28 Sep

Alerte Rouge pour Speedos et les techniciens du spectacle toulousain

Il y a les artistes et ceux qui sont derrière. Jean-Luc Petit alias « Speedos » a fait le son pour Cats on Trees, Stan Getz, Fabulous Troubadors, Mano Negra, Massilia… On le retrouve souvent aux concerts du Bikini à Toulouse. Mais depuis le printemps, les consoles restent muettes. L’Alerte Rouge a été déclarée. Si on parle souvent des artistes, tous ceux qui leur permettent de se produire sont en galère. Exemple avec « Speedos » qui a choisi ce métier pour s’enrichir les oreilles.

Photo Audio-Lum

Jean-Luc Petit est un passionné du son et du spectacle en général. Si on l’appelle « Speedos », c’est parce qu’il voudrait toujours donner plus pour sa passion. Mais depuis 6 mois, c’est le calme plat. Il aurait dû être sur un festival, peut-être participer à un concert au Bikini (Toulouse). Mais il est chez lui, avec son entreprise Audio-Lum fondée en 1989.

Audio-Lum passe au rouge comme d’autres sociétés

Non loin de Toulouse, à Drémil-Lafage, Jean-Luc trouve le temps long. Cet éternel bon vivant optimiste commence à se faire du mouron pour ses 3 salariés permanents et la quinzaine d’intermittents qui travaillent régulièrement. « Aujourd’hui, nous en sommes à 190 jours de concerts annulés depuis le 16 mars. Depuis cette date, il ne s’est rien passé non plus à la salle du Bikini ». Jean-Luc est à la tête d’une petite structure indépendante (l’une des dernières) qui intervient sur de nombreux festivals, qui suit les artistes en tournée et qui fournit beaucoup de prestations pour des salles de spectacle; notamment le Bikini à Toulouse.

Cette année les « Arts scenics » de Lisle-sur-Tarn n’ont pas eu lieu, les « Siestes électroniques » à Toulouse se sont endormies pour un an. Idem le festival « Rock en Stock » dans le Gers, le « Tangopostale » à Toulouse. Quand le téléphone sonne chez Speedos, ce n’est plus pour une commande mais pour supprimer encore une date. Ses salariés sont en chômage partiel. Lui, il n’y a pas droit mais touche des aides de l’Etat. Certains mois 1500 €, d’autres un peu moins. La Région Occitanie a été solidaire : 2000 €. Heureusement, la comptabilité de sa boîte était saine. Il puise donc dans les réserves. « Nous avons fait quelques concerts en plein air devant la Halle de la Machine (Toulouse), quelques petites locations. Nous avons perdu 80 % de notre activité depuis mars. Pendant le confinement, nous n’avons rien fait. Habituellement, notre chiffre d’affaire annuel est de 650 000 €. Cette année, nous arriverions péniblement à 150 000 € si on arrive à travailler. » 

Alerte Rouge devant le Bikini (Toulouse). Photo : Benoît Roux FTV

Les métiers de l’ombre au bord du gouffre

En Midi-Pyrénées, l’ensemble de la filière concert-événement fait travailler 9000 personnes. Les 200 prestataires techniques de l’ancienne région ont déjà perdu 2,5 M d’€. Si l’on comptabilise toutes les retombées financière générées par un événement, ce serait 8 M d’€ de pertes de chiffre d’affaire par semaine !

Mercredi 16 septembre, les professionnels des métiers du spectacle et de l’événementiel ont lancé une Alerte Rouge. Une idée venue d’Allemagne pour alerter sur leur situation plus critique encore que celle des artistes. En France, le SYNPASE (Syndicat National des Prestataires de l’Audiovisuel Scénique et Évènementiel) a porté ce mouvement. Plusieurs collectivités locales (Département de la Haute-Garonne, Région Occitanie) mais aussi des salles de Spectacle (Bikini, Halle de la Machine…) ont mis du rouge sur leur façade.

Depuis, l’événement a trouvé un écho médiatique et les échanges avec Bercy ont été intenses. « On était dans le vide, nous n’étions absolument pas pris en compte. On voulait être au premier rang, ne pas solliciter les artistes, faire voir ce dont nous étions capables. La culture, ils connaissaient…le tourisme aussi. Mais nos dirigeants ignoraient que l’on était des indépendants et que nous n’étions pas payés par les artistes. » Finalement, les discussions avancent, des propositions pourraient être reprises. Et la nouvelle ministre ? « Bachelot a bien réagi. Dans ses interventions, elle a su expliquer que derrière un artiste, il y a un savoir-faire. On a un début de prise en compte. »

Jean-Luc Petit Photo : Audio-Lum

L’avenir

Pour l’heure c’est le calme plat jusqu’à l’été 2021. Le printemps risque d’être aussi confiné que celui de cette année. « On réfléchit a savoir comment trouver une activité annexe mais c’est compliqué car notre savoir-faire est particulier. Notre outil de travail est important et cher mais il ne sert qu’à ça. On a des camions, on pourrait s’en servir mais il faudrait une licence de transporteur. Alors on essaie de se mettre à la vente de matériel car des salles continuent à s’équiper. Il faut tenir. On va serrer tous les frais, bénéficier au max des aides, repousser des paiements et attendre que ça redémarre. » 

Le confinement a été propice à des expérimentations. Les artistes ont fait des « lives », confinés chez eux, sans avoir besoin de matériel. Il y a eu aussi les concerts « drive » sur des parkings, dans sa voiture comme à Albi ou Tarbes. Mais c’était pour maintenir du lien, car ces concerts ne peuvent pas être rentables. Ils nécessitent du matériel supplémentaire pour avoir du son dans les voitures et une jauge plus que réduite. Audio-Lum a d’ailleurs envoyé un technicien pour le dive d’Albi avec le groupe Boulevard des Airs.

Speedos dernier des Mohicans

Speedos devait d’ailleurs accompagner le groupe sur des festivals. Il venait aussi de signer un artiste français qui devait tourner après le confinement. C’était lui aussi qui fournissait du matériel pour la tournée de Christophe…« Ce qui fait mal aussi, c’est que nous perdons notre savoir-faire à force de rester chez soi ». Et Speedos n’en manque pas.

L’un de ses premiers concerts, c’était Ella Fitzgerald. Il a fait aussi Stan Getz, Paco de Lucia, Stéphane Grappelli,  la scène alternative (Mano Negra, Garçons Bouchers, Béruriers Noirs). Il a suivi les Fabulous Troubadors en tournée aux States. « Mon meilleur souvenir. J’ai passé de très bons moments avec eux et on a fait le tour du monde. Ils aimaient avoir le temps. Pour 2 concerts, on restait une semaine sur place. On enrichissait notre culture en faisant de belles rencontres. »  Il suit aussi les Cats on Trees. En fait, il a le luxe de suivre les gens qu’il aime. « Je fais partie des derniers des Mohicans. Maintenant ils sont plus dans la finance que dans la technique. Ils n’ont pas l’amour que l’on a nous. On a vu l’évolution d’un métier : de quelque chose qui n’existait pas à un truc industriel. »

On est passé de la grotte à Versailles

Préoccupé par la situation mais heureux de faire ce métier, Speedos avance toujours sans faire de concessions. Il aurait pu aller à Paris, accompagner des artistes plus prestigieux mais c’est à la campagne (Drémil-Lafage) qu’il a monté sa boîte. « Je devrais être plus riche d’argent mais j’ai compensé avec d’autres richesses. Je changerais pour rien au monde. Les gens m’ont apporté beaucoup plus que l’argent. »

Les camions sont à quai, les flight-cases rangées, mais Speedos est prêt. Toujours speed pour son métier, toujours partant pour des échanges artistiques et humains. Toute cette richesse se cache derrière son sourire et sa voix si particulière. Le dernier des Mohicans est très attachant.

Audio-Lum

Benoît Roux