24 Sep

Juliette Gréco, l’élégante et captivante interprète de la chanson française

A l’instar d’un Brel ou d’une Barbara ses 2 maîtres, Juliette Gréco était une interprète hors norme. Une élégance, une sensualité, une intelligence qui habitent aussi sa personnalité. Celle qui a chanté Brel, Brassens, Ferré, Aznavour, Gainsbourg ou Biolay s’en est allée. La chanson française perd l’une de ses grandes dames.

Juliette Gréco Festival Jazz de Montreux Photo : JEAN-CHRISTOPHE BOT via MaxPPP

A 93 ans, Juliette Gréco a tiré sa révérence. « Il faut partir d’un coup, pas quand on ne peut plus. C’est une question d’orgueil et de dignité. Je veux m’en aller debout, s’en faire pitié. » Ce sont ses mots, dans plusieurs interviews. Elle aura vécu grandement, en s’amusant, sans prétention, avec un regard toujours lucide sur les gens et les choses.

Juliette Gréco – Je suis comme je suis

« Je suis comme je suis », paroles de jacques Prévert, le titre d’un album sorti en 1968. L’élégance de Greco, c’est aussi dans les textes.

Des hommes à sa plume

L’enfance de Gréco, c’est le sud-ouest, une naissance à Montpellier, une jeunesse en Gironde, dans le Périgord. Et puis le choc : sa mère, sa sœur, déportées pendant la guerre. Elle se retrouve en prison, à Fresnes. Mais Juliette c’est la liberté…à Saint-Germain-des-Prés. Elle y rencontre beaucoup d’intellectuels qui vont aider son envol : Sartre, Beauvoir, Camus, Merleau Ponty, Queneau qui lui écrit « Si tu t’imagines ».

Juliette Gréco – Si tu t’imagines (Live au japon 1961)


La dame en noir prend vie. « Le noir c’est la couleur de la protection au Japon. J’ai toujours eu de la chance, j’ai été choisie. Je ne sais pas pourquoi. »

Viennent ensuite Boris Vian et un autre jazzmen et non des moindres : Miles Davis. C’était l’époque (les années 50) où un homme noir ne pouvait pas s’afficher avec une femme blanche sans se faire traiter de putain. Miles Davis ne l’épousera pas pour ces raisons là. Mais il lui dira peu avant sa mort : « même s’il y avait plusieurs milliers de personnes, même de dos, je vous reconnaîtrais parmi toutes les femmes. »

Quand la chanson prend l’emprise sur le cinéma, Béart, Aznavour puis Gainsbourg écrivent pour elle. Tout n’a pas été facile pour la « Javanaise ». Personne n’en voulais. Les paroles « j’avoue j’en ai bavé pas vous » prennent tout leur sens.

Juliette Gréco et ibrahim Maalouf – La Javanaise Live à l’Olympia

Le tube presque immédiat de sa carrière c’est le fameux « Déshabillez-moi », alors que la femme n’est pas encore totalement libérée. L’audace, toujours l’audace. De toute façon, Gréco fait ce qu’elle veut. Elle reprend même une chanson de Ferré « Jolie môme ». Elle qui disait : « je ne fais pas de reprises. Chaque artiste est un univers, un monde. A quoi bon le copier. » 

Juliette Gréco – Jolie môme


Mais avec intelligence, on peut s’emparer de la chanson de Brel. « Je ne suis pas dans l’interprétation masculine d’un homme serpillière prêt à tout pour reconquérir. Je suis une femme qui menace. »

L’éternelle jeunesse

Jusqu’à la fin, même pour ses adieux au public en 2016, Juliette Gréco est restée en prise avec son temps. Les jeunes artistes l’ont toujours admirée. Beaucoup ont écrit pour elle. Benjamin Biolay bien sûr, mais aussi Christophe Miossec, Olivia Ruiz, Abd Al Malik… Dans un entretien au journal La Croix, elle clame un intérêt réciproque. « Je les aime infiniment ces jeunes gens. Je peux comprendre qu’ils soient impressionnés de rejoindre des auteurs que je chante comme Brel, Ferré, Prévert ou Gainsbourg et que l’on puisse les comparer à ces anciens. Mais j’aime dire que j’ai toujours chanté des auteurs jeunes, à leur époque. J’ai vu débarquer Brel, quasi famélique alors que sa carrière n’avait pas l’audience qu’elle a eue par la suite. Je constate que les mots de la nouvelle promotion me vont bien. Olivia Ruiz (qui a écrit deux chansons) a estimé que je pouvais être cette femme qui ouvre la boîte aux souvenirs. Dans la vie, je ne suis pas encore celle-là. Je veux toujours tout recommencer ! »

Elle récidive dans Le Figaro. «C’est moi qui ai fait appel à eux. Je n’ai jamais fait autre chose et j’ai retrouvé le même bonheur qu’avec Gainsbourg, Ferré ou Béart. J’ai bien reçu 1 000 Déshabillez-moi et 500 Feuilles mortes… Mais en moins bon. Eux m’ont écrit autre chose. Tout est original et beau…» 

Juliette Gréco – Comme si de rien n’était (Biolay/Jouannest)


Un texte de Biolay sur une musique de son mari Gérard Jouannest. Tout est dit :

En rêvant d’impossible
Au fond du cœur, possible
Qu’on ait des remords
Mais on rentre à bon port
Comme si de rien n’était

« Nous étions une génération de fous. On n’avait pas d ‘argent mais on était riches… Aujourd’hui on est dans la méfiance. Tout le monde se méfie. Je suis assez contente d’être vieille pour ça. Je suis une incurable optimiste », confie t-elle à Bruno Duvic sur France Inter. 

Gréco n’avait peur de rien, pas même de la mort. « Une interprète c’est une servante, aimante, attentionnée, qui donne tout. » La chanson française avait là une sacré ambassadrice. Sa voix envoutante, ses mains parlantes, sa longue silhouette en quête de liberté  n’ont pas fini de nous hanter.

Juliette GRECO : « Ma vie est une grande histoire d’amour » TV5 Monde

Benoît Roux