Cet après-midi, un débat était prévu au Sénat suite au texte déposé par Christiane Taubira visant à ratifier la Charte Européenne des langues minoritaires. Mercredi dernier, la droite majoritaire a déposé une motion de rejet en commission des lois. Il ne fait aucun doute que cette motion sera votée et donc le débat sur le texte de Taubira occulté.
Énième rebondissement, la droite a finalement déposé un autre texte. Elle ne veut pas être accusée d’être le fossoyeur des langues régionales. Imbroglio juridique et manœuvres politiciennes, Jean-Jacques Urvoas -qui porte la proposition 56 de François Hollande depuis le début- apporte quelques éclairages.
La Proposition de Loi Constitutionnelle votée en janvier 2014
Jean-Jacques Urvoas est un député PS breton convaincu. Il a toujours défendu les langues régionales et obtenu l’oreille du président sur la question. C’est également lui qui a fait un courrier au président pour relancer le processus de ratification en juin dernier. Premier élément : pourquoi le PS a t-il attendu tant de temps alors qu’il avait la majorité au Sénat en début de mandat ? « Avec François Hollande nous avons toujours été clairs sur la question : il y avait besoin que les énergies aboutissent; nous cherchions le terrain le plus praticable. » Et le gouvernement Ayrault trouvait le terrain glissant. Lorsque le premier texte a été fait, le gouvernement a demandé l‘avis du Conseil d’Etat début 2013. Cet avis n’a pas été publié mais selon Urvoas : « il était extrêmement réservé. Ce qui a refroidi le gouvernement ». Plusieurs députés ont donc fait une Proposition de Loi Constitutionnelle (PLC) pour tâter le terrain. Ils ont entamé un travail de conviction auprès du gouvernement, mais aussi de leurs collègues. « A l’Assemblée, nous avons un groupe d’étude sur les langues régionales, avec des membres de tout bord, et une présidence tournante (NDR : Paul Molac pour l’instant). C’est grâce à cette structure que nous avons pu travailler et emporter l’adhésion ». Et le député PS de déplorer l’absence d’un tel groupe au Sénat. Bruno Le Roux et Jean-Jacques Urvoas ont donc déposé cette PLC fin 2013. Elle a été votée à l’Assemblée le 28 janvier à une large majorité (361 pour, 149 contre). « Nous avons été surpris par l’ampleur du score. Démonstration était faite qu’il y avait une majorité pour la ratification. » Seulement voilà, une PLC ne peut-être validée que par référendum. Et la gauche, à juste titre, n’a jamais voulu aller jusque là craignant que l’on réponde plus à celui qui pose la question (le président) qu’à la question elle-même.
Le projet de Loi Taubira
Juin 2015, Urvoas relance Hollande. Le moment semble favorable. Le président charge Christiane Taubira de rédiger un texte très simple, permettant toujours cette ratification. Le 31 juillet, ce texte émanant du gouvernement (projet de loi) et non plus des parlementaires (proposition de loi) est déposé. Il passera d’abord par le Sénat. « Nous savions que nous avions la majorité à l’Assemblée. Donc autant aller au Sénat pour commencer. » Le 21 octobre dernier, ce texte passe devant la commission des lois au Sénat, présidée par le sénateur LR (les Républicains) Philippe Bas. Il dépose une motion de rejet qui est adoptée. Une mort avant l’heure étant donné que si cette motion est votée par les sénateurs cet après-midi, il n’y aura pas de débat. La ratification sera une fois de plus enterrée. Le motif : le texte de Taubira serait anti-constitutionnel. « Philippe Bas s’appuie sur le fait que le Conseil Constitutionnel dira que le texte n’est pas compatible avec constitution… Ben oui, c’est bien pour ça que nous voulons changer la constitution ! Une motion de rejet, c’est très rare au Sénat. Refouler un tel texte c’est un peu fort pour des élus qui prétendent être la voix des territoires » ! Mercredi, les couloirs du Sénat ont quelque peu tremblé de quelques déclarations fracassantes de la gauche. Mais le mal est fait : il n’y aura pas de discussion au sénat cet après-midi, sauf coup de théâtre peu probable.
Et maintenant ?
Sans doute pour pallier toutes critiques et pour se dédouaner, les sénateurs de droite et du centre ont déposé une nouvelle proposition de loi pour défendre les langues régionales. C’était mercredi dernier, au moment du passage en commission des lois. L’info a été rendue publique hier.
A gauche, on a lancé une consultation sur les 39 articles de la charte signée par la France. Le sondage est clos mais on ne connaît toujours pas les résultats. La garde des sceaux a fait une réunion à la chancellerie la semaine dernière sur le sujet. Jean-Jacques Urvoas continue de se battre. « J’ai écrit au conseil de l’Europe pour demander un avis au comité d’expert de la Charte. A ma connaissance, c’est le seul texte -ou un ds seuls- que la France ait signé mais pas ratifié. » Une formalité qui ne changera pas la donne.
Alors faute de Charte Européenne, qui reste plus dans le domaine du symbolique que dans celui d’un droit contraignant, la gauche pense aussi à une loi qui permettrait de faire avancer les choses. Et pourquoi pas se servir du travail du Comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne mis en place par Aurélie Filippetti en juillet 2013 et qui était resté lettre morte ? « Oui, il faut contourner les obstacles. Mais nous ne voulons pas qu’un nouveau texte se fasse retoquer devant les tribunaux. « Avem pas acabat !
Lo Benaset