Il y a des disques pour lesquels on se sent de suite chez soi, en osmose. C’est le cas d’Anda-Lutz de Guillaume Lopez. Un disque où s’allient les musiques andalouse, arabe, occitane et jazz. Comme une évidence. Porté par un quatuor équitable de musiciens d’univers différents : Guillaume Lopez, Thierry Roques, Nicolas Gardel et Saïd El Maloumi. Une fusion enivrante, une invitation prenante au voyage et à la découverte.
Les lumières en avant
« Anda » (mouvement, en avant), « Lutz » (lumière du jour) est un disque énergique et lumineux. Comme en cuisine, il est toujours un peu périlleux d’associer des épices très différents. Ca demande en tous cas de la maîtrise. Ici, il y en a. Guillaume Lopez a été plutôt nourri aux musiques traditionnelles occitane et espagnole. Pour Thierry Roques c’est plutôt la variété (Francis Cabrel entr’autres pour l’album « Sarbacane », le bal avec son père accordéoniste lui aussi. Nicolas Gardel est très affûté et fait reluire les cuivres, Saïd El Maloumi trouve des résonnances aux percussions. On sent qu’ils ont tous longuement goûté des cuisines riches et qu’ils les ont parfaitement digéré.
On n’arrive pas à un disque d’une telle maturité par hasard. C’est un art culinaire où tout doit mariner, suer. Chacun étant l’exhausteur de l’autre, ne pas trop en faire, pas trop en mettre au risque d’annihiler les autres saveurs. Ca induit une intelligence musicale pour écouter l’autre, une fraternité pour lui faire confiance et qu’il puisse exprimer ce qu’il a de meilleur en lui. Sur Anda-Lutz, personne ne s’approprie la lumière, ni ne la cache. Les morceaux sont équilibrés, chacun porte son souffle et ses épices. Et tout finit par être lumineux : les cuivres rutilants de Nicolas Gardel, la voix ornementée et les flutes ardentes de Guillaume Lopez, l’accordéon flamboyant de Thierry Roques et les percussions radieuses et limpides de Saïd El Maloumi.
Un mélange de cultures avec des musiciens haute-couture
J’ai déjà évoqué la génèse de ce projet lié à la Méditerranée. A l’écoute de l’album, l’alchimie fonctionne et on ne sait plus qui est qui : l’occitan, le marocain, l’andalous, le jazzman, l’accompagnateur en gammes. Premier morceau après l’introduction : « Su memoria Su destino », sa mémoire son destin. Et sans mémoire, sans racines, on ne peut pas s’envoler vers son destin. Guillaume Lopez a fait le texte, Nicolas Gardel la musique. Mais dans ce disque, chacun met la main à la pâte. La compo d’après est signée Thierry Roques : « Sueño de Launac ». Un morceau enlevé, enflammé parfois, un dialogue flute-accordéon-cajon presque flamenco signé Saïd el Maloumi.
Anda-Lutz « Su Memoria, Su Destino » – Cie Guillaume Lopez Réalisation Amic Bedel
Tantôt en occitan, tantôt en castillan ou même en français, c’est Guillaume Lopez qui assure le chant. D’une voix chaleureuse, qui monte parfois haut, ample et maîtrisée, dans la douleur comme dans la joie. Guillaume Lopez a énormément progressé au niveau vocal. Son chant, il l’assume, ses appogiatures sont maîtrisées et justifiées. Il a désormais le « duende » des grands chanteurs qui ont « lo fuòc ». Et les instrumentistes ne sont pas en reste.
On connaissait déjà Guillaume Lopez sur les chemins arabo-andalous (Sòmi de Granadas, Med’in aqui, Tres vidas) mais beaucoup moins sur le registre jazz. Nicolas Gardel apporte une couleur qui manquait un peu à son répertoire. Un trompettiste au pedigree impressionnant (David Sanborn, Riccardo Del Fra, Glenn Ferris ou Chris Potter, Ibrahim Maalouf…) il s’intègre parfaitement au projet. Il est vrai que ses racines sont en partie ariégeoises.
Enregistrement de l’album au studio Elixir. Ingénieur du son Alfonso Bravo
Le disque étant très rythmique et assez « groovant », Thierry Roques est à son aise. Les sonorités de son accordéon sont belles, parfois bandonéon, parfois avec des beaux passages de basses, le tout avec beaucoup de finesse et d’intelligence. Avec de belles envolées comme sur le titre « Douceur pour 2R ».
Saïd El Maloumi est un maître des percussions. Pas celles de son pays (le Maroc) mais plutôt le cajon espagnol, il troque le bendir pour le daf ou le zarb iraniens. Il a appris la musique au contact de son frère Driss, virtuose du oud avec lequel il forme un trio. Une famille de musiciens qui souhaite amener sa musique dans une autre dimension. Un jeu subtil qui joue dans les nuances et sur les couleurs.
Des moments éclairés
La première fulgurance que j’ai ressentie en écoutant le disque, c’est avec le morceau « Aure ». Un instrumental agrémenté de choeurs à la fin que l’on doit au gascon Christian Vieussens, un habitué des mélanges de culture et de cuisines épicées. Le morceau est magique, le voyage extraordinaire. De la vraie musique arabo-andalouse, retenue puis sublimée par les cuivres de Nicolas Gardel, emportée par flutes, l’accordéon qui pousse, les percussions qui séquencent les ruptures, dans un final festif façon nouba.
« Aure » de Guillaume Lopez Album « Anda-Lutz »
Il y a ces clins d’œil. Un hommage à Amine Tilioua jeune virtuose du violon arabe, élève en musiques traditionnelles de Xavier Vidal, décédé brutalement il y a un an. Avec « Palancas » (passerelle), Guillaume Lopez salue l’artiste avec lequel il a souvent travaillé, notamment pour « Med’in aqui » à l’Estivada 2015. Autre main tendue, celle au poète et grand humaniste Alem Surre-Garcia. Guillaume Lopez dit l’un de ses textes « Revolum de posca » (tourbillon de poussière). Un poème émouvant, empreint de sensations qui s’attardent sur les détails et sur les manques. Le morceau se termine par une fanfare prenante à faire rugir Emir Kusturica.
Tout aussi poétique; le texte de Guillaume Lopez « Coûte que coûte », un autoportrait rempli de sens sur une musique du compositeur espagnol classique Frederic Monpou.
Sur le chemin J’y vois sans doute La fuite de ce train-train Coûte que coûte….S’égarer pour découvrir le lointain. Mets-moi un peu de cumin … Regardons un peu plus loin Que d’habitude, Ne restons pas dans nos coins … Ouvrons la route
« Jamei Jo non veirèi » de Guillaume Lopez album « Anda-Lutz »
Enfin le summum du disque, l’apothéose : la reprise de ce traditionnel occitan-gascon « Jamei Jo Non Veirèi ». Un morceau lent comme Guillaume les aime. Une piste d’atterrissage pour ses envolées vocales tel un muezzin à la prière. Nicolas Gardel a mis plusieurs couches de trompettes, un son entre l’harmonium et l’orgue où se glisse l’accompagnement main gauche de l’accordéon. Un morceau splendide, une interprétation de très haute volée qui se termine par la respiration, le bourdon de la boha (cornemuse). Frissons et chapeau bas.
Anda-Lutz, comme une belle et grande nouba des cultures, où chacune est à la fête.
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