On se souvient de la « cagnotte de Bercy » du temps de DSK, et plus récemment des débats parlementaires autour de la « cagnotte fiscale » engrangée par les pouvoirs publics grâce à l’accélération de la croissance. Et voilà que se présente une nouvelle cagnotte, aussi bien dotée que discrète : la cagnotte d’IDF Mobilités.
A la lecture du compte financier 2017, pas encore rendu public mais que je me suis procuré, plusieurs chiffres, plus ou moins habilement dissimulés au milieu des 45 pages du rapport, démontrent la très bonne santé financière de l’ex STIF, alors même que depuis deux ans la Région n’a de cesse de justifier la hausse (+7.5%) du pass navigo par des comptes dangereusement déficitaires.
Soulte miraculeuse
Entre 2016 et 2017, les recettes réelles de fonctionnement ont ainsi bondi de 359 M€, passant de 5,787 Mds€ à 6,137Mds€, ce qui a permis de faire passer le taux d’autofinancement d’IDF Mobilités de 15% à… 53% ! Autrement dit, IDF Mobilités est en capacité de financer 53% de ses (très nombreux et onéreux) investissements sans recourir à l’emprunt. Un ratio anormalement élevé – et quasiment inédit en ce qui le concerne, excepté les 56% de 2013 (mais pour une raison exceptionnelle liée à la vente du siège de la RATP à cette même RATP) – pour un syndicat de transports amené à multiplier les investissements. La capacité de désendettement d’IDF Mobilités est ainsi passée de 10,8 années à… 2,9 années, une baisse d’autant plus spectaculaire que les prévisions faisaient plutôt état ces derniers mois d’un chiffre en hausse (on allait vers les 15 ans).
Mais d’où vient cet argent ?
C’est là que les voyageurs qui ont vu leur pass navigo continuellement augmenter ces dernières années risquent de se sentir floués : les recettes voyageurs sont de 90M€ supérieures aux prévisions ! IDF Mobilités tablait sur une hausse de 160M€, elle a été finalement de 250M€, d’où les 90M€ de bonus. Mais tout est fait pour que ce chiffre ne ressorte nul part dans le rapport. Car il vient, lui aussi, contredire le mythe d’un syndicat des transports sur la paille, devant à tout prix augmenter ses tarifs pour rester dans les clous financiers. Bien sûr, la lutte contre la fraude, plus efficace, et le retour des touristes après le trou d’air des attentats de fin 2015, explique en partie ce rebond. Mais c’est bien la hausse du trafic, lié en grande partie à l’instauration du navigo à tarif unique, qui est à l’origine de cette soulte miraculeuse.
L’autre dindon de la farce, c’est sans doute l’État, appelé à la rescousse et mis sous pression par Valérie Pécresse dès son arrivée : la hausse en deux temps du versement transports (VT, payé par les entreprises) et l’affectation pour 100 M€ / an d’une partie de la taxe intérieure de consommation des produits énergétiques (TICPE) ont certes permis de combler le manque à gagner originel du passage au pass unique. Mais avec la hausse des recettes voyageurs, une partie de ce bonus ne se justifie plus. En tout cas, pas pour les mêmes raisons. En ces temps de disette budgétaire, Bercy voudra t-il récupérer une partie de ce qu’il a accordé ? Mystère.
Une bonne nouvelle, gage d’investissements
Alors bien sûr, cette rayonnante santé financière d’IDF Mobilités est une bonne nouvelle pour tous : moins d’endettement, plus de capacité d’investissement… c’est une excellente nouvelle à la fois pour les générations à venir mais aussi pour le réseau et sa nécessaire regénération. Mais pour justifier la prochaine hausse du pass navigo, il faudra trouver d’autres arguments.
On nous aurait menti ?
A la lecture de ce compte financier, on peut tout de même s’interroger sur la prétendue mauvaise santé financière de l’ex STIF, rabâchée en boucle aux journalistes à longueur de conférences de presse depuis deux ans, et qui a permis, à la fois, de faire passer la hausse du navigo auprès des voyageurs et de soutirer d’importants reversements de la part de l’État. Soit le tableau a été volontairement noirci, soit nos décideurs naviguent à vue. Plutôt inquiétant dans les deux cas, même si les comptes sont dans le vert.
Enfin, on réalise que « oui », la hausse du trafic (et donc les nouvelles recettes engendrées) auraient pu, à peu de choses près (et en considérant une offre à niveau constant), financer à elle seule dès 2017 (donc après deux ans de déficit) le passage au pass unique. En un an, les recettes voyageurs ont bondi de 250M€ (hausse tarifaire comprise), alors que le manque à gagner du pass unique est justement estimé à 300M€ (une fois défalquée la hausse du versement transports). Le compte y est presque. Une conclusion que l’on retrouvera très certainement dans le rapport 2017 du comité d’évaluation des l’amélioration de l’offre de transports en Ile de France. Patience, il sera publié en mars 2019…
Bertrand Lambert @B_Lambert75
Joint par téléphone, Laurent Probst, le directeur général d’IDF Mobilités, a confirmé les chiffres donnés dans cet article, mais en conteste l’interprétation : « Ile-de-France Mobilités va mieux que l’an dernier. Mais quand il y a un déficit, il n’y a pas de cagnotte. D’autant plus que nous avons de l’endettement et des investissements engagés qui restent à financer dans les prochaines années. Quant au passe unique, le rapport Bailly a montré qu’il y avait une ardoise de 487 M€. Il a montré de manière très clair que le report modal est insuffisant pour résorber cette ardoise. Elle a été résorbée grâce aux recettes supplémentaires obtenues à l’issue du bras de fer de Valérie Pécresse avec le gouvernement Valls. Les hausses tarifaires du passe Navigo, n’ont pas financé ce tarif unique, mais bien les renforts d’offre le renouvellement du matériel et la qualité de service. »