnaissent dans ces phrases délivrées par le chanteur lors du JT de France 2 le 18 octobre 2020.

Le français a tout écrasé, et surtout s’est extrêmement centralisé. Il faut qu’on retrouve nos caractères profonds, chaque région a ses coutumes, sa langue, sa cuisine, ses paysages, il faut appuyer là dessus.

Un engagement progressif

Ces mots peuvent surprendre, de la part d’un artiste très respecté mais tout autant discret dans ses engagements. Au travers de sa poésie, pointent souvent les valeurs écologiques. Sous jacentes aussi les critiques fleuries de la société moderne. L’air de rien, au travers des mots, respirent souvent des messages discrets. En 1983, la chanson « Les chevaliers Cathares » ironise sur ces 3 statues en ciment à l’esthétique douteuse qui bordent « l’autoroute des 2 mers ». Cabrel soupçonne son auteur d’être « du dessus de la Loire ».

Les chevaliers Cathares
Pleurent doucement
Au bord de l’autoroute quand le soir descend
Comme une dernière insulte
Comme un dernier tourment

Cette chanson de 1983 marque son premier engagement régionaliste artistique. Mais la langue occitane n’est pas encore là. Francis Cabrel déclare dans l’émission de France 3 « Viure al pais » en 2018 : « Je suis né dans des rues où l’on parlait occitan. … Je ne l’ai pas étudié, puis je m’en suis éloigné. Au fil du temps j’ai rencontré des amis qui s’y intéressaient beaucoup et qui petit à petit m’ont convaincu de m’en rapprocher. » 

Au début de sa carrière, Cabrel dit volontiers : « Je suis un fils d’immigré italien qui vit en Occitanie, qui chante en français des chansons américaines ».

En 2015 paraît son avant-dernier album « In Extremis ». L’occasion d’une nouvelle ode à l’écologie, à la diversité en général et celle des langues en particulier.

Francis Cabrel au « 40 ans de Peiraguda » – In extremis

Les mots se font alors plus abrupts. Dans la chanson qui a donné son titre à l’album, Cabrel parle d’un « génocide par précaution » de la langue occitane à la faveur de la française. Dans une interview à Paris-Match il déclare : « C’est une chanson sur la langue occitane que je défends. Le français l’a piétinée et, pour être sûr de son hégémonie, on en a fait table rase. On peut voir cette chanson comme un hymne à tous ceux qui résistent et qui arrivent à avoir gain de cause. »

2017, « Peiraguda » fête ses 40 ans. Evidemment, Francis Cabrel est de la fête, avec Jan de Nadau et « Los Pagalhos ». « Là, il a vu que cette culture, cette langue, étaient encore vives et que l’on pouvait faire de belles choses. Les 2 soirées qui ont suivi les concerts l’ont peut-être fait réfléchir et achevé de le convaincre », suggère Jean Bonnefon.

Peiraguda, Francis Cabrel, Jan de Nadau – Mon dieu que j’en suis à mon aise

 

Pour défendre son nouveau disque « A l’aube revenant », il n’hésite pas à passer des paroles aux actes en déclarant au journal de France 2: 

Je suis du Sud, partout c’est l’Occitanie autour de moi, des gens se battent pour la langue occitane et je suis à leurs côtés

La découverte des Troubadours, ces « Rockstars du Moyen-Age »

Amoureux des Lettres, Francis Cabrel ne pouvait pas passer à côté des troubadours ces grands poètes, musiciens et interprètes apparus au XIe siècle. A l’époque, ils ont d’abord écrit en occitan et tout ce pan de culture a été diffusé dans les plus grandes cours européennes. A Toulouse, les Troubadours sont Fabulous et Claude Sicre va faire des émules dans le Lot-et-Garonne. Jean Bonnefon raconte : « Claude est venu à Astaffort chez Francis Cabrel pour enregistrer des chansons réalisées par le guitariste et arrangeur Freddy Koella (grand musicien qui a joué avec Bob Dylan, Willy Deville, … ex-membre de Cookie Dingler). Claude Sicre lui porte alors plein de livres sur les troubadours ».

Une chose attire particulièrement l’attention du chanteur; une phrase précisément d’un texte de troubadour : « Se as pas res, as pas res a perdre » (si tu n’as rien, tu n’as rien à perdre). Cabrel, grand fan de Dylan que l’on qualifie volontiers de « troubadour » trouve là une résonnance de la célèbre chanson « Like a Rolling Stone » : « When you ain’t got nothing, you got nothing to lose ».  Plus qu’une simple coïncidence. 

Cabrel tombe sous le charme de ces écrivains. Il achète d’autres livres pour approfondir ses connaissances. Il reconnaît volontiers connaître leur existence mais découvre la beauté et la profondeur de leur littérature. « Il projetait même de consacrer tout son nouveau disque à ces poètes« , précise Jean Bonnefon. Finalement, il y aura 4 titres du nouvel album qui y feront référence.

En 2018, Claude Sicre invite l’artiste à se produire sur la scène de l’Estivada, le festival occitan de Rodez. Il y chantera son répertoire en français, mais aussi en occitan grâce aux traductions de Jean Bonnefon. Il accompagnera les enfants de la calandreta (école en occitan) pour une version en occitan de sa chanson « Il faudra leur dire ». Il se livrera aussi à une joute verbale et poétique avec Claude Sicre avant de présenter une nouveauté : « Rockstars du Moyen-Age ». Le titre de la chanson et l’expression viennent de Claude Sicre. De l’aveu même de Cabrel :  « il m’a donné la phrase qui a mis le feu aux poudres. »

Francis Cabrel à l’Estivada (Rodez) 2018

La version que l’on écoute aujourd’hui sur le nouveau CD est différente de celle de 2018.

Rockstars du Moyen-Age et la recherche des 3 S

Un jour, le natif d’Agen appelle le Périgourdin Jean Bonnefon. « Je vais t’envoyer un texte. Je voudrais que tu en traduises une partie… » Le co-fondateur de « Peiraguda » va faire une adaptation du texte en français plus qu’une simple traduction. « Quand je lui ai montré le texte, ça n’allait pas. Ca ne sonnait pas assez car chez Francis, il faut toujours qu’il y ait les 3 S : du Sens, du Son et du Swing!  » Jean cherche alors la bonne formule, pour la rime, pour le rythme inhérent du mot. Pour traduire « Moyen-Age », il prend quelques libertés en écrivant « Media d’Atge » au lieu de « Edat majana ». « Ca sonne quand même mieux »! Il fait d’ailleurs valider son travail par Daniel Chavaroche et Jean-Michel Espinasse, 2 références gasconne et languedocienne de la langue occitane. A l’arrivée, le refrain et un couplet en occitan. Une première pour Cabrel. 

Francis Cabrel – Rockstars du Moyen-Age

Depuis, les messages de félicitations abondent et l’émotion gagne : « Quand il m’a demandé pour la première fois d’écouter l’enregistrement, c’était déjà très émouvant de l’entendre en occitan. Mais quand Francis cite les troubadours lors d’un couplet, j’avoue qua ça m’a donné le frisson ». 

De là à imaginer une suite…? « Je ne sais pas s’il y en aura une. Mais on continuera de lui souffler des choses à l’oreille » ! Le souffle poétique, puissant et inaltérable des troubadours.

Benoît Roux