08 Sep

Automobilistes parisiens : ces privilégiés qui s’ignorent

Le titre est volontiers provocateur, avouons-le. Mais face aux éditorialistes mondains ayant micro sur rue, aux néo-députés en manque de notoriété et autres vedettes du show-bizz aux millions de followers n’ayant de cesse de vomir sur les aménagements de voirie menés par la ville de Paris à la seule expérience de leur petit nombril coincé dans les bouchons, il est temps de prendre un peu de hauteur et de rétablir quelques vérités sur la place et l’usage de la voiture dans notre belle capitale.

  • Mensonge n°1 : Hidalgo s’acharne sur les automobilistes, bien plus que ses prédécesseurs

Diminution du nombre de places de stationnement, réduction de la vitesse, piétonisation de la voie Georges-Pompidou, création de pistes cyclables… Les griefs à l’encontre d’Anne Hidalgo ne manquent pas. Sauf qu’elle est loin d’être la seule maire de Paris à s’être attaquée à la place de la voiture à Paris. Tous ses prédécesseurs, de gauche comme de droite, ont mené une politique de rééquilibrage de l’espace public au détriment de l’automobile. Petit quiz…

► Quel maire de Paris a lancé le premier réseau de pistes cyclables de Paris ? Jean Tibéri

► Quel maire du 13e a fait de son arrondissement le précurseur des pistes cyclables à grande échelle ? Jacques Toubon

► Quel maire de Paris a inauguré les premiers couloirs de bus de la capitale ? Jean Tibéri

► Qui décida d’implanter le futur T3 sur le boulevard des maréchaux en lieu et place de deux à quatre files de circulation ? Jean Tibéri

► Qui mit fin au projet de la radiale Vercingétorix, qui aurait permis de relier l’A10 à la Tour Montparnasse ? Jacques Chirac

Autant d’initiatives à retrouver dans ce reportage réalisé à partir d’archives des plus instructives :

  • Mensonge n°2 : il n’y jamais eu autant d’embouteillages à Paris

Là encore, l’analyse historique et tout simplement mathématique vient contredire le ressenti (légitime) de l’automobiliste au pas. Commençons par un problème niveau collège : sachant que le nombre de voiture en circulation dans Paris a baissé de 28 % depuis 2001 et que la place allouée à la circulation automobile est passée, dans le même temps, de 60 % à 50 % de la voirie, les voitures disposent-elles proportionnellement de plus ou de moins de place pour circuler qu’il y a 16 ans ? Je ne vous ferai pas l’injure de vous donner la réponse…

De tout temps, les Parisiens ont pesté contre les embouteillages, y compris lorsque les 1.400 km de rues de la capitale étaient grand ouvertes aux voitures (axes rouges, voies Georges-Pompidou, tunnel du Châtelet…). Jetez donc un œil au documentaire de Canal + réalisé en 1999 : l’INA vous offre les deux premières minutes, elles suffisent amplement pour se faire une idée du chaos de l’époque. Certes, la piétonisation de la voie Georges-Pompidou a dégradé la situation l’an dernier, certains temps de parcours se sont clairement allongés, mais rien d’insurmontable : une ou deux voire trois minutes de plus, c’est l’équivalent de l’intervalle entre deux rames de métro, rien de plus. Cessons de hurler aux loups. L’un des axes les plus touchés, le boulevard Saint-Germain, est ainsi parcouru en décembre 2016 en 12 min 6 sec, soit seulement 1 min 35 secondes de plus qu’en septembre 2016. Est-ce si dramatique ?

  • Mensonge n°3 : les vélos et les piétons prennent toute la place

Là encore, regardons les chiffres : dans Paris, seuls 13 % des déplacements quotidiens se font en voiture (contre 5 % à vélo), un chiffre en baisse constante depuis plusieurs décennies (-43% depuis 1992, – 28% depuis 2001). Et pourtant, 50 % de l’espace public est alloué à la circulation automobile. L’écart est gigantesque : de 1 à 4. Que se passerait-il si les piétons exigeaient autant d’espace ? Les déplacements en pédibus (à pied quoi) représentent 47 % des déplacements intramuros : il faudrait donc piétonniser l’équivalent de deux capitales !

space-car-bus-bike-40Comme Le Monde l’explique brillamment, l’emprise au sol des voitures est sans commune mesure par rapport à celle des vélos : ainsi, « une Clio (1,7 m × 4 m) occupe 7 m2 bien qu’elle soit qualifiée de citadine, face aux 7,6 m² du plus « compact » des SUV (1,78 m × 4,3 m), et parfois plus de 9 m² pour une berline (1,9 m × 4,8 m). En comparaison, un vélo n’a qu’une emprise au sol de 1 m² (60 cm × 1,75 m)« . Passe encore si les voitures transportaient plusieurs personnes : mais ce n’est pas le cas. La moyenne d’occupation est de 1,1 usager par véhicule : à 1,7, il n’y aurait plus aucun bouchon dans Paris ! Faut-il donc plaindre l’automobiliste seul dans son 9 m² avec climatisation et radio ? Personnellement, j’aurais plutôt tendance à m’apitoyer sur le sort des 660.000 voyageurs de la ligne 13, compressés à raison de 4,5 personnes au m² aux heures de pointe : au moins, eux, font l’effort de vivre en collectivité. Idem pour les 1,2 M de voyageurs du RER A, sur l’axe majeur est-ouest : si ces derniers prenaient tous leur petite voiture personnel par confort, vous imaginez le chaos sur le périph ?
  • Mensonge n°4 : tout ça pour quelques bobos
Ah les pauvres banlieusards bloqués aux portes de Paris ! L’argument massue avancé par nombre de détracteurs d’Hidalgo n’est en fait qu’un pur fantasme. Les études menées ces dernières années sont catégoriques : une majorité des véhicules circulant dans le centre de la capitale sont conduits par des CSP+, résidant à Paris (pour être précis : 64% dans les 1er, 2, 3 et 4eme arrondissement). Ils parcourent en moyenne 3,5 km, soit l’équivalent de sept stations de métro ! Leur motivation principale : le confort… Le problème pour Hidalgo c’est que se trouve dans ce flux de CSP+ motorisés foule de journalistes et éditorialistes de tout poil, bien au chaud dans leur bulle ouatée à mille lieux du quotidien des autres citoyens, d’où une litanie de papiers incendiaires, laissant penser qu’une majorité de Parisiens est outrée, scandalisée… Pourtant, un récent sondage IPSOS montre exactement le contraire : plus des deux tiers (68 %) approuvent la réduction de la place dévolue à l’automobile et 78 % se réjouissent que Paris soit devenue une zone à circulation restreinte (ZCR), dotée de vignettes Crit’Air permettant de bannir les véhicules les plus polluants en cas de pic de pollution.
Plus globalement, lorsque politiques et journalistes poussent des cris d’orfraie pour dénoncer la fermeture de la voie Georges-Pompidou, ils ne défendent en fait que les 50.000 automobilistes (43.000 voitures) qui l’empruntaient quotidiennement, autrement dit pas grand monde au regard de notre agglomération au sens large. Même la ligne de bus qui passe en bas de chez moi transporte plus de voyageurs ! Pour autant, ses problèmes ne font pas la une des journaux. Le décalage de traitement est manifeste. Et si on reprenait nos esprits ?

Bertrand Lambert @B_Lambert75