16 Avr

Lo plaser d’un jornalista occitan

Si j’ai choisi ce métier de journaliste, c’est justement pour ça : apprendre, rencontrer, découvrir et partager.

Des rencontres de prime abord professionnelles souvent préméditées, calées, rapides, intéressantes mais frustrantes…Mais parfois quelques « splendides hasards ». Des moments suspendus, hors du temps, qui ne sont plus d’ordre professionnel mais qui touchent l’humain. Olivier Courthiade est de cette veine-là.

Olivier, c’était un élément parmi d’autres dans mon petit dossier de personnages, occitan ou pas, en prévision de tournages, au cas où. Quelques noms enfouis, presqu’en sommeil, au fond de ma mémoire. Il est ressurgi de manière inattendue.

Les_Deux_Pianos_515fdcc71a4a9Au cours d’un tournage à la faculté du Mirail, une étudiante -Alice Traisnel- me parle de ses collectages en Ariège, d’un spécialiste de la traction animale. Un type super :Olivier Courthiade… Courthiade? Ce nom me dit quelque chose…Ah tiens oui, j’ai un dossier. Ah oui, pas mal ! Et donc il parle occitan…Vite fait, quelques mots tapés sur Google. Ben dis-donc, pas méconnu le garçon, et pas du tout oublié des écrans non plus. Mais bon, je l’appelle. « E se vòs venir n’as pas qu’a vengue ! ». Une entrée en matière succincte mais efficace!

J’ai toujours pour habitude d’aller préparer mes reportages sur le terrain, discuter de vive voix, sentir des choses tout seul, sans caméra. Et là, voilà t-il pas que le jour du repérage, j’apprends -toujours grâce à Alice- qu’Olivier a décidé de ferrer des bœufs… J’ai beau être fils de paysans, je pense de suite à une blague. Ferrer des bœufs en 2014 ? Allez, à d’autres ! L’hameçon est trop gros pour que j’y ferre! Mais bon, vérification de l’information. Un vieux principe. Je rappelle l’intéressé, qui rigole : « Òc ben, nos arriba sovent açi ! ». Bon, va pour les bœufs. Mais alors, il ne faut pas que je parte seul. Je ne verrai pas ça tous les jours, ni le téléspectateur. Il me faut absolument trouver un cameraman… Miracle, il y en a qui est dispo, car son rédacteur est malade. Et nous voilà partis. Arrivés sur le pouce à la ferme de Méras à Nescus (Ariège), les civilités commencent par un repas. Pas trop le temps de discuter. La table est pleine avec ceux qu’Olivier a rencontrés, aidés, remis sur pieds et qui donc se sont posés un moment dans cette ferme vieille de plusieurs siècles. Alice m’avait dit que j’avais de la chance « L’Olivièr es un mèstre de la padena ». Me damne, efectivament. Aquò nòl de pertot ! Mais pas le temps de s’endormir sur le rostit. Le propriétaire des bœufs est là avec son camion. Olivier qui les a en pension per los dondar va les chercher et les embarque.

Grande première pour moi mais aussi pour le maréchal ferrant ! Je pense qu’il s’en souviendra lui aussi. Il a travaillé à Saumur. Pauròt ! Heureusement que le métier à bœufs est solide. Mais bon, Olivièr ten la cordèla e aquò’s pas lo moment de l’embestiar ! Mes questions attendront et mon repérage aussi. En tot cas lo « feeling » es bon. Rendez-vous dans trois jours avec l’équipe de France 3.

Et ce premier jour où nous allons de découvertes en découvertes. Un peu déconcertés et avides de voir le reste. La matière est partout. Et Olivier ne demande qu’à la transmettre. Amb son biais, sa sensibilitat, de retenguda tanben… Petit à petit, tout se dessine. Les séquences, les idées. Et puis tous ces gafets qui sont avec lui, des accidentés du cœur, de la tête qui ont enfin trouvé de la compréhension et un refuge. D’habitude pour les portraits, je n’aime pas trop faire parler les proches, les amis, la famille. Ca manque souvent de recul et d’originalité. Là je tente une première interview. Les réponses succinctes précises et sans concession d’Elvire m’incitent à m’aventurer pour une deuxième. Même miracle avec Antoine : « C’est pas facile de trouver une place dans le monde. A Méras tu sais que tu as une place. On peut être méchant, un peu con même. Olivier comprend et nous aide quoi qu’il arrive… ». Tout est dit.

Le soir, aprèp s’èsser congostat de la bòlas de picolats de l’Olivièr, on tcharre, évidemment… De la vie, de ces rencontres, de musique bien sûr, des gafets qui viennent et repartent de la ferme de Méras, du parcours d’Olivier qui aurait voulu être danseur… De cette vie pas toujours choisie mais extraordinaire qu’il a menée. « Tèn, se vòs, ai escrit tot aquò dins un roman : les deux pianos… Legiràs. » E un risolet al coet de las pòtas : « me diràs d’aprèp tu qu’un es lo personatge qu’es per ieu lo pus important, lo pus car… ».

Et moi qui suit un grand mélomane mais piètre lecteur me voilà le lendemain les yeux en berne, estabosit e plan content de tot çò que m’èri engolat duscas a punta d’alba

Oui ce type est extraordinaire de bienveillance, de bonté, de savoir-faire et de sensibilité. A lo biais coma se dis,tant de chose à transmettre, tant de domaines où il excelle. Et de reparler la langue d’òc à ré-ouvert des fenêtres sensibles

 

Benoît Roux