03 Nov

Comment soutenir la musique et les artistes avec ce nouveau confinement?

Depuis mars dernier, la plupart des artistes n’ont pas eu l’occasion de se produire en concert. Confinement, déconfinement, reconfinement, la donne reste la même : recettes insuffisantes voire inexistantes. Socialement, c’est aussi difficile pour les artistes de garder un lien avec le public. Lives streams payants, financement durable, concerts drive-in? Comment les artistes pourront-ils vivre encore demain de leur art ?

Marina Kaye lors du premier enregistrement Dazzle. Photo : William Lacalmontie

Lors du premier confinement, les artistes ont tué le temps et chassé leur frustration avec de nombreuses vidéos. Connus, méconnus, inconnus, solo, avec des musiciens, avec l’orchestre, toutes les formules ont été requises. Avec plus ou moins de bonheur.

Seulement voilà, il y a peu de chances que le confinement version 2 ressemble au précédent. Économiquement, la situation n’est plus tenable, ni pour les artistes, ni pour les professions qui gravitent autour. Il faut donc trouver des idées pour diffuser la musique tout en trouvant de nouvelles sources de rémunération.

Des lives streams payants ?

Le confinement épisode 1 a suscité un flot sans précédent de vidéos musicales diffusées en live stream sur les différents réseaux sociaux et les plateformes de streaming. Mais pour la plupart, elles étaient en accès libre. La question se pose donc d’une possible mais nécessaire monétisation. L’article du Centre National de la Musique rappelle l’historique et le contexte, mais difficile d’en faire un modèle économique viable. Il intéresse les artistes évidemment mais aussi les salles de spectacles et même certains lieux pas spécialement culturels qui pourraient être mis en valeur d’une autre manière. Les internautes et les fans seront-ils prêts à payer un ticket d’accès sans assister physiquement au concert ?

Le site Sortiraparis.com dresse une liste d’une bonne dizaine d’événements musicaux qui vont avoir lieu d’ici la fin 2020. On y retrouve du beau monde comme Kylie Minogue, Metallica ou encore Gorillaz.

On est vraiment situés entre le live et le clip

Le 22 octobre à 19H, une nouvelle plateforme originale a fait son apparition. DAZZLE est une entreprise française qui propose des concerts lives streams immersifs dans un lieu original. 20-25 minutes de live avec des morceaux qui sont réalisés un peu comme des clips. Ensuite, un talk-show avec l’artiste et des questions posées par les internautes pendant le live. Première expérience donc : la française Marina Kaye. « On veux proposer une expérience musicale et visuelle différente. On essaie de filmer différemment d’un prime-time télé. Les plans sont plus longs, on crée une atmosphère avec le lieu, les éclairages et les vidéos ». Baptiste Ferrier est le fondateur de Dazzle et son directeur de création. Le numéro 1 a été enregistré à Bagneux, formule piano-voix avec Marina Kaye. « On cherchait un lieu industriel et pratique. Pour les suivants, ce serait bien de trouver des lieux atypiques, étonnants, qui ont déjà un intérêt même sans éclairage ».

Making-off de l’émission

Coût de l’émission : 200 000 € pour cette première accessible gratuitement. Une quarantaine de personnes a travaillé sur cette formule durant 2 jours. Mais l’idée c’est bien de trouver un modèle économique qui permette d’en vivre et de rémunérer techniciens et artistes. Il existe déjà ce type de plate-forme payante, notamment souvent dans le domaine de la musique électro. « Nugs TV » propose aussi beaucoup de musique live payante en streaming comme par exemple Metallica le 14 novembre. On peut d’ores et déjà acheter son billet mais aussi son T-Shirt Metallica moyennant 15 dollar.

Pour Dazzle, suite au concert de Marina Kaye, des discussions sont engagées avec des labels français. « L’idée ce serait de faire des lives sur des formats plus récurrents mais gratuits, puis un concert événementiel avec billetterie chaque mois. Il y a un vrai format à inventer en complément du live. Avec plus de proximité avec l’artiste, en proposant par exemple un accès backstage en amont pour les abonnés. Si nous arrivons à bâtir ce modèle, il peut perdurer au-delà du confinement.  » 

Le résultat est assez différent de ce que l’on peut voir habituellement. Le visuel est intéressant et l’atmosphère prenante. Même si évidemment, la performance ne ressemble en rien à un concert tel qu’il se vivait auparavant. Quelles émotions peut procurer un spectacle auquel on ne peut pas assister physiquement? Et quel est le ressenti de l’artiste qui se produit sans public en face? L’avenir dira si ce nouveau concept peut devenir une ressource complémentaire pour les artistes et autres professionnels du spectacle. En tous cas, cette première avec Marina Kaye est convaincante.

C’est qui le « Patreon »?

L’artiste a besoin du public, mais avec tous les gens qui gravitent autour, ils doivent surtout pouvoir vivre convenablement. Quand l’industrie du disque déjà endommagée s’effondre, quand il n’y a plus de rémunérations liées au concert, quand la musique est largement diffusée mais sans rétribution digne de ce nom, comment continuer à créer? Avec le soutien financier et régulier des fans. C’est le principe de la plateforme PATREON.

Lancé en 2013 aux States, « Patreon » vient de lever 90 millions de dollars pour être présent en France. Relativement méconnu chez nous, on doit cette initiative à Jack Conte, un musicien du duo Pomplamoose.  Las de toucher de maigres pécules via sa chaîne You Tube (100 000 abonnés), il lance ce nouveau modèle. Ses fans s’engagent à le financer avec plus de 5 000 $ par vidéo publiée en exclusivité sur le site dès les premières semaines. En contrepartie de ce financement, l’artiste s’engage à publier de nouvelles choses régulièrement et en exclusivité sur le site. La start-up prend une commission qui oscille entre 5 et 12 % en fonction des formules. Le reste est versé aux artistes. 

Un développement durable pour les artistes

« Patreon » tout comme « Tipee » qui existait en France proposent une sorte de circuit court entre les créateurs et leurs communautés. La formule d’abonnement est de 3 à 25 euros par mois. Pas énorme pour les donateurs, mais une assurance survie pour les artistes. Contrairement à des plateformes de crowdfunding comme « Ulule » qui financent un projet, les fans s’engagent pour du long terme. De quoi permettre de créer un peu plus sereinement, ce qui met aussi une certaine « pression » qu’il faut gérer côté artistes. L’inscription est gratuite pour les artistes, les abonnés peuvent souscrire et arrêter leur abonnement quand ils le souhaitent. Mais en principe, les fans sont plutôt fidèles. Pas encore grand public, mais adopté déjà par certains artistes intéressants comme Jacob Collier, le site a pour l’instant attiré des artistes dans des domaines un peu particuliers. 

Selon le fondateur de « Patreon », il a publié plus de cent vidéos sur YouTube en 2019. « Un million de vues ne m’ont été payées que 166 dollars, indique-t-il dans cet article. De longues nuits, un travail acharné ne rapporte rien ». Toujours selon ce même papier des Echos, depuis sa création ce système a permis à plus de six millions de fans d’apporter 2 milliards de dollars (1,7 milliard d’euros) aux 200.000 créateurs inscrits sur la plateforme.

Il permet aux artistes d’être un peu plus autonomes par rapport à certains diffuseurs et surtout, il casse le sacro-saint principe de la gratuité d’internet. Oui, il faut apprendre à payer si l’on veut voir des choses de qualité. Ecouter de la musique ne doit pas se résumer à des vidéos Youtube ou à des plateformes peu regardantes avec du streaming à bas coût.

La crise profonde et durable va accélérer les changements de modèles économiques pour la culture. Les français accepteront-ils de payer pour de la qualité, de l’originalité et de l’exclusivité pour la musique comme ils le font pour le sport et d’autres domaines ? Question de survie.

DAZZLE

PATREON

Benoît Roux