22 Mai

Avec Mory Kanté, l’Afrique perd encore un grand ambassadeur de la musique

Après Idir, Manu Dibango et Tony Allen, l’Afrique perd encore l’un de ses artistes qui a su dépasser les frontières du continent. Le Guinéen Mory Kanté est décédé ce vendredi matin à l’âge de 70 ans. A l’instar de ses confrères africains, son parcours musical alterne entre tradition et audaces occidentales, dont le fameux tube planétaire Yéké Yéké.

Pochette du 45T Yé Ké Yé Ké

Yéké Yéké à la conquête du monde en 1987

Les années 80, synonymes de l’apparition de la world music. Et comme dans toutes les vagues, il y a du bon et du moins bon, de l’opportunisme et de la singularité. Au tout début de ces années, Mory Kanté commence à lorgner sur d’autres musiques aux sonorités plus modernes. Il enregistre sur un label américain et songe à partir à la conquête de l’occident. Il a déjà enregistré Yéké Yéké une première fois. Pas vraiment satisfait du résultat, il songe à faire une version plus moderne.

Ces années 80, c’est aussi le moment où d’autres artistes africains commencent à se faire une place en France et ailleurs. Il y Salif Keita avec qui il a déjà joué, mais surtout Youssou N’Dour, Ismaël Lô ou encore Ray Lema. Avec des bases traditionnelles, ils ont fait l’apport d’autres instruments, d’autres sons pour conquérir l’Europe et les USA. 1984, il s’installe en France. Plusieurs producteurs montrent le bout de leurs oreilles, dont l’Anglais Nick Patrick. 1987, ils enregistrent l’album Akwaba Beach. 1988, ils partent à la conquête du Top 50 déjà squatté par les tubes world d’Ofra Haza et Johnny Clegg. Les cordes de la kora sur un rythme diabolique, une production efficace. Le chant des griots mandingues fait son entrée dans les boîtes de nuit.

Résultat : 5M d’exemplaires vendus dans le monde, disque d’or dans plusieurs pays dont la France et Victoire de la musique du meilleur album francophone en 1988. 2 ans plus tard, les mêmes -Mory Kanté, le producteur Nick Patrick et Philippe Constantin du label Barclay- tentent une récidive avec l’album « Touma ».

Un long parcours africain auparavant

Comme beaucoup d’artistes d’Afrique de l’ouest, Mory Kanté est issu d’une famille de griots. Une tradition orale qu’il perpétue en chantant, mais aussi en jouant de la guitare, du balafon puis de la kora que l’on entend sur Yéké Yéké. Il étudie les rites et les chants puis s’exile au Mali. Il est alors repéré par la célèbre formation du Rail Band de Bamako du saxophoniste Tidiani Koné. Dans ce même groupe se trouve un certain Salif Keita qui s’en va en 1973. C’est Mory Kanté qui le remplace comme chanteur, s’illustrant dans des morceaux de pur funk à la James Brown, comme « Moko Jolo » enregistré en 1974 avec le Rail Band ou sur un afrobeat façon Fela à la sauce mandingue.

Il fait ses armes et sa renommée s’amplifie en Afrique de l’ouest. Elle s’amplifie grâce à un ballet mandingue réunissant 75 artistes traditionnels et modernes qu’il dirige sur la scène du Centre culturel français d’Abidjan. C’est pour ce ballet que Jacques Higelin l’invité sur scène pour son spectacle à Bercy en 1985. A côté de lui, il y a aussi une autre étoile montante de la world invitée : Youssou N’Dour. Il fait aussi partie de la trentaine d’artistes africains qui participent à l’opération « Tam Tam pour l’Ethiopie » dirigée par Manu Dibango. C’est là que Philippe Constantin du label Barclay le repère. Plus tard, c’est le célèbre pianiste américain David Sancious (Bruce Springsteen, Eric Clapton, Peter Gabriel) qui le prend sous son aile et produira un album. 

Après ces visées internationales, Mory Kanté revient en Afrique. Il avait pour projet de monter à Conakry (Guinée) un grand centre de promotion de la culture mandingue avec studios d’enregistrements et salle de spectacle. Mais hélas ce projet ne verra pas le jour au vu des difficultés économiques de son pays. En 2012, il sort son dernier album « La Guinéenne ». Le président Guinéen Alpha Condé lui rend hommage sur son compte twitter.

La culture africaine est en deuil. Mes condoléances les plus attristées. Merci l’artiste. Un parcours exceptionnel. Exemplaire. Une fierté.

 

Benoît Roux