27 Nov

Vox Bigerri : des hérétiques occitans dans les églises

Cap aus sorelhs (face aux soleils), le 4ème CD  de Vox Bigerri consacre l’avènement du groupe pyrénéen. Il est dédié  aux polyphonies sacrées de l’Europe du Sud.

Une première pour cette formation exclusivement masculine et qui aimait plutôt se frotter aux chants populaires et traditionnels un peu sus la talvera (à la marge).

VOX BIGERRI Cap aus sorelhs

Erètges…(hérétiques)

Toujours à la recherche d’une oralité ancrée et souvent atypique, Vox Bigerri a donc traqué les morceaux qui –tout en étant sacrés- pourraient répondre à leurs problématiques. Et pour se faire, pas besoin de s’adresser à Dieu et à ses Saints, mais plutôt d’aller écouter los ainats (anciens) e los pastres (bergers) tous autodidactes et pas encore formatés.

Ainsi « Su innu », un morceau sarde loin du chant canonique religieux stéréotypé et pas toujours en odeur de sainteté dans les églises sardes.

Le répertoire parcourt donc la Méditerranée jusqu’aux Pyrénées. On y trouve « Passion » selon Félix (Arnaudin) et non Saint-Jean ou Saint-Paul. Une œuvre collectée et mise en partition par le célèbre ethnographe Landais en 1883. Une « Passion » longtemps oubliée par les chanteurs tellement son approche est différente et ses sonorités hors normes.  «  9 menutas de canta sus una escala musicala estranha que sembla quicòm vengut de Magreb » , avoue Pascal Caumont, l’un des membres fondateurs de Vox Bigerri.

Vox Bigerri, « la passion » from lefil on Vimeo.

De quoi faire trembler quelques soutanes et remettre au diapason des vérités trop établies. « Dins aquel repertòri, çò que nos interèssa es la pausicion de las voses, de tecnicas que son benlèu pas tròp catolicas… Un cant natural e libertari ! ». Pascal Caumont ou comment sonner le tocsin des « Petits Chanteurs à la Croix de Bois ». Une croix, fut-elle cathare ! Car on trouve aussi sur le CD une création du groupe à partir du poème de René Nelli « Montségur 1244 ». Sacrilège.

Dans le disque, on savoure aussi comme des païens un « Ave Maria de Barètge » (65), toujours dans la tradition orale et chanté lors des enterrements, le « Salve Regina des bergers du Rouergue » attribué aux moines d’Estaing ou un « Magnificat de Vésubie » de tradition Nissarde et Provençale. Il y en a pour toutes les paroisses.

 

dins las Glèisas (dans les églises)

Pas de quoi lancer un anathème mais c’est dans les églises que le groupe a choisi de chanter, y compris ces chants pas très catholiques. Non pour communier ou être inspiré, mais tout simplement pour une question d’acoustique. « L’avèm enregistrat dins l’abadiala Santa-Fe de Concas (Conques-Aveyron). Avèm cercat mai d’un endret dins la glèisa. Fin finala èra facia al còr, l’esquina virada al public. Es aqui que lo son èra lo melhor. Cò que correspond tanben al biais tradicional de cantar », confesse Pascal. Une recherche sonore pour des postures précises. Les Sardes chantent souvent en se tenant par les épaules de manière naturelle. « Cal aver una sensacion fisica del son. » Trouver sa place pour que le son ne fasse qu’un et résonne dans chaque organisme. « Los pès plantats pel sòl per una respiracion mai prigonda ».

Pécher mon frère? Non, car il ne faut pas oublier que religion vient de religare et donc relier ou relegere relire. Sans être prosélyte, Pascal fait parfois des adeptes. « Ensenhi aquel biais al conservatòri a de professors de cant del classic. Son estabosits d’aquela experimentacion». Une approche donc plus « sauvage », vivante et sociale chère à Vox Bigerri. « La cultura borgesa a tot copat, tot desconectat. Lo cant gregorian a tirat çò de natural dins la tradicion ».

Amen

 

La messe est dite. Vox Bigerri, ce n’est pas les nouveaux Prêtres. Mais Pascal Caumont, Olivier Capmartin, Fabrice Lapeyrere, Bastien Zaoui et Régis Latapie vont partir en tournée avec un premier concert le jeudi 5 décembre à Tarbes. Puis l’Aveyron, le Tarn, Vienne (Autriche) en février, peut-être Barcelone… Un nouveau CD est déjà en préparation : des textes modernes basques et occitans (Bernat Lesfargues) mis en musique par des compositeurs contemporains. Diable, on a hâte de le découvrir ! En attendant tournez-vous Cap aus sorelhs dès le 9 décembre. Ce n’est pas pécher ni  blasphème et c’est ce qui se fait de mieux en termes de polyphonie. Juré craché !

Benoît Roux