Il pourrait me chanter les annonces parues sur Leboncoin, je l’écouterais encore. Sam Karpienia, c’est le feu ardent de la voix, la musique qui vous emporte et vous brûle d’une flamme salvatrice dans une transe païenne. Le genre d’artiste atypique comme il y en a peu, entier, sans concession et qui se renouvelle sans cesse. Il a commencé avec Gacha Empega, ensuite Dupain, Forabandit, De la Crau et d’autres expériences encore. A chaque fois, l’extase s’invite. Si ce nom n’a pas encore tapé à vos oreilles, il est temps de faire vibrer vos tympans.
« Je suis en train d’écrire le tube de l’été ». Quand j’appelle Sam il y a quelques jours, voilà ce qu’il me répond. Quand on le connait bien, c’est sûr, on y croit. « Oui, c’est pour un proche. Il est en prison, alors j’écris un morceau pour lui. » Là, plus aucun doute ! Sacré personnage, diable de musicien, sorcier d’artiste!
Un chanteur ancré
Tu chantes comme un noir!
À la première écoute, il y a quelque chose de primitif dans sa voix. Un son éraillé profond dans les graves qui vous happe tel un hameçon. Quasi autodidacte le garçon. Pas un plis, juste la posture d’un chant furieusement libre. Comme un artiste marin qui va de port en port et s’ancre sur des territoires. Karpiénia, c’est un nom polonais. Le grand-père débarque en Normandie. Lui, il naît à Evreux et ses parents ont une poissonnerie à Bédarrides. Toujours la mer. Quand les flots ont été moins favorables, il est d’ailleurs parti une paire d’années sur un bateau dans la marine marchande. Faire un reset sur sa vie d’artiste en sachant très bien qu’il reviendrait plus fort.
DE LA CRAU – TEMPERI
Quelques années auparavant, l’envie de chanter était là. Mais la timidité aussi. Alors, il fallait un peu d’alcool pour débrider la voix. Puis il y a eu le concert de son pote Manu Théron. Depuis le bar, il se met à hurler. Manu lui dit qu’il devrait essayer de chanter. Ok mais alors, ce sera en occitan, pour le secret du message et l’ancrage sur un territoire. « C’était de la polyphonie donc je n’étais pas seul. » Au début on lui dit : « Tu chantes comme un noir! » Sacré compliment. La chrysalide fragile devient un artiste caméléon. Quelques cours de chant avec Manu mais pas plus que ça. « La meilleure école, c’est la scène. La voix, il faut que ça touche ».
Camaron, Manitas, Youssou ou Bob comme port d’attache
Avant je criais. Après, j’ai mis des paroles.
Petit à petit, le chant se libère de la timidité. « Camaron de la Isla pour moi c’est le maître inégalable. Le flamenco, c’est une espèce de cri qui sort comme ça. La violence est présente en moi. Et le flamenco c’est la permissivité de la violence ». La voix doit porter, toucher. Et pour la langue, ce sera l’occitan provençal. « J’ai choisi ça parce que tout le monde en avait rien à foutre de l’occitan. Et puis c’est une langue expressive et ancrée dans un territoire. » Il va donc prendre des cours chez sa voisine.
Après avoir fait ses armes derrière les autres, le chanteur s’affranchit. Il crée Dupain et assure seul le chant. Le groupe de la consécration, signé par une grande maison de disque avec les premières parties de Noir Désir en bonus. « Cantat, il kiffe ce que je fais ». Une énorme claque pour tous les amoureux de la musique. Le trio presque parfait, à faire pâlir de transe n’importe quel Gnawa du Maroc.
FORABANDIT – PAUR
Sam est un chanteur qui assure. « Y a quelque chose de primitif dans le chant. Avec Manitas de Platas, c’est José Reyes (le père des Gipsy Kings ) qui chante. Il y a une part de brutalité, de virtuosité et d’imprécision dans le chant. La langue d’oc me permet ça. Ce qui compte c’est l’expressivité. » Il avoue volontiers avoir Bob Marley, Mohamed Rouicha ou Youssou N’Dour (qu’il a croisé un jour) comme maître. Des artistes à chaque fois arrimés à un territoire et une culture forte. « Le raï me hante aussi. Jimmy Hendrix, Morisson, ils sont tous allés au Maroc ».
Des musiques enflammées par le rythme
J’ai voulu créer un espèce de musique provençale qui soit aussi forte que le flamenco.
Pour porter et délester cette voix fiévreuse, il fallait une musique adéquate. Son premier instrument, c’est la guitare électrique. « Je me suis mis à la guitare avec des tutos. J’ai repris du Piazzolla. « Pour le rythme, Sam se met aussi au tambourin qu’il jouera beaucoup dans Dupain. Puis la mandole acoustique, le oud et dernière découverte : le Cuatro. Un instrument originaire du Venezuela qui, comme son nom l’indique, comprend quatre cordes. « Ce qui me manquait c’était le rythme. Pour partager quelque chose de festif ».
DUPAIN – VERTIGE
Vous l’aurez compris, Sam Karpienia est un artiste éclectique toujours curieux de découvrir. « Je n’arrive pas à me tenir dans quelque chose. Peut-être que je suis un artiste de variété comme tous ces gens qui ont eu des périodes : Gainsbourg, Camélia Jordana, Dominique A… Et puis Bashung, c’est le patron. Il a finit par trouver son truc à lui. « Sam aussi a fini par trouver son mouillage fait de sueurs, d’expressivité et de transe. Que ce soit Dupain, Forabandit ou maintenant De la Crau, il y a cette même patte, une musique qui envoie, cette urgence qui va à l’essentiel, un feu vibrant sans artifice. Mais toujours sans ce répéter, chaque groupe avec son identité, un son. Une forme de territoire austère (comme la Crau en Provence) mais riche de profondeurs. Une musique populaire qui panse les fractures industrielles et tranforme les colères ouvrières en odes poétiques.
DE LA CRAU – BESTIARI
Et alors…ce tube?
J’ai fait des musiques pas forcément grand public, j’aimerais bien arriver à toucher.
Le confinement pour un artiste épris de liberté, doit être propice à une évasion artistique. Pour Sam, il s’agissait de faire quelque chose pour son neveu en prison. « J’ai du mal à faire des refrains. Ca ne me vient pas. Pour mon tube de l’été je me suis dit : il en faut un! Et je vais lui faire un morceau qui lui donne la patate! » Il invite un pote docker pour faire la basse, prend son Cuatro et ressort une vieille boîte à rythme analogique et mélange 2 rythmes. « La Cuatro m’a mis la banane. Comment je peux me faire du bien, tout seul et générer du rythme. Ça te tient debout. » Le titre s’appelle « Guilhaume ». Sam me l’a gentiment envoyé.
La fièvre est toujours là, enlevée par le cuatro. C’est d’ailleurs cet instrument qui fait le refrain, en quelques coups de griffes. Ce sera le départ d’une nouvelle série de morceaux qui donneront bientôt un nouvel album. « Je voudrais faire un clip auprès des montagnes de sel en Camargue. Et filmer ça comme si c’était le Groenland! ».
La créativité, toujours à fleur de peau. Je ne sais pas si « Guilhaume » sera bien le tube de l’été. A défaut de l’entendre sur les radios branchées et les discothèques déhanchées, écoutez Sam Karpienia. Je ne voudrais surtout pas qu’il aille sur Leboncoin pour me chanter les annonces.
Benoît Roux