Non, je ne résumerai pas un livre qui raconte 30 ans de la vie d’un groupe en quelques lignes.
Oui, « Massilia Sound System, la façon de Marseille » de Camille Martel, aux éditions « Le mot et le Reste » se dévore aussi bien que le dernier Massilia paru il y a deux jours s’écoute.
Bien évidemment, tout dépend de quel point de vue on se place en tant que lecteur. Mais que l’on soit un fan inconditionnel du Massilia, un amateur occasionnel qui a découvert le groupe dans les années 2000 ou un simple curieux du phénomène massiliesque, on en apprend forcément à la lecture du livre. On rit, on frissonne autant qu’on s’émerveille des petites anecdotes et autres tranches de vie délivrées à foison et mûrement racontées ici.
« Massilia Sound System, la façon de Marseille » est tout d’abord un ouvrage précis, extrêmement documenté, factuel et descriptif. Un véritable travail journalistique qui rassemble les faits importants du Massilia depuis 1984 jusqu’à nos jours tout en les mettant en perspective dans leur contexte de l’époque. Avec finesse et quelques pointes d’humour, le livre déroule un fil sans encombre et se lit presque comme un bon roman.
C’est une gamine du Gers, dans les années 60 qui va sans le savoir, trouver le nom de scène du petit « Fransou ». François Ridel deviendra Tatou, un des piliers historiques du groupe. Ce parisien à l’accent pointu, qui a donc entendu la langue d’oc tout petit avant de la redécouvrir en classe de seconde grâce à un papier publié dans Libé, débarque à Marseille en 1978. Quelques années plus tard, il devient l’un des animateurs vedettes de Radio Service. La radio la plus écoutée à Marseille, devant RMC. Grâce à cette radio et aux titres de reggae de Tatou s’amuse à diffuser en douce au milieu d’une programmation musicale très « années 80 », un premier groupe de marseillais va se mettre en relation, se retrouver. Jo Corbeau, Cécile, Jagdish et Tatou chantent alors sur les faces instrumentales des tubes jamaïcains, Massilia Sound System est né et donnera son premier concert illégal sur le cours Julien, le 20 mai 1984.
Dans le courant de l’année 1985, un certains René Mazzarino, électricien à la Caisse Régionale d’Assurance Maladie s’ennuie ferme à Marseille. C’est donc tout naturellement, que ses oreilles frétillent à l’écoute des premiers mix sauvages du Massilia. A la fin d’un concert, il en profite pour donner ses conseils en matière d’éclairage. C’est ainsi que René Mazarino est baptisé Jah Light, l’éclairagiste officiel du Massila, avant de devenir un peu plus tard Jali, le second pilier du groupe.
Tatou et Jali sont réunis dans le Massilia et avec eux un noyau de 7 artistes, puis de tchatcheurs, MC, DJ, penseurs qui vont créer les solides bases du groupe. Pendant les toutes premières années, Massilia évolue sans cesse et l’on comprend mieux, à la lecture du livre, pourquoi et comment se fabrique le son du groupe, sur le fond comme sur la forme. Le livre de Camille Martel nous éclaire sur l’origine de ce raggamuffin marseillais complètement atypique sur la scène française, qui porte et revendique aussi une identité occitane.
Une virée à Toulouse crée une première connexion avec un certain Claude Sicre et les Fabulous Trobadors. Castan, Carlotti ne sont plus très loin. L’occitan taraude de plus en plus Jali et Tatou à tel point qu’on les retrouve dans les Assemblées Générales de l’IEO : « assis au fond de la salle, ils fument, parlent fort et s’attirent les foudres de la vieille garde du mouvement. Le groupe se trouve à la croisée de plusieurs chemins : d’abord inscrit dans la mouvance hip-hop encore balbutiante, il est également ancré, par ses amitiés avec Nuclear Device, Babylon Fighters et les punk français, dans le mouvement alternatif, il est enfin porte-étendard du mouvement occitaniste. Et apprend à se structurer via Ròker Promocion » nous explique Camille Martel.
C’est justement grâce à ce label, pensé et organisé par les membres du groupe eux-mêmes que la machine Massilia va petit à petit décoller… Et pour la petite histoire, faire décoller, grâce à Ròker Promocion, un autre groupe marseillais bien connu sous le nom d’IAM. C’est bien Tatou qui est « au contrôle, il assure l’enregistrement des morceaux et le mix » du premier album d’IAM baptisé Concept, rapporte Camille Martel.
« Massilia Sound System, la façon de Marseille » détaille ensuite chapitre après chapitre, l’histoire de chaque opus du Massilia. Qu’il s’agisse de son contexte de fabrication, de la tournée comme du contenu de chaque titre, décortiqué et analysé par l’auteur, depuis « Rude et Souple » en 1988, jusqu’au tout dernier « Massilia » paru cette semaine. Les grandes heures de fêtes et de création, les crises d’identités, financières ou artistiques, les joies et les peines avec la disparition de Lux B en 2008 y sont finement détaillées, avec distance mais avec une touchante justesse.
Depuis la création de la Chourmo, aux collaborations musicales très fructueuses avec La Talvera, des première virées en « Raggamobile » aux quatre coins de France jusqu’à la tournée aux Etats-Unis en passant par les moments partagés avec Mad Professor et The Robotiks dans « l’immense tour-bus à étage », l’aventure humaine du Massilia a emmené avec elle de nombreux artistes et de fans.
Goatari a trouvé un poste à Radio France après avoir quitté le Massilia. Janvier l’a remplacé puis les « ambianceurs de haut-niveau » Gari et Lux B sont arrivés. On assiste dans l’ouvrage, à leur métamorphose progressive derrière le micro sur scène ou en studio. Quelques temps plus tard, Kayalik et Blu prendront leur place à un moment clé du groupe : celui de la sortie de l’album de la deux chevaux : Blu e Blanc / 3968CR13. 50.000 exemplaires vendus pour le disque le plus abouti du Massilia. Une des plus belles anecdotes de création d’un titre est d’ailleurs détaillée par Camille Martel. Il s’agit de la chanson « Bouteille sur Bouteille » : « un exemple typique de tradition et de modernité voulu par Massilia Sound System pour cet album. Une fois de plus, le morceau est parti d’un accident. »
Pour en savoir plus sur cette pépite d’accident créatif, il ne vous reste plus qu’à lire « Massilia Sound System, la façon de Marseille » aux éditions « Le mot et le Reste ». Une plongée quasi intime, sans cliché et sans véritable concession dans l’histoire du groupe. Une lecture joyeuse, festive et communicative… autant de plaisirs qu’un bon concert du Massilia.
Clément Alet