7h30 : Ràdio País est déjà bien réveillée. Les matinaliers sont frais, autant que le café qui coule et embaume l’entrée de la station. C’est une journée un peu spéciale qui attend les six salariés de la radio ce jeudi 25 septembre. Après avoir reçu une lettre pour leur entretien préalable au licenciement en début de semaine, ils sont convoqués, pour ce fameux entretien, à 10h ce matin-là. La convocation collective les a surpris. Ils ont donc pris soin de se faire assister par un représentant syndical de l’inspection du travail. L’ambiance est assez insaisissable dans la station où tout fonctionne comme si de rien n’était. A 8h00, un nouveau journal, à deux voix. 12 minutes d’informations suivies d’un nouveau programme, issu de la nouvelle grille concoctée par la nouvelle équipe du C.A. (le Conseil d’Administration) de Ràdio País.
« Los tres sauts » ne sont jamais bien loin et la musique reprend le dessus. On reprend tous un café. Le président du nouveau C.A. arrive vers 8h50. Sourires crispés à travers la vitre du studio entre celui qui débarque et ceux qui devraient être débarqués. Il est plutôt méfiant, alors que je n’ai rien à défier. Juste besoin d’expliquer. La presse, occitane, semble lui être tombée sur la tête depuis le début de la crise à Ràdio País. C’est en tout cas ce qu’il me dit. Il aurait donc très bien pu nous dire de repartir et annuler l’interview prévue mais au final nous convenons de faire le point à l’issue de la fameuse réunion fixée à 14h.
10 heures approchent et les derniers convoqués arrivent les bras remplis de chocolatines et de croissants. L’entrée de la radio est presque trop petite pour que chacun trouve sa place. Derrière le comptoir, on refait du café. Juste au dessus, suspendu dans le vide, un vestige de la matinale de la saison dernière est toujours en vente. Il reste encore un tee-shirt de « Good Morning Occitania ». L’heure de l’appel est arrivée, nous quittons Ràdio País et ses salariés, inquiets.
« Licenciement pour faute grave pour un des deux CDD, procédures suspendues pour les CDI ». Voilà le SMS reçu à la mi-journée. Nous repartons donc pour 14h sur place. La banquière est arrivée mais ne veut pas être filmée. On ne filme pas. Le commissaire aux comptes est là, lui aussi. Il ne veut pas qu’on filme la réunion. (Nous n’en demandions pas tant). Puis arrivent des représentants d’élus des collectivités territoriales qui financent, grâce à l’argent public, Ràdio País. Certains ne voudront pas être filmés, en entrant dans les locaux de la radio. Motif : on ne veut pas être associés à la situation actuelle. Ah bon ? Mais vous êtes là pourquoi au juste ? C’est donc à ce moment-là que le niveau de parano commence à monter. La porte de la salle de rédaction dans laquelle se tient la réunion se referme, il est 14h10. L’attente commence.
15 heures, paisiblement installés dans les fauteuils du hall d’entrée de la radio, alternant entre sieste approximative et consultation de téléphone portable pour passer le temps, nous vîmes revenir le président du C.A. vers nous, un peu… gêné. La chaleur accablante de cette fin septembre a transformé la salle de réunion en véritable sauna béarnais. Contraint d’ouvrir la porte pour pouvoir respirer et ainsi provoquer un courant d’air entre la seule fenêtre de la salle et l’entrée, le président nous demande de quitter les lieux sur le champ. Les « experts » présents dans la salle veulent vraiment s’assurer que nous n’entendrons rien de ce qui se dit dans cette réunion. C’est trop confidentiel.
L’idée d’aller poser mes oreilles à l’extérieur de la radio juste devant la fenêtre ouverte de la salle de réunion m’a traversé l’esprit mais je me suis dit qu’ils allaient refermer la fenêtre tout de suite et suffoquer à nouveau. Je ne voulais pas être responsable d’une asphyxie collective.
15h50, le commissaire aux comptes est délivré. La banquière aussi.
16h10, un des salariés sort enfin et me précise qu’il s’attendait à pire. La réunion est terminée.
Les procédures de licenciements sont suspendues dans l’attente du versement de Fond de Soutien à l’Expression Radiophonique qui devrait permettre de payer les salaires jusqu’à la fin de l’année. Un des deux salariés CDD est lui licencié pour faute grave. Il lui est notamment reproché d’avoir signé la pétition de soutien initiée par l’ancienne équipe dirigeante de Ràdio País. L’autre salarié en CDD ne verra pas son contrat renouvelé en novembre prochain.
En repartant, un des représentants des élus me précise juste une chose : « les associations sont libres de faire ce qu’elles veulent comme projet. Ràdio País est donc libre de composer sa grille de programme, sa ligne éditoriale comme elle l’entend. Mais les élus sont tout aussi libres de financer ou non. On va attendre de voir le dossier qui nous sera déposé pour l’année prochaine et s’il correspond à ce que nous avons l’habitude de soutenir dans le cadre de notre politique linguistique ».
Rien n’est donc réglé.
Clément Alet