Paulette et André ce n’est pas du cinéma. Enfin, pas tout à fait… Un peu « Edith et Marcel » quand même : indispensables l’un à l’autre, complices, complémentaires… N’empêche, ils ont filmé de 1962 à 1971 des gestes, des visages, des savoirs-faire du monde paysan de leurs familles rouergates sur le point de s’éteindre. En vrais professionnels, le regard attentionné, souvent poétique. De là est né « Paisans de Roergue », un film éclairé signé Piget.
« Salusses » et « Combies »
La famille d’André Andrieu est à Salusses (Montsalès), celle de Paulette à Combies (Villeneuve). Eux, ils sont à Nemours (Seine-et-Marne). Leur enfant Eric a 2 ans. Ils sont passionnés par la photo. Mais Paulette se dit que des images « vivantes », ce serait mieux. D’abord pour filmer Eric, ils achètent une caméra professionnelle, la CAMEX cellule Reflex 8. Dès décembre 1962, ils filment. Rapidement, tous ces gestes pour eux habituels du monde paysan, ce trésor à portée de main, ils ne voudraient pas le laisser partir sans le graver. Leurs familles se prêtent et se prennent au jeu. Les parents de Paulette sont encore en pleine activité à Villeneuve. Alors ils filment : le cochon que l’on tue à la maison, le dépicage, les oies qui partent en foie gras, magrets et fritons. Chez André, l’activité s’est réduite. La ferme compte une quinzaine d’hectares, 4 vaches… André suit son père Félix qui pétrie la pâte à pain et le cuit au four tous les 15 jours, laboure, plante les pommes de terre… Maria sa mère fait le flòu (sorte de flan au fromage cuit au four). Tout est planifié, dès qu’ils ont quelques vacances, direction l’Aveyron… Quand André n’est pas aux Etats-Unis, car il est ingénieur dans une usine spécialisée dans le verre, chez Corning, une boîte qui a inventé la vitrocéramique.
De vertadièrs professionals
Et n’allez pas croire que tout ceci n’est que film de vacances! Les scènes ne sont pas improvisées mais Paulette écrit une sorte de synopsis qui permettra de ne rien oublier pour faire des séquences complètes. Sur place, rien n’est laissé au hasard.
« L’esclairatge èra un gròs problèma. Los ostalses èran pas talaments clars, las fenèstras èran piètras. Avèm començat de crompar de lampas de croma blua de 500W. Puèi l’halogène de 1000W. Preniam çò que se passava, sens tornar fa far las scènas. Al montatge causissiam. »
Il y avait un magnéto pour le son, mais malheureusement les bandes n’ont pas été exploitables. C’est André qui filmait le plus, d’autres fois c’était Paulette et donc on voit André sur l’image. Ensuite vient le montage où tout a été repéré, noté, regardé sur une visionneuse à manivelle. Bien avant l’aire du « COPIER-COLLER » informatique, c’était le « COUPER-COLLER ».
« Ambe la lista dels plans reflechissiam a l’òrdre. Aviái facha una caissa ambe de compartiments. Ambe los cisèus, copàvem e metiam cada tròç dins lo bon numèro. E quand la caissa èra plena, preniam la machina per pegar los uns darrèr los autres. »
Un travail commun, plus de 4 heures de film, 27 bobines commentées en occitan, avec une version française, sur le monde paysan du Rouergue.
Paisans de Roèrgue
Paulette et André ont été collectés par Christian-Pierre Bedel. Et en parlant, André lui lâche : « benlèu que i a quicòm que vos poriá interessar… » Et c’est comme ça que toute cette somme documentaire et ethnologique est arrivée chez Piget. On imagine très bien la tête et le sourire d’Amic Bedel quand il a découvert ces images ! Vu que le son n’était pas exploitable, il demande à André de refaire un commentaire assez spontané et didactique. En occitan bien sûr, avec une très belle langue rouergate. Mais le film est aussi sous-titré en esperanto dont André est un ardent défenseur. Il a traduit plusieurs ouvrages, fait ou réactualisé des dictionnaires…
«M’a calgut aprene l’inglés. Amai lo parli ! Mas es talament complicat. Quand descobriguèri l’esperanto, me soi dit que la solucion èra aquí. Aimavi pron las lengas. »
Amic Bedel est revenu sur la ferme de Salusses pour faire une introduction au film. Lila Fraysse a remonté les images qui ont été remasterisées, sans occulter la moindre scène. Le film de 2H20 est en 6 parties, rythmé par les saisons. Christophe Rulhes y a posé quelques graines de guitare. Les images sont parfaitement préservées, superbes. On y voit le monde paysan tel quel, sans angélisme, mais souvent avec poésie. Par ci par là, quelques scènes religieuses comme une procession aux rogations pour demander à nòstre senher de bonnes récoltes. Il y a aussi quelques recettes de cuisines : lo flòu, la pompa a l’òli, lo pan, la sanqueta, los gratons…
Tous ces moments suspendus, ces gestes précis presque hors du temps sont aujourd’hui en DVD. Ce samedi 20 février, « Paisans de Roergue » est au cinéma Le Vox de Villefranche-de-Rouergue à 14H30. Paulette et André ne pensaient pas que ces images intéresseraient un jour un public très large. A 84 ans et toujours très actifs, il leur reste encore à monter leurs images de la construction de la première autoroute en région parisienne. Un autre monde.
Lo Benaset
PAISANS DE ROERGUE – A l’origina from PIGET TOLOSA on Vimeo.