Il y a près d’un demi-siècle, le professeur Xavier Ravier gravissait les montagnes de la Bigorre, micro à la main, en quête de paroles, récits, chants et autre pépites de l’oralité gasconne. Cette enquête de terrain allait notamment permettre d’enrichir l’atlas linguistique et ethnographique de la Gascogne dirigé par Jean Séguy, mais elle allait surtout constituer un véritable trésor. Parce qu’ils ont été réalisés entre 1956 et 1962, donc à une période où personne n’avait encore fixé sur un support la voix du peuple montagnard, ces enregistrements ont un caractère purement exceptionnel. Ce n’est que dans le courant des années 70 que différents passionnés, ethnographes en herbe ou militants occitans vont vraiment commencer à ratisser les campagnes pour collecter la mémoire orale. Avec près de 20 ans d’avance sur tout le monde, le professeur Ravier a donc été un précurseur. Près de 60 ans après son enquête, les bandes magnétiques ont parlé et elles nous livrent 23 chansons rassemblées dans un livre-disque « Memòrias en partatge« , édité par l’association « Pirèna Immatèria » et présenté au public mercredi dernier à Tarbes. Dans ce premier opus de la collection, place est donc faite à la canta, ce chant pyrénéen ici interprété en solo par près d’une dizaine d’informateurs comme Albert Lia, Jean Broueilh, Jean-Marie Tirat ou encore Germaine Crampe. La qualité sonore des enregistrements est remarquable, la langue occitane des chanteurs est d’une richesse et d’une limpidité quasi sacrée, quant aux chansons, elles nous transportent et transposent notre imaginaire montagnard. Pour Pascal Caumont, professeur au Conservatoire de Tarbes et président de l’association « Pirèna Immatèria » qui a édité le livre-disque, ce qui est frappant dans ces chansons, c’est la grande liberté dans l’interprétation : « C’est sur le moment que le chanteur va décider de sa version. Ce n’est pas une improvisation au sens jazzistique, c’est en fonction du moment, de qui est là, de son état, qu’il va donner tel débit, tel phrasé, tel éclairage. Il y a une grande souplesse, une grande liberté, bien plus qu’aujourd’hui où l’on a un peu tendance à uniformiser un petit peu les pratiques en imitant. Ces enregistrements vont donc apporter de la fraîcheur aux chanteurs actuels. C’est comme si on avait retrouvé de vieilles semences de variétés oubliées et qu’on les remettait en terre. Cela donne de nouveaux fruits et de nouvelles récoltes à l’horizon. » Ces enregistrements sont autant d’archives historiques que de sources d’inspirations vocales à venir. Une sorte de courroie de transmission au final, pour valoriser cette mémoire collective pyrénéenne. Pascal Caumont ose espérer que ce patrimoine oral va permettre de « féconder l’imaginaire et la création artistique, qu’elle soit musicale, vocale ou même théâtrale… Cette tradition du chant est très liée aux relations sociales puisque les gens se rencontrent pour chanter. Que cela soit dans un cadre familial, entre amis ou également avec des gens que l’on ne connait pas mais qui font tous partie de cette grande famille des gens… chantant ».
Clément Alet