Jane Birkin n’avait plus sorti de disque depuis 2008. Grâce à Etienne Daho, elle renaît aujourd’hui artistiquement avec l’album Oh ! Pardon tu dormais… Tous les ingrédients de son mentor Gainsbourg sont là : orchestre classique, pop élégante, voix parlée chantée, clins d’œil à l’album mythique Melody Nelson. Décryptage d’une très bonne surprise discographique.
De l’aveu même de son co-auteur Etienne Daho, ce nouvel opus devait être un GRAND Jane Birkin. A l’écoute des 13 chansons, on peut le confirmer. A la fois respectueux de l’univers Gainsbourien, Daho réussit a redonner confiance à la chanteuse. Un disque noir -qui évoque entr’autres la perte de sa fille Kate en 2013- sincère et artistiquement très riche.
L’histoire de ce disque
Oh ! Pardon tu dormais… » c’est tout d’abord une fiction que Jane Birkin a réalisé pour Arte en 1992 , un téléfilm qui deviendra plus tard une pièce de théâtre. Plusieurs soirs, Etienne Daho est dans la salle. Il est séduit par les mots de Jane, sa sincérité.
Daho/Birkin, l’alliance paraît naturelle et artistiquement bénéfique. Etienne et Jane se connaissent depuis des années. Ils se rencontrent en 1986 sur une émission des Carpentier. Sur le premier album post Gainsbourg de l’artiste, on retrouve L’autre moi signé Daho. A plusieurs reprises, ils chantent en duo sur les titres de Serge. Le chanteur n’a pas besoin de changer de nature pour endosser le costume de l’Homme à la tête de choux tant les univers musicaux sont relativement proches. Daho connaît bien aussi Lou Doillon (l’autre fille de Jane). Il avait produit son premier album Places en 2012, un an avant la mort de sa sœur : la photographe Kate Barry. Daho était sans doute l’artiste idéal pour redonner confiance, traduire en paroles et musique le deuil d’un enfant, transformer le noir profond en gris plus clair.
La petite histoire retiendra que cet album sort 7 ans jour pour jour après la mort de Kate, 3 jours avant le 74ème anniversaire de Jane.
Des nombreux clins d’œil
Le disque commence par quelques notes de piano identiques à celles de Heures Hindoues de Daho. Auto-citation discrète, mais pour le reste, c’est bien les citations et l’univers musical de Gainsbourg que l’on retrouve dans Oh! Pardon tu dormais. Etienne Daho va d’ailleurs à l’essentiel : les disques Melody Nelson et à un degré moindre L’Homme à tête de chou, 2 purs joyaux de la production de la maison Gainsbourg.
Jane Birkin – Oh! Pardon Tu Dormais
Daho et son complice Jean-Louis Piérot respectent parfaitement l’esprit et les arrangements de ceux qui les ont précédés : Michel Colombier, Jean-Claude Vannier, Philippe Lerichomme. Gainsbourg, c’est du classique classieux. Les producteurs ont fait fait appel à l’Orchestre National d’Ile de France et Les Petits Chanteurs d’Asnières pour des chœurs amples et aériens.
Le premier titre Oh! Pardon tu dormais est une chanson duo avec Daho avec des répliques à la Melody Nelson. L’un des deux titres en hommage à sa fille Cigarettes sonne piano déglingué à la Kurt Weil que l’on retrouve dans Elisa de Gainsbourg, une rythmique proche aussi de Nicotine. Le premier single Jeux interdits est une référence cinématographique chère à Gainsbourg, sur une rythmique Di Doo Dah.
Jane Birkin – Les Jeux Interdits
Moins flagrants mais bien présents, les références à son premier mari, le compositeur John Barry. Déjà dans le titre Oh ! Pardon tu dormais… qui parle de cette période où elle passait son temps à l’attendre, en essayant d’attirer son attention. On retrouve dans l’album aussi du cymbalum, instrument cher au compositeur anglais que l’on entend dans Amicalement vôtre. Beaucoup de compositions aussi installent une atmosphère pesante à la James Bond.
Evidemment, Daho n’est pas en reste. On sent bien sa patte notamment dans certaines rythmiques comme sur le très beau titre Pas d’accord dont il est le compositeur. Très Gainsbourien dans le titre et le début puis très Daho avec le rythme de Philippe Entressangle qui est aussi son batteur.
Dans cet album, Birkin se livre sur des maux profonds, sans les mots de Gainsbourg, avec une sincérité et presque une impudeur désarmante. On la sent beaucoup plus à l’aise sur les titres en anglais comme le magnifique Ghosts, tous ces fantômes qui traînent encore et qui l’habitent toujours. Avec même un petit air de cornemuse sur A Marée Haute. Oui, son « vieux pays » comme elle dit, est toujours là.
La mélancolie magnifiée
Un retour, des choses personnelles, le deuil, cet album avait de quoi rendre sceptique même les fans de la galaxie Gainsbourg. Il s’avère être une très bonne surprise. Les 13 titres ne sont pas égaux et certains sont sans doute moins indispensables. N’empêche que ce disque tient la route avec des chansons de haute volée comme Max, Ghosts, Ta Sentinelle qui raconte le coup de foudre qui ne dure pas ou encore A Marée Haute avec une pop à l’image de Gainsbourg et Daho : élégante et sophistiquée.
Jane Birkin – Ta Sentinelle
A la fois fidèle à la production de l’artiste, mais parfois déroutant comme sur le titre Cigarettes, rythme entrainant pour évoquer le deuil, une voix qui cherche moins les aigus… Les surprises ne manquent pas et l’infidélité fait parfois du bien. Mention aussi à Jean-Louis Piérot qui a élaboré ce disque avec Daho dans les arrangements et les compositions. Le fondateur des Max Valentin avec Edith Fambuena (autre complice de Daho) signe plusieurs mélodies et arrangements remarquables comme Ta Sentinelle ou le titre qui clôt l’album Catch Me If You Can.
Jane Birkin – Catch Me If You Can
Oh! Pardon tu dormais compte parmi les très bonnes productions et les heureuses surprises de cette année sinistrée. La culture -comme Jane Birkin- sont dans le noir. Etienne Daho, Jean-Louis Piérot et Jane Birkin ont réussi le pari de mettre au clair cette mélancolie profonde. Un noir magnifié, artistique et élégant. Si le miracle se poursuit, Jane Birkin sera en résidence en mars prochain avant une tournée en avril. Resurrection for everybody .
Benoît Roux