08 Juin

Le nouveau bac étrangle toujours l’occitan au lycée

Où en est la lutte contre la réforme du bac, dénoncée comme une mise à mort pour l’occitan ?


Manifestation pour défendre l’enseignement de l’occitan, le 17/02/2019 à Toulouse.

Dès sa présentation en 2018, la réforme du baccalauréat est devenue la première préoccupation des défenseurs des cultures minorisées en France. Création d’un collectif au niveau national (« Pour que vivent nos langues »), manifestations, pétitions, démarches des élus, colloque au Sénat, courriers au ministère… Face au ministre de l’Éducation Nationale, têtu et soutenu, la mobilisation est forte. Et puis, le covid-19 a coupé l’élan. Les rassemblements ont été annulés et les professeurs ont dû en urgence fabriquer des cours à distance. Mais le coronavirus n’a pas arrêté la loi, toujours en place. Une loi qui a pourtant provoqué l’union générale contre elle : union des différentes langues du territoire français et union de tous les militants, malgré des querelles parfois rudes et anciennes. En Provence, ceux qui affirment que le provençal est una langue à part ont protesté tout comme les occitanistes, défenseurs de l’unité de la langue d’oc. « Le danger est grand, il a fait bouger ceux qui d’habitude ne le font guère, commente Alain Barthélémy, secrétaire de l’AELOC (association des professeurs de langue d’oc dans la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur). Nous avons vu ici une sorte de tentative d’union sacrée. » Bien que la « tentative d’union » demeure un pari, la chose est rare. Il faut dire qu’en poussant les lycéens à ne pas prendre d’option, qui ne valent plus rien pour le bac, la réforme s’attaque aux cours où sont inscrits la plupart des élèves de langues minorisées. De plus, on laisse aux chefs-d’établissement le choix de mettre en place un enseignement de spécialité pour ces langues ; la baisse des effectifs et des dotations financières conjuguées leur donnent toutes les raisons nécessaires pour ne pas le faire.
Au mois d’avril une manifestation des enseignants d’occitan était prévue à Montpellier. Bien sûr, elle a été annulé, mais on ne sait pas quand un tel rassemblement pourra se tenir. Yan Lespoux, président de la Felco, et les autres membres de « Pour que vivent nos langues » veulent en organiser un « à la rentrée ». « Nous réfléchissons si l’on fait une manif unitaire à Paris, comme celle du mois de novembre dernier, ou si on en organise une dans chaque région, le même jour au même moment. Nous avons aussi une lettre pour Macron qui est écrité, mais nous attendons que l’actualité soit moins chargée pour l’envoyer. » En attendant, la Felco, la fédération qui réuni toutes les associations régionales des enseignants d’oc dans le service public, continue « d’interpeller le ministre, sans aucune réponse bien sûr ». « Ce qui est positif c’est que la situation est tellement grave que l’on voit une véritable mobilisation des collègues, rapporte Lespoux. Il y a l’envie de se battre. » Enseignant au collège et lycée à Périgueux, Martial Peyrouny attend lui une réponse du conseil d’État pour le recours qu’il a fait il y a deux ans déjà. « Normalement le dossier est terminé depuis juin 2019, mais nous n’avons toujours pas de décision. » Il avait déjà lancé une action similaire contre la réforme du collège quelques années auparavant. « J’ai un fils qui est en 1ère, il était au collège quand ils l’ont modifié. Aujourd’hui il se prend le covid et ne sait pas encore comment va se passer le bac de français à la fin de l’année. Il me dit qu’il est de la génération « crash-test ». »

Au lycée Bertran de Born, Martial Peyrouny est en charge de 26 élèves en 2nde, 14 en 1ère et 14 en terminale. Des chiffres qui font envie à la majorité de ses collègues. « Ici nous avons une bonne dynamique entre les associations, le département… Sur un territoire qui baisse en population, et donc en nombre d’enfants, l’occitan gagne des élèves. On ouvre des classes dans des écoles, des collèges. Mais on ne sait pas si ça va durer, parce qu’il est important d’avoir une possibilité au bac pour motiver les gens. » Cette année, Martial sait qu’il va perdre 5 élèves entre la 2nde et la 1ère, « parce qu’ils n’ont plus le droit de faire deux options : s’ils prennent l’occitan, ils ne pourront plus faire de sport en plus ». Pour ce qui est de la spécialité en occitan, le professeur constate que les élèves hésitent beaucoup à la prendre : « Ils ont tellement peur de Parcoursup et de leur affectation pour les études qu’ils veulent s’inscrire dans ce qui leur semble plus important. Alors ils m’expliquent, « vous comprenez je veux faire une « prépa », je veux faire cela… ». » Du côté de la Provence, les effets de la réforme du baccalauréat sautent aux yeux d’Alain Barthélémy, « dans l’académie de Nice, le nombre de lycéens en occitan a diminué de moitié en deux ans. Il y en avait 840 en 2017, maintenant ils sont 419 répartis dans 12 établissements. On ne connaît pas les chiffres pour Aix-Marseille, le conseil académique ne s’est pas tenu cette année ». La baisse se voit partout en Occitanie, et les craintes sont grandes pour la prochaine rentrée. « Nous étions pessimistes, nous le sommes encore plus, rapporte Yan Lespoux. Avec le covid il a été très difficile de faire la promotion de l’enseignement dans les collèges. » La colère des enseignants d’oc est partagée par ceux des autres langues : « Tout ce qui n’est pas l’anglais est concerné, rappelle le président de la Felco. Pour une fois, on n’est pas seuls. Toutes les options sont dévalorisées, placées à des horaires pas possibles. » « Le portugais disparaît, l’italien est en chemin et l’allemand est en danger », complète Peyrouny.

La promotion de l’occitan au lycée n’a pas pu s’assurer dans les collèges, mais elle se fait en ligne avec un clip enregistré par des anciens de Bertran de Born, à Périgueux.

Au nord de Montpellier, le tout premier lycée Calandreta, créé il y a quelques années, connaît des difficultés différentes. « Pour nous faire de l’occitan n’est pas un problème, nous n’avons pas de chef-d’établissement opposé, explique Amaïa Cormier, la coordinatrice pédagogique. Tous les lycéens sont inscrits en LVB au baccalauréat, la formule la plus haute possible. Mais les complications sont dans les autres matières : nous ne pouvons pas proposer beaucoup de spécialités et cela fait que des collégiens de Calandreta irons ailleurs. » Membre du collectif « Pour que vivent nos langues », Calandreta est depuis le début de la mobilisation au soutien des enseignants du public, même dans les régions où elle n’a pas de lycée – c’est de toute façon l’avenir des « calandrons » des écoles et des collèges qui est en jeu. Depuis des années on constate dans les facultés que moins de lycéens en occitan signifie moins d’étudiants et à la fin moins de candidats pour être instituteurs ou professeur.
Après une année d’application de la réforme dans les classes de 1ère, les professeurs en font un bilan plus que mauvais, au delà de la problématique occitane. Ils notent une augmentation du stress des élèves, qui se construisent à présent un parcours individualisé. « Ils sont perdus, ils ont un emploi du temps de folie, s’énerve Martial Peyrouny. Pour une matière il peut y avoir 4 professeurs différents, il n’y a plus de classes. C’est une folie. » « Avec le contrôle continu, qui s’applique maintenant dans beaucoup de matières, ils ont des examens tous le temps, détaille un enseignant provençal. D’habitude, j’organise avec eux du théâtre, des voyages… Mais nous n’avons pas pu voyager, ils ont trop d’évaluations à faire. Donc, pour justifier ton enseignement, tu ne fais plus de pédagogie. » A Périgueux, Peyrouny explique qu’il n’a jamais vu « autant de cas d’eczéma, de colite ou de mal de dos, ils se sont mis une pression incroyable ». Ce qui est sûr c’est que la réforme dévalue un diplôme, le baccalauréat, qui était déjà insuffisant pour travailler. A la tête de l’offensive, Jean-Michel Blanquer semblait inattaquable pendant ses premières années en poste. Un changement s’est noté quand a éclaté la crise sanitaire en mars, puisque le président de la République et le Premier ministre l’ont contredit plusieurs fois. Le ridicule de la répétition de ces contradictions n’a échappé à personne. Et il a ravit les professeurs. « De tout façon, au ministère, ils devront réformer la réforme, pense Peyrouny. Avec l’organisation actuelle, ils vont dans le mur. Et peut-être qu’à la rentrée, quand nous relancerons le mouvement d’opposition, le ministre aura changé. » Pour Emmanuel Isopet, président du CREO de Toulouse (association des professeurs de l’académie toulousaine), la réponse est claire : « Je ne crois pas qu’il sautera, ils l’auraient déjà fait. Et si c’était le cas, son successeur ne touchera pas la réforme. »


Manifestation du collectif « Pour que vivent nos langues » le 30/11/2019 à Paris.

Le tableau est noir pour l’occitan, néanmoins ses défenseurs gardent espoir. Surtout grâce aux conventions, une mesure qui date de la loi Fillon en 2005. Un texte qui définit les objectifs, chiffrés, du développement de l’enseignement en langue régionale. Il en faut un par académie, convenu entre le rectorat et la Région. Les politiques peuvent donc peser et réfuter la convention, si les objectifs ne leur vont pas. « C’est la seule chose sérieuse que nous avons, le seul engagement de l’État, via son recteur, auquel nous pouvons avoir un peu confiance » décrit Emmanuel Isopet. Bien qu’il complète aussitôt : « Tu fais des promesses, mais c’est comme un mariage, il peut y avoir tromperie. » En 2017, la ministre Najat Vallaud-Belkacem a signé une convention cadre avec l’Office Public de la Langue Occitane, qui doit se décliner et s’appliquer dans les 5 académies concernées par l’OPLO (Bordeaux, Limoges, Poitiers, Montpellier et Toulouse). Si du côté de Bordeaux les choses avancèrent, ce n’est pas pareil à Toulouse. « Nous attendons encore la signature officielle de la convention localement, reprend Isopet. Nous n’avons pas ouvert de nouvelle classe bilingue depuis deux ans, et l’an dernier les cours de langue d’oc ont été arrêtés dans 10 lycées. » La protection peut être fendue. Dans d’autres Régions, il n’y a aucune protection. « En Provence, les élus n’ont pas de volonté forte de protéger la langue et la Région n’a jamais trop bougé pour faire une convention » regrette Alain Barthélémy. Et puis la division n’aide pas, puisque le secrétaire de l’AELOC assure que des représentants du Collectif Provence, pour lesquels leur pays n’est pas occitan, ont voulu l’empêcher. Cependant, l’importance de la Région pour fabriquer une convention indique qu’en plus de lutter face au ministère et au rectorat, il faut aussi (d’abord?) faire pression sur les élus. Que ce soit avec les Départements, les Mairies, les Régions, « les motifs d’espoir sont au niveau local » conclu Emmanuel Isopet.

L’an dernier, députés, sénateurs, maires, conseillers de collectivités, nombre d’élus ont pris position pour les cultures minorisées. En Occitanie ce ne sont pas les plus actifs, mais le mouvement occitaniste s’est lui largement rassemblé : du Congrès au Félibrige en passant par l’IEO, personne n’a manqué. La manifestation de Toulouse en février 2019, organisée en 2 semaines, a réunie plus de 2000 personnes, avec des représentants de tous les territoires d’oc, de Nice jusqu’à Bordeaux. A l’heure du coronavirus, certains craignent, comme Martial Peyrouny, que « la peur n’enferme les gens et empêche les oppositions de s’exprimer ». L’enjeu des semaines à venir sera de retrouver l’élan e l’unité, pour sauver l’enseignement et l’avenir de la langue occitane.

Ambiance dans la manifestation du 17/02/2019 à Toulouse.