C’est un ascenseur émotionnel très douloureux qu’ont vécu les défenseurs des langues dites régionales. Le 8 avril dernier, le Parlement votait pour la première fois depuis 70 ans une loi pour les défendre, mais le 21 mai le Conseil constitutionnel en censurait deux articles. Dans le viseur, l’usage des signes diacritiques (des accents qui n’existent pas en français, comme le tilde sur un « n »), et l’enseignement immersif. Le texte voté devait permettre de développer dans le service public l’immersion, qui est pratiquée depuis plus de 50 ans dans des écoles associatives, comme les Calandretas pour l’occitan. Mais, cette pratique pédagogique a été déclarée anticonstitutionnelle et c’est l’avenir de toutes les écoles associatives en langues minorisées qui est menacé. Une mobilisation nationale a eu lieu le samedi 29 mai et pour le député breton Paul Molac, qui avait rédigé la loi, c’est un « acharnement » qui doit cesser. Pour cela il demande la modification de l’article 2 de la Constitution, car si « le français est la langue de la République », cela ne doit pas faire disparaître les langues de France.
Paul Molac à l’Assemblée Nationale le 8 avril dernier
Le fort retentissement médiatique de la mobilisation samedi dernier est-il dû aux élections régionales ou c’est le signe d’une vraie dynamique ?
Les élections régionales ont certes une part d’importance, mais on en entend relativement peu parler quand-même. C’est une dynamique nationale, avec plus de 10 000 personnes à Guingamp, 10 000 à Bayonne, de nombreux lieux en Occitanie où les manifestations étaient décentralisées, Perpignan, Bastia, Colmar, Lille. C’est un mouvement d’ampleur nationale : d’habitude les journalistes ne font guère mention des langues régionales, là c’est passé au 20h sur toutes les chaînes. On voit bien que ça fait réfléchir.
Cette journée vous a réconfortée après la décision du Conseil constitutionnel ?
Oui, parce qu’on voit bien que la vision de la langue unique, de la culture unique, la population ne comprend plus ça. Plein de gens m’ont dit merci pendant la manifestation, pour avoir porté une loi et l’avoir fait voter. Sur ma circonscription aussi, on me dit « continuez ! ». Cet acharnement contre les langues régionales, on ne le comprend plus dans la société. D’abord parce que la langue qui est identifiée comme celle permettant l’ascension sociale, à tort ou à raison aujourd’hui c’est l’anglais. Et tout le monde parle français quand-même. Donc on ne comprend pas pourquoi une méthode, qui donne de bons résultats en français et en langue régionale, est déclarée anticonstitutionnelle.
L’intervention du premier ministre et le communiqué du président de la République vous rendent optimiste pour l’avenir des écoles immersives ?
C’est toujours bon à prendre, mais c’est insuffisant en l’état. Le problème c’est l’interprétation de l’article 2 par le Conseil constitutionnel. Une interprétation qui est à rebours des discussions à l’Assemblée Nationale et au Sénat où le législateur avait clairement dit que ce n’était pas tourné contre les langues régionales [lors de l’introduction du français dans l’article 2, N.D.L.R.]. Cela devait servir contre la domination de l’anglais, or ça a servi surtout contre les langues régionales : le Conseil constitutionnel a détourné l’intention du législateur. Le législateur étant le représentant du peuple, c’est lui normalement qui doit avoir le dernier mot. Je ne vois pas d’autre solution que de compléter l’article 2 avec les langues régionales. Sinon, cela pourrait aboutir à ce qu’un ministre ne finance plus les écoles associatives immersives. Je remarque qu’un certain nombre de politiques commencent à le dire. Mais c’est vrai qu’il y a une frilosité quand il s’agit de changer la constitution car il faut avoir une majorité des 3/5ème au Congrès.
Cette modification vous pensez pouvoir y arriver d’ici la fin du mandat d’Emmanuel Macron ? C’est réaliste et réalisable, en moins d’un an ?
Oui, s’il y a une volonté politique. Ça ne peut venir que d’un projet de loi constitutionnel, c’est-à-dire que ce soit le gouvernement qui le propose. Il faut que le texte soit voté dans les mêmes termes à l’Assemblée et au Sénat, et après on se réunit en Congrès. Le temps qu’il nous reste jusqu’en décembre 2021 permet tout à fait de le faire.
C’est faisable, mais est-ce que vous y croyez ?
Ecoutez, ce n’est parce que c’est difficile que nous n’y arrivons pas mais c’est parce que nous n’osons pas. Combien de personnes m’ont dit que la loi sur les langues régionales ne serait jamais votée à l’Assemblée Nationale ? Bon, elle a été votée par 247 voix pour et 79 contre. Si j’écoute tous les gens qui me conseillent de surtout ne rien faire, je ne fais rien. On nous dit qu’on ne va pas appliquer la décision du Conseil constitutionnel, mais ça ce n’est pas durable. Il faut régler le problème sur le fond, sur le fond juridique cette fois.
D’autres actions sont-elles prévues pour réclamer cette modification de la Constitution, pour défendre les écoles et les langues régionales ?
Je ne suis pas à la tête des associations, mais ça m’étonnerait qu’ils laissent tomber. La mobilisation va se poursuivre non seulement à la fin des régionales mais aussi pendant la campagne présidentielle, c’est évident. Quand on s’attaque aux écoles associatives, on s’attaque à un symbole. Et les gens aiment bien les symboles. A Guingamp, plus de 10 000 personnes ne sont pas venues simplement pour les écoles associatives, mais parce qu’il y a un symbole derrière et finalement parce qu’on est pour la liberté d’enseignement, il y a ça aussi derrière. Et à mon avis ça ne va pas s’arrêter.
Pour vous, il faut maintenir la dynamique ou attendre les présidentielles dans un an ?
Il ne faut surtout pas attendre et maintenir la pression. Nous sommes là dans un rapport de force et malheureusement en politique c’est souvent comme ça que ça fonctionne, pour tout. Il est clair que nous avons une menace grave, qui a même éclipsé tous les bienfaits qui ont été votés dans la loi – parce qu’il y en a. C’est une erreur magistrale politiquement : toutes les bonnes actions de cette loi sont passées sous silence parce qu’il y une véritable menace sur une méthode utilisée depuis plus de 50 ans, utilisée dans le monde entier et une méthode utilisée y compris par la France dans ses écoles à l’étranger. Et on nous dit que ce serait anticonstitutionnel en France. Comment voulez-vous comprendre ça ? Ce n’est pas possible.
Propos recueillis par Marius Blénet