Un brin solitaire, une once dans la lumière, tel était Daniel Bevilacqua : Christophe, prince de l’élégance, apôtre chic de la nonchalance. Bevilacqua, né à Juvisy mais aux assonances corse et italienne. Je voudrais lui faire cet hommage sensible, si possible différent; comme il l’était. Je l’imagine corsaire de la musique, sur la petite île de Monte Cristo. Capitaine atypique d’un bateau bardé de claviers, toujours prêt à faire une embardée pour des territoires nouveaux. Voici mon conte de Monte-Cristo.
Ca fait bien longtemps que Christophe à quitté Aline et autres Marionnettes yé-yé. Pour moi Christophe ce n’est pas ça, juste un moment de jeunesse avant de trouver sa vraie identité. Un Paradis perdu qu’il faut un jour quitter, entendre une dernière fois ses idoles Eddie Cochran, Gene Vincent… C’est assez étonnant le décalage qu’il y a eu longtemps entre certaines de ses chansons un peu faciles, presque kitchs, et sa personnalité sophistiquée, élégante, perfectionniste.
Christophe c’est le maître du son, chantre des nappes synthés, des atmosphères sonores, scrutant les horizons jusqu’aux profondeurs des abysses. Tel un Manset ou Bashung, il a chez lui la nostalgie de paradis perdus, une quête poétique inassouvie.
Ses paysages sonores sont à l’infini, des univers, où se raccrochent des mélodies. Oui c’était un grand mélodiste, la note juste, sans excés. Un interprète aussi, de sa voix fragile et désabusée, sur les cimes des crêtes, funambule en détresse. En quête d’amour, de sensualité sur des terrains glissants et aux contours déroutants. Comme le morceau J’lai pas touchée en touches sensorielles.
Des titres trompeurs qui cachent des lettres poétiques un brin désabusées comme cette supplique à la princesse Stéphanie Ne raccroche pas. L’amoureux des voitures a parfois frôlé la sortie de route sur des mots faciles, mais la force de sa musique l’emporte souvent. Tel un autre grand mélodiste : Michel Polnareff celui de Lettre à France ou Goodbye Marylou. Comme marieur de notes, Christophe est moins à l’aise dans les rythmes avec des batteries souvent prétexte et des basses improbables.
Il a souvent confié ses mots à Jean-Michel Jarre (Les mots bleus, Paradis perdus, Senorita…) mais aussi à Boris Bergman, souffleur de mots, l’auteur des premiers Bashung. Parfois il les a abandonnés pour des morceaux presque sans paroles, des onomatopées. Il y a eu aussi ce Paradis retrouvé, en yaourt anglais ou les mots n’ont plus de sens mais juste une forme et du son.
Une œuvre souvent sombre et belle ou rien n’est certitude ou tout est amplitude. Impossible d’y coller des étiquettes, si ce n’est celle d’un dandy aux commandes d’un OVNI pour des expérimentations en tous genres. Sa parole est pesée, rare.
En 2008, il sort un pur bijou sonore Aimer ce que nous sommes, disque magnifique, splendide dans sa diversité, sa quête des sons aux guitares déchirées. Un travail de longue haleine où l’on retrouve les plus grands musiciens mais aussi Isabelle Adjani, Daniel Filipacchi ou son ami, celui qui l’a découvert et l’a produit : Francis Dreyfus. Un disque aérien, grandiose où les genres se croisent et s’entrecroisent. Sans doute la consécration, la constellation parfaite.
Quatre plus tard, sa production ultime, il nous laisse avec Les vestiges du chaos. L’équilibriste funambule a fini par tomber. Le capitaine des claviers vaisseaux est parti sur un autre ilôt.
Il y aura toujours mon île du comte de Monté Cristo. Une île que l’on aime retrouver, se réfugier et se perdre pour d’autres voyages. Ciao belissimo!
Bonus Track : le making off de l’album Aimer ce que nous sommes
Le périple musical de cet album magnifique. Où l’on voit tout le travail de recherche de l’artiste.