Les Sparks auraient dû être un groupe culte mais ils ne se prennent pas au sérieux. Ils auraient pu défier la chronique comme d’autres fratries célèbres (Oasis, Kinks). Mais autant les frères Mael sont extravagants ou inquiétants en public, autant leur vie privée est discrète. Créatifs et toujours inspirés, ils sortent un 24ème album qui brille entre rock loufoque, pop sophistiquée et électronique soignée.
Une panoplie très baroque
A l’image de leur personnalité plutôt exubérante, leur musique est tout autant colorée et variée. Sous couvert de délire, leur talent est sérieux. Qui peut se vanter d’avoir toujours la pêche et l’envie à 74 et 72 ans. Côté voix, le cadet Russell a toujours son falsetto mais ni ses capacités vocales, ni son humour n’ont été altérées. Un petit côté Beatles, un chouia de Freddy Mercury dans le délire et les aigus, des chœurs perchés, tout ceci sonne cabaret, mi lyrique mi mélodique dans un bric-à-brac sonore. A tel point qu’on prendrait ces Américains pour des Anglais !
Côté compositions, c’est toujours très riche et éclectique. Du rock soft, un sens mélodique évident, des espèces de refrains obsédants, proches des hymnes, leur pop électronique est attachante et leur créativité débordante. Leur musique est comme un tableau, composé de différentes couches où il faut s’y prendre à plusieurs reprises pour percevoir les profondeurs.
« A Steady Drip Drip Drip » : un éclectisme ennivrant
Ce 24ème opus pourrait être un album de jeunesse tant les 2 compères Mael osent, sans trop se poser de questions. Début cuivré pour le premier morceau « All That ». De la simplicité, un hymne en puissance, guitare batterie très simples, quelques nappes de claviers pour élargir. On se surprend à chanter dès le 2ème refrain. Un travail d’orfèvre, de la dentelle crochetée patiemment, sans jamais se prendre au sérieux, avec des textes très aiguisés à l’humour saignant. Et toujours des effets sur les voix qui donnent un petit côté théâtrafaçon Bowie ou Mercury.
Vient ensuite le déroutant « Lawnmower » au style très répétitif et obsédant mais très travaillé avec des claviers en contrepoints. Et comme souvent chez les Sparks, le morceau qui se barre tout d’un coup dans une autre galaxie au travers du temps. Le clip est aussi bien barré!
« Sainthood is not Your Future » lui aussi aux allures d’hymne, la guitare rythmique en avant, des bruitages élaborés. « Pacific Standard Time », plus posé, voix assurée et perchée, claviers cristallins, à chaque morceau, on peut mesurer la créativité du duo.
S’il fallait extraire un joyau : « Left Out in the Cold », morceau parfait à la rythmique peinarde, mélodie imparable et la voix de Russell qui s’amuse. Un titre très dansant, avec un pont musical, des ruptures et le rythme qui reprend de plus belle. De la haute-couture musicale très efficace qui fait penser aux Talking Heads.
Un album riche, à la pop éclairée et flamboyante. 14 titres, dont le dernier sous forme d’apothéose : « Please don’t fuck my world », le développement durable vu par ces Laurel et Hardi de la chanson, avec des chœurs d’enfants. Effet garanti.
The Sparks Don’t fuck my world
Des Américains amoureux de la France
Nos deux lascars sont en plus des amoureux de la France. Dans leur album précédent, une chanson sur Edith Piaf, ici un peu de Champs-Elysées. Ils citent aussi volontiers Serge Gainsbourg ou encore Johnny parmi leurs références. Mais c’est avec les Rita Mitsouko qu’on les a vu chanter sous la douche en 1988. Ils sont d’ailleurs toujours en relation avec Catherine Ringer.
Sparks – Rita Mitsouko « Singing in the Shower »
Et puis il y a ce film « Annette » qui devait être présenté en avant première à Cannes. Un film signé Leos Carax qui avait déjà utilisé leur musique. Une comédie musicale où l’on retrouve la chanteuse Angèle aux côté de Marion Cotillard. Les frères Mael qui sont à l’origine du projet assurent la BO.
Bref, on n’a pas fini d’entendre parler de ces 2 hurluberlus de la musique. Au cinema ou au travers de la musique, leur univers plein de malice, leur pop déjantée façon music-hall baroque fait du bien.
Benoît Roux