Où l’on pense d’abord à Achille avant d’assister à la fin d’Hector… Achille, seul contre un héros solitaire. Une ombre. Hector. Lui même ! Les deux héros sont à pied d’œuvre depuis le premier kilomètre ce jeudi. Depuis la sortie du bus où ses compagnons de galère lui cognent l’épaule pour lui donner du courage avant l’épreuve. Depuis sa chambre d’hôtel, où vers 6h30 ce matin, on attendait déjà le coureur pour contrôler sa morale, son éthique ; sa noblesse… Comme si le valeureux n’en avait pas assez come ça avec ses contusions et la faiblesse de ses intestins. L’image, terrible, « merveilleuse… » disait-on à l’époque de la geste de Roncevaux… pour qualifier l’héroïsme des ultimes batailles.
Nacer Bouhanni (FDJ.fr)/ GRAPH © JL Gantner
Cette image, qui a dû faire le tour des téléviseurs et des tablettes numériques du monde entier, comme les grandes huiles sacrées d’un Antonello de Messine impressionnaient la rétine des foules pieuses de la Renaissance. L’image, lance et bouclier à terre, d’un champion, celle d’un jeune seigneur de guerre à la dérive entre Aix en Provence et Montpellier sur les routes de la 6e étape du Tour de France. Nacer BOUHANNI, Le jeune prince du sprint Français qui trimballait encore son prestigieux maillot tricolore sur les lignes d’arrivées jusqu’au mois dernier. Le Vosgien, luttant seul, désespérément à plusieurs minutes du peloton et contre un vent diabolique, loin derrière ses coéquipiers qui ne peuvent dès lors plus rien pour lui. L’image, oui, terrible à 90 km encore… de l’arrivée ; d’un jeune espoir du cyclisme Français de 22 ans, qui refuse obstinément de mettre le pied à terre malgré la pire séance de souffrance sur sa machine. Le spectacle, d’un supplicié, comme au chant 22 de l’Iliade, diffusé en temps réel sur tous les écrans de la planète. Le film épique d’un condamné à mort en plan serré, comme déjà la même caméra s’était installée la veille sur la détresse d’un héros déchu, au martyr entre Cagnes-sur-mer et Marseille. La fin du rêve pour Nacer BOUHANNI ce jeudi 4 juillet dans les environs de Tarascon. Le n°73 de ce Tour du centenaire, qui livre au public le premier drame télévisuel homérique de l’été. Hector tombé au champ d’honneur. Mais qui sait si ce soir, dans une chambre d’hôtel de la FDJ, la vengeance dans le cœur fier d’un Pâris, ne s’élève-t-elle pas inspirée du chant du grand Homère : « Si une fois chez Hadès » dit l’auteur de la plus grande poésie du monde, « les morts, on en perd la mémoire, même là-bas, je me souviendrai de mon doux camarade ».
Jean-Luc Gantner