21 Mai

Vélib’ : nouvelles révélations embarrassantes pour Smovengo

Avis aux communicants débutants : quand vous blacklistez un journaliste (là, en l’occurrence, ce sont plusieurs journalistes, et bien évidemment parmi les mieux informés sur le velibgate, tels Olivier Razemon du Monde ou Emmanuelle Ducros, de L’Opinion) de vos conférences de presse, vous l’incitez généralement à gratter un peu plus. C’est exactement ce que j’ai fait. Et le résultat est consternant.

  1. Des problèmes informatiques toujours aussi criants

    A en croire le directeur général de Smovengo, tout va bien, en tout cas tout va mieux : les chiffres fournis vendredi dernier aux journalistes semblent attester d’un net regain de forme du service vélib’ : le nombre de courses quotidiennes aurait atteint les 12.000 à la mi-mai, alors même qu’il était tombé à moins de 5.000 quinze jours plus tôt. Pour mémoire, on est encore loin des 100.000 locations journalières du temps de Decaux, mais c’est effectivement une éclaircie dans le ciel très nuageux de vélib’. Le système semble fonctionner un peu mieux. C’est en fait totalement mensonger : le vrai problème du vélib’, à savoir le pourcentage de vraies/fausses locations, autrement dit avortées, est toujours aussi excessivement élevé. Mes sources sont formelles : le nombre de courses de moins de 3 minutes correspond toujours à 30% du nombre de courses totales : 1 tentative de location sur 3 échoue donc, du fait de problèmes informatiques liés à la V-box et surtout du fameux bug du cadenas, principale innovation signée des frères Mercat mais qui s’avère depuis le début être le talon d’Achille du système.


    30% de locations infructueuses, c’est un chiffre aberrant. Ce taux d’échec a été constaté dès les premiers jours de janvier et, depuis, les ingénieurs de Smovengo s’évertuent à le diminuer, à coup de patches informatiques et de limage des bornettes (cf photo dans le tweet cité ci-dessus), euh pardon des « diapasons » en langage Smovengo, pour permettre une meilleure prise

    du cadenas sur le vélo raccroché. Pourtant, 5 mois après le lancement du service, le problème est toujours aussi criant : le taux d’échec des locations est toujours de 1 sur 3 ! Clairement, Smovengo patauge totalement dans son analyse/résolution de ce problème majeur, et c’est très inquiétant.

  2. Rien n’est géré en interne ou presque

    Du temps de JCDecaux, les choses étaient simples : l’ensemble du process vélib’, des hommes de terrain aux ingénieurs, en passant par le call center, tout était géré en interne. Avec Smovengo, c’est un conglomérat de sous-traitants inexpérimentés qui est appelé à intervenir, avec des rattachements de branche plus que douteux. La réparation des vélos a ainsi été confiée à une filiale de Vitaservices, le groupe Vitamine-T, spécialisé dans la propreté ! Ce sous-traitant a recruté de nombreux ex Cyclocity pour réparer les vélibs… dans les locaux loués par Smovengo, mais sans en être salariés. Et attention, ils travaillent avec comme convention collective celle de la propreté ! Un sacré tour de passe-passe… Le centre d’appel, ou call center, a lui été confié à Téléperformance. Depuis le début de la grève, Smovengo a également externalisé à des intérimaires la recharge et le déploiement des batteries, installées sur chaque station non reliée au réseau électrique, une pratique que lui a pourtant interdit la semaine dernière le tribunal de grande instance (TGI) de Paris. Ces mêmes intérimaires sont ainsi les seuls à disposer des clés d’accès du site de stockage caché de Bonneuil (photo), un site appartenant à la ville de Paris utilisé très étrangement par Smovengo depuis le début du conflit social pour y stocker des vélos et ainsi contourner le blocus (levé depuis) du site principal d’Alfortville par les grévistes.
    Finalement, seuls la régulation des vélos, la maintenance et l’entretien des stations sont encore du ressort des salariés de Smovengo. Mais là où ils dépendaient chez JC Decaux de la convention collective « articles de sports et loisirs », ils dépendent désormais de la convention collective de l’automobile ! Avantage pour Smovengo, une majoration de nuit de 10% (minimum légal) et aucune compensation pour les dimanches et jours fériés. On comprend mieux pourquoi les ex Cyclocity sont en grève depuis plusieurs semaines : en tant que salariés JCDecaux, les heures de nuit étaient majorées de 45% et les dimanches payés double.

  3. Déjà 5 mois de bêta test géant dans la capitale

    L’aveu est tombé vendredi dernier : cerné par les journalistes, Jorge Azevedo, le directeur général de Smovengo, a finalement reconnu que rien n’avait pu être testé avant le 1er janvier, faute de temps. Comme toujours avec Smovengo, la faute en revient, en vrac, à JC Decaux, au syndicat mixte (SMAV), aux exigences des élus, à la météo… bref, ce n’est jamais de LEUR faute. Mais la réalité est cruelle : les Parisiens vivent à leur insu depuis 5 mois un bêta test géant, où tout est testé in vivo, dans le chaos le plus absolu. Mais comment en est-on arrivé là alors que le concept de vélo partagé version Smoove semblait avoir été largement éprouvé ailleurs (Vancouver, Moscou, Helsinki) malgré quelques difficultés ? Tout simplement parce que tout, absolument tout, a été repensé, redesigné, reconçu pour le marché parisien : vélo, borne, totem, V-Box, système de partage de l’information (IT). Bref, Smovengo est reparti de zéro ou presque pour répondre aux exigences du cahier des charges. Et comme le reconnaissent mes sources en interne, il leur a été impossible d’industrialiser ces innovations selon les règles de l’art avant la mise en production. Délais trop contraints, manque d’anticipation, mauvaise coordination, recrutement massif mais tardif (40 ingénieurs et informaticiens en 9 mois) … ajoutez à cela un évident manque d’expérience pour un marché de cette taille (Vélib’ est 8 fois plus important que le plus gros marché remporté jusqu’alors par Smoove) et on comprend mieux pourquoi rien n’a pu être testé avant le jour J. Amateurisme dites-vous ?

     Bertrand Lambert @B_Lambert75

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