Le Front National n’a pas gagné une région. Il a fait mieux : il a gagné les régionales. En augmentant ses scores sur l’ensemble du territoire français. En monopolisant la campagne sur ses thèmes. En obligeant les partis à se positionner par rapport à lui. En occupant tout – ou presque – l’espace médiatique.
Il se revendique comme le parti du peuple face à l’élite. Quel peuple ? Quelle élite ? Au-delà de ce vocabulaire, oui, des fossés se creusent entre des territoires, entre les gens.
Et pas sûr que le FN soit le mieux placé pour ressouder tout ça !
Que va faire le Front National ?
Le Front National est le premier parti de France. Il occupe cette place car les autres formations politiques s’allient avec d’autres partenaires pour l’emporter au second tour. Lui, non. Parce qu’il veut rester seul. Parce que personne ne veut de lui.
Mais les lignes bougent. Son isolement, voulu ou subi, lui coûte cher. Certains veulent le rompre.
Robert Ménard, le maire de Béziers, appelle le parti à s’ouvrir « à des personnalités indépendantes de la droite patriote« . En vue de la présidentielle 2017, Marine Le Pen, a annoncé le lancement l’an prochain de « comités bleu marine » aux contours pour l’instant imprécis. Lundi, son bras droit Florian Philippot a émis le voeu d’une alliance avec « Debout la France » de Nicolas Dupont-Aignan. (AFP)
Sur notre plateau, au soir du premier tour, Sophie Montel, Front National, disait à Maxime Thiébaut, tête de liste régionale de « Debout la France » , qu’il n’était pas propriétaire de ses électeurs… Premiers thèmes de campagne de DLF : l’immigration et l’insécurité…
Les électeurs du FN encore plus frustrés
Aujourd’hui, plus de 6 millions de Français sont encore plus frustrés qu’avant ces régionales. Ils ont voté FN et n’ont obtenu aucune région, que des conseillers régionaux. Pas sûr que ce rôle d’opposant dans les conseils régionaux suffise à leur bonheur…
Le discours récurrent du parti de Marine Le Pen, c’est que ces Français-là représentent le « peuple » et que ceux qui ne partagent pas les idées du Front National font partie de « l’élite », voire de la « clique » en parlant des politiques.
Les fractures
Oui, des fossés se creusent. Entre les territoires déjà. Entre les citoyens également.
Les villes, et leurs quartiers, les campagnes et les zones périurbaines ne votent pas pareil. Plus on s’éloigne du centre de la ville, plus le vote FN est important.
C’est ce qu’explique le géographe Christophe Guilluy dans son livre paru il y a un an « La France périphérique : comment on a sacrifié les classes populaires ». Abandonnés, déclassés, victimes de la mondialisation, peu diplômés, peu armés face aux mutations économiques : le discours du Front National est pour eux. Le FN s’adresse à eux et parle d’eux. Trop d’étrangers dans leur village ? Problèmes d’insécurité ? « Non, on n’a pas de migrants mais ça peut arriver… » Propos entendus dans un micro-trottoir dans notre journal le lundi 07 décembre.
Autre fracture : la formation. Plus les électeurs sont diplômés moins ils votent Front National.
Un jeune sur 3 (de 18 à 35 ans) vote FN, tout comme 38 % des employés et 43 % des ouvriers ainsi que 37 % des électeurs qui n’ont aucun diplôme ou un CAP / BEP. (Sondage IPSOS pour France Télévisions 2014)
Ces électeurs-là n’ont rien à faire du discours moralisateur : « Ce n’est pas bien de voter Front National ». Ces propos sont tenus par des politiques de partis classiques et/ou par des « nantis », « nantis » à leurs yeux, c’est-à-dire ceux qui ont un travail, une formation, de bonnes conditions de vie dans des quartiers sympas. Qui sont ces politiques pour leur donner des leçons ? Ceux-là ont failli depuis des décennies à résoudre leurs problèmes : chômage et insécurité.
L’élite
Cette fracture entre deux parties de la population me rappelle le Traité Constitutionnel Européen de 2005. Pour faire simple, le « oui » était défendu par les partis de gouvernement, UMP, PS et le « non » par les formations de la gauche de la gauche, les souverainistes de droite et le FN.
Toutes les « élites » étaient pour le oui (notamment les médias) et le non l’a emporté (à plus de 53 %).
D’ailleurs, notre relation à l’Europe en dit long sur notre confiance dans les institutions et l’avenir. Dans un sondage IPSOS de 2014, la question portait sur l’Europe et la crise économique : l’Europe nous protège : oui à 24 % (39 % à la même question en 2009), n’a pas d’impact : 16 % (29 % en 2009) et surtout aggrave les effets de la crise économique : 59 % (27 % seulement en 2009).
Pourquoi parler de ce TCE ? Parce que la fracture de cette époque et celle entre les électeurs FN et le reste de la population me semble comporter des similitudes.
Entre l’extrême droite et le Front de Gauche, les mêmes thèmes de campagne : sortir de l’euro, se protéger de la mondialisation, reprendre le contrôle économique… tous des arguments entendus à nouveau ces dernières semaines. Les résultats du TCE de 2005 montraient déjà une fracture en fonction de la formation et de la classe sociale.
Selon IPSOS, les classes les plus aisées et diplômées de la population ont le plus souvent accordé leurs suffrages au vote « oui », alors que le vote « non » est plutôt l’apanage des classes moyennes et populaires avec un niveau d’études moindre4. (A noter que c’est le non de gauche qui a permis de l’emporter en 2005)
Seule différence par rapport à il y a 10 ans : l’extrême droite a le vent en poupe, pas la gauche de la gauche (4,7 % pour la liste « L’alternative à gauche » en Bourgogne – Franche-Comté le 6 décembre 2015).
Voter non au TCE en 2005, voter FN en 2015 : c’est déjà une certaine idée, non pas de la France, mais de l’avenir.
Oui, ceux-là ont certainement plus peur que les autres de la mondialisation. Ils la considèrent comme une menace, pas comme une opportunité…
Reste maintenant aux politiques de proposer un projet, un avenir commun. Bref, ils doivent rassurer et surtout réussir. Sinon… La désespérance s’exprime jusqu’à maintenant dans les urnes. Jusqu’à maintenant…
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Carte du oui et du non au TCE de 2005. On peut comparer avec les résultats des régionales de 2015 : le FN est aujourd’hui très fort dans le Nord de la France, l’Est et le Sud Est (Seule exception : l’Alsace qui a voté Oui et où le FN est maintenant très représenté) et beaucoup moins présent dans l’Ouest de la France.