24 Mar

L’immense artiste Manu Dibango est mort

Emmanuel N’Djoké Dibango est mort. Comment résumer la vie et l’oeuvre de cet immense artiste, pluri-instrumentiste et grand humaniste? Impossible tellement sa longue carrière (plus de 70 ans) est riche, variée, généreuse et dépasse le cadre artistique. Retour sur quelques jalons qui font de lui un homme et un artiste à part.

3 août 2019. Manu Dibango  est sur la scène de Marciac avec sa formation favorite : le Soul Makossa Gang. Il a 85 ans. Et si on ne le sait pas, ça ne se voit pas. Ça ne s’entend pas tellement il est à l’aise. La joie partagée sur scène et sous le chapiteau.

Il viendra à quatre reprises dans le Gers. Jean-Louis Guilhaumon se souvient de l’artiste dans cet article de France 3 Occitanie.

Manu Dibango c’est d’abord Soul Makossa. Ce qui n’était au départ qu’une face B (et oui on parle des années 70 et des 45T) composée pour la coupe d’Afrique des Nations qui se déroule dans son pays (Cameroun), « Soul Makossa » va devenir le plus gros tube africain de tous les temps. Version 1972.

Soul Makossa tube planétaire plagié par Jackon et Rihanna

Le morceau et ses riffs de sax vont faire le tour du monde. A tel point que le King Michael Jackson lui même se laisse influencer avec son titre  « Wanna be startin’ something ». Ce qui lui vaudra un procès et une condamnation pour plagiat. Plus tard, c’est Rihanna qui utilise le thème dans son hit « Don’t stop the music ». 

Un camerounais très vite en France

Né au Cameroun le 12/12/1933, Manu Dibango arrive en France en 1949. Son père veut l’envoyer faire des études en Europe. Sa famille d’accueil se trouve dans la Sarthe. Il apprend plusieurs instruments et rencontre un compatriote camerounais fan de Jazz : Francis Bebey, l’interprète d’Agatha merveilleusement repris par Rachid Taha. C’est un peu son initiateur dans le domaine. Plus tard, il forge son expérience scénique dans plusieurs boîtes bruxelloises avec différents groupes.

Un artiste inclassable

Début 1962, il compose même un twist. S’en suit une aventure africaine.

De retour en France, il cotoie Dick Rivers et Nino Ferrer avec qui il joue de l’orgue Hammond. Mais pas que.

Il sera son chef d’orchestre pendant 4 ans, arrangeur de la chanson Mamadou Memé. Sa curiosité l’amènera à cotoyer aussi Claude Nougaro, Gainsbourg, mais aussi… Mike Brant ! Plus tard il jouera avec les Fania All Stars. Là ça respire latino. Ensuite Fela Kuti… Indomptable le lion du Cameroun. Inclassable surtout. 

Retour aux racines

1982 sort l’album « Waka Juju », mélange hétéroclite de différents styles  très avant-gardiste. Symbole d’un artiste qui n’aime pas se répéter. 2 ans plus tard, avec Martin Meissonnier aux manettes, le deuxième tube planétaire : Abela Dance.

Un disque qui lui ouvrira les portes de grands musiciens tels Bill Laswell et Herbie Hancock.

Mon coup de coeur : Wakafrika (1992)

Un tout jeune label (celui de la Fnac) vient de se monter. Son directeur (Yves Bigot) veut frapper un grand coup. Ce sera Wakafrika, avec une pléiade d’artistes qui revisitent des standards.

C’est un peu le « We are the world » version africaine. On y retrouve des Africains Youssou N’dour -qui a la lourde tâche de reprendre Soul Makossa- King Sunny Adé, Salif Keita, Papa Wemba, Touré Kunda, Angélique Kidjo, Geoffrey Oryema, Ladysmith Black Mambazo. Et des stars internationales : Peter Gabriel, Sinéad O’Connor, Dominic Miller (guitariste de Sting), Manu Katché… La world musique n’a pas produit que des chefs d’oeuvre mais celui-ci en est un. Grâce aux artistes et à une production intelligente. 
Ami Oh! Voix : Papa Wemba & Angélique Kidjo. Batterie : Manu Katché.

Chevalier des Arts et des Lettres en France, artiste de l’Unesco pour la paix, tout récemment (2017) honoré d’un Lifetime Award pour l’ensemble de sa carrière, l’oeuvre de l’artiste est à la hauteur de ses valeurs humaines : à multiples facettes et grandes. Ciao Manu. Je continuerai à t’écouter.


Merci à RFI où j’ai trouvé une biographie très complète. Pour aller plus loin et mesurer l’éclectisme et la générosité de l’artiste, interview en octobre dernier sur TV5 Monde. Elle revient sur plus de 60 ans de carrière.

Benoît Roux