Bruniquel, aux confins du Quercy, un petit village d’à peine 600 habitants. Sur les hauteurs qui surplombent la rivière Aveyron, 2 châteaux des XII et XVIIème siècles sont le théâtre d’un festival lyrique. Tous les ans, une joyeuse équipe composée de professionnels mais aussi de personnes des alentours monte un nouvel opéra tiré de l’œuvre de Jacques Offenbach. A partir du 30 juillet, 9 représentations de « La Grande Duchesse de Gerolstein » sont prévues. Un petit miracle qui mérite bien une rencontre avec ces artistes.
L’histoire d’une rencontre
« Le festival des châteaux » de Bruniquel (Tarn-et-Garonne) existe depuis 1997. On le doit à un artiste -le ténor Franck T’Hézan- qui a su convaincre Michel Montet le maire de l’époque. Une idée un peu folle qui consiste à monter chaque année des opéras d’Offenbach avec les moyens du bord. La volonté locale et les références nationales -voire mondiales- de Franck T’Hézan ont fait le reste. Le chanteur est né à Bordeaux, puis sa famille est venue s’installer dans les bois de Bruniquel, juste en face des châteaux. L’artiste a chanté dans les salles les plus prestigieuses (Shanghai, Paris, New-York…) participé aux plus grands spectacles lyriques, fait des « prime-time » pour la télé, mais c’est à Bruniquel qu’il a choisi d’installer cette manifestation.
Et depuis 1997, ça fonctionne. « On a évolué mais l’esprit de troupe du début est restée. On a toujours cette ambiance familiale, artisanale… Le succès? C’est un tout. C’est Offenbach, la qualité de notre prestation artistique… Y aussi le château qui est formidable, le village qui est très beau, l’accueil de la population qui est assez exceptionnel et le plaisir de tous se retrouver ici. C’est une véritable famille. »
Tous les ans un nouvel opéra du plus allemand des compositeurs français. Pourquoi Offenbach? Parce que les meilleurs spécialistes du compositeur sont des amis. Ils se retrouvent avec grand plaisir chaque année pour monter une nouvelle pièce. Et comme Offenbach est un compositeur plutôt joyeux à la musique enjouée, la « Compagnie de la Tour Brunehault » (du nom de la plus ancienne partie du château) s’est sentie en osmose.
Des équipes composées pour l’occasion
Ici, ce n’est pas l’Opéra de Bastille, ni celui de Paris ou de Lyon… pas plus celui du Capitole. Pourtant sur scène, c’est bien une prestation professionnelle que l’on voit. Franck T’Hézan a d’abord choisi un chef d’orchestre qui est une référence mondiale pour Offenbach. Jean-Christophe Keck est à la tête de plusieurs formations. Il prend chaque année plusieurs musiciens pour participer au festival. Il y a des Italiens haut-alpins qui viennent de Turin, des membres de l’Orchestre Pasdeloup et des musiciens locaux. En tout, une douzaine de musiciens, ce qui correspond presque à la formation initiale dont disposait Offenbach au moment de la création en 1867. « On reste proche de la partition originale. Il nous manque cordes et c’est tout. On arrange un peu la partition. Comme ce sont des très bons professionnels, en 3 jours nous montons la partition et nous sommes prêts pour accompagner les chanteurs ».
Tout ceci compose l’Ensemble Instrumental de Bruniquel. On y retrouve une autre spécialiste d’Offenbach : la chef de chant et pianiste Yoshiko Moriai. Les chanteurs (es) sont eux aussi des artistes de renom : Emmanuelle Zoldan qui tiendra le rôle de la Grande Duchesse, Xavier Mauconduit (soldat Fritz) , Michel Vaissière (général Boum), et Aurélie Fabre (Wanda) pour ne citer qu’eux, sans oublier Franck T’Hézan évidemment.
Et que serait Offenbach sans les parties dansées? Ici ce n’est pas « La Vie Parisienne » et son célèbre French Cancan, mais plusieurs danses viennent rythmer cet opéra-bouffe. La chorégraphe Véronique Willig a posé ses pointes pour l’occasion et fait répéter des jeunes danseuses. « Ici on s’éclate, on retrouve son âme d’enfant. Nous avons une liberté totale. On peut aller très loin dans le clownesque. C’est ma fontaine de jouvence le festival. C’est excellent ! Monter une telle pièce en deux semaines et demie. Pour les chanteurs, les danseurs, les techniciens, les costumiers, les couturières…C’est un énorme barnum en fait. » Les filles n’ont que quelques jours pour répéter. Mais sur scène, les tenues d’apparat seront magnifiques.
Des costumes prestigieux vus dans les plus grands films
Nous sommes au second empire, à l’époque de Napoléon III. La Grande Duchesse de Gerolstein (petite ville allemande dominée elle aussi par son château médiéval) possède sa propre armée. Les habits se réfèrent bien évidemment à cette époque mais beaucoup de libertés sont prises. On distingue 3 groupes de militaires, sachant que beaucoup de femmes sont habillées en homme :
- Les révolutionnaires
- les filles militaires (un côté Guignol)
- militaires danseuses (habillées en pirates)
Si vous allez au « Festival des Châteaux », certains costumes vous seront sans doute familiers. Ils ont été loué chez l’un des spécialistes mondial du costume de cinéma : l’espagnol Cornejo. On les a vus dans certains films d’époque comme « La Révolution Française » de Robert Enrico qui a tourné aussi « Le vieux fusil » aux châteaux de Bruniquel. D’autres ont servi pour incarner Napoléon, se sont fait remarquer pour « La Favorite » ou encore « Hook ou la revanche du capitaine Crochet » pour les enfants. C’est Guillaume Attwood qui réadapte tous ces beaux vêtements avec l’aide de couturière bénévoles. « On choisit une époque avec le metteur en scène Franck T’Hézan, on se met d’accord sur un style et ensuite on ajuste les costumes. Cette année j’ai beaucoup travaillé sur les femmes qui sortent complètement de l’époque. On est partis sur du noir et blanc très graphique. » Rien n’est laissé au hasard et on s’amuse beaucoup. Même s’il n’y a que 2 semaines pour essayer, réajuster, rajouter des accessoires. Sans compter maquillage et coiffage et une photo pour immortaliser tout ça.
Le festival développe des partenariats avec des écoles comme l’Ecole Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre de Lyon. Plusieurs élèves sont là pour valider une formation. On retrouve aussi du personnel habitué des loges du Théâtre du Capitole. Un travail minutieux pour parfaire des perruques, réaliser des coiffures, des masques avec le maquillage. Du plus bel effet pour la soixantaine de participants.
Extrait du spectacle 2018 « Geneviève Brabant »
La convivialité en plus
9 représentations sont prévues les 30 et 31 juillet puis les 1, 2, 5, 6, 7, 8, et 9 août. Une véritable gageure pour cette troupe non permanente et pas entièrement professionnelle. Pour les répétitions, ça travaille dur et ça rigole tout autant. Une bonne humeur et une convivialité qui est le reflet de la personnalité de Franck T’Hézan, le metteur en scène et directeur artistique.
L’originalité de cette manifestation : les fameuses tables d’hôtes juste après les représentations où les artistes et le public partagent un repas mais aussi la scène. Un coup de fourchette à la bonne franquette qui donne le ton à ce festival atypique. « On dresse des tables dans le cour des châteaux juste après le spectacle. Le public se joint aux artistes. On fait un petit « vesprail » comme on dit en occitan. A la fin, les artistes montent sur une scène improvisée et on tape le bœuf comme disent les musiciens rock! ». Et des moments inoubliables sur scène avec de belles découvertes. Faute de grands moyens, les organisateurs regorgent d’idées. Le festival propose également de devenir Mécène. Depuis le début de l’aventure, 1200 généreux donateurs ont permis à cette manifestation de se développer et au petit miracle artistique de se perpétuer.
Quant à l’histoire de « La Grande Duchesse de Gerolstein », sachez que la Dame est plus passionnée par le prestige des uniformes que celui de la politique. Elle tombe amoureuse d’un simple soldat (Fritz) qu’elle promeut au grade de général en chef de ses armées. Mais il s’avère être un peu idiot, ce qui sera propice à des épisodes rocambolesques. Si les murs des châteaux ont vécu des épisodes tragiques avec le film « Le vieux fusil », place au rire, la bonne humeur et la convivialité chères à ce festival.
Reportage France 3 : B. Roux JP Duntze S. Lebéon
Site du festival festival@bruniqueloff.com
L’œuvre d’Offenbach peut-elle encore être d’actualité ?
Benoît Roux