28 Août

Dix ans après les mortalités des truites dans la Loue, la rivière a-t-elle été sauvée ?

 

Dix ans déjà ! Le 19 juin 2010, un drôle de cercueil était porté au son d’une macabre trompette dans les rues d’Ornans. C’était la Loue qu’on enterrait. Quelques mois plus tôt, des cadavres de truites endeuillaient la rivière. Ravagés par la Saprolegnia, les poissons flottaient ventre à l’air sur fond de rivières encrassés. Pourquoi mourraient-ils en si grande quantité alors que, paradoxalement, les services de l’Etat certifiaient que l’eau de la Loue était de « bonne qualité » ?

Cette pollution a enclenché une controverse environnementale. Défenseurs de l’environnement et des rivières pointent du doigt différentes activités économiques dont l’agriculture et le traitement des eaux usées. Les institutions tentent d’apaiser ce conflit larvé en organisant des réunions et en lançant des études. « Les experts mandatés par les représentants des pouvoirs publics concluent au caractère multifactoriel du phénomène et conduisent à une dilution des responsabilités » résume le sociologue Simon Calla dans sa thèse « Des poissons, des hommes et des rivières : sociologie d’un problème de pollution en Franche-Comté » soutenue à l’Université de Franche-Comté en décembre 2019.

 

Aux printemps 2009 et 2010, la forte mortalité des truites et des ombres de la Loue éveilla les consciences des collectivités, des pouvoirs publics et d’une partie des habitants de la vallée de la Loue. Alors que les défenseurs de l’environnement tiraient la sonnette d’alarme depuis plusieurs décennies, la lente détérioration de la qualité des eaux de la Loue était cette fois-ci bien visible. Dix ans après, les mesures prises pour tenter de sauver cette rivière mythique ont-elles été efficaces ? Que reste-t-il à faire ?

Ces dix années d’actions et d’inactions ont été racontées sur le blog de la Loue. C’est justement cet événement des mortalités piscicoles qui est à l’origine de mon envie de tenir ce blog. Mon objectif était d’observer comment les objectifs de préservation du milieu aquatique et ceux liés à l’économie et plus largement aux activités humaines, pouvaient ou non se concilier. Ce qui se passait dans la vallée de la Loue avait tout d’un enjeu universel. Quelles priorités ? Quelles objectifs allaient fixer les acteurs de ce dossier complexe ?

Revenons sur cette image du cercueil portée dans les rues d’Ornans. Elle a frappé tous les esprits. Pour la première fois, des hommes et des femmes descendaient dans la rue pour défendre une rivière, des poissons et tout l’écosystème qui leur était lié. Ce jour-là fût aussi l’acte de naissance du collectif SOS Loue et rivières comtoises. 

 

 

NOSTALGIE DES COUPS DU SOIR

Des passionnés des milieux aquatiques se sont regroupés pour faire pression sur les pouvoirs publiques. Depuis les années 70, des scientifiques et des pêcheurs avaient remarqué la lente détérioration du milieu. La Loue n’était plus que l’ombre d’elle-même. Cette rivière avait une réputation mondiale auprès des pêcheurs à la mouche. On venait des Etats-Unis, du Japon taquiner la truite zébrée. Fini les « coups du soir » où le pêcheur avait du mal à voir devant lui tellement il y avait d’insectes qui lui tournaient autour ! Le fond de la rivière était de plus en plus colmaté, des algues vertes enrobant les galets… Mais tant que les poissons ne mourraient pas, cette pollution restait d’une certaine façon « invisible ».

Une truite malade du Dessoubre, autre rivière franc-comtoise en mauvais état

Au delà du cercle des pêcheurs, des habitants de la vallée avaient été choqués de voir des truites et des ombres, le ventre en l’air, attaqués par une mousse blanchâtre. Qui est responsable ? La saprolegnia, un champignon qui se développe habituellement sur des poissons affaiblis ? Est-ce en raison de la présence de cyanobactéries ? Pourquoi les poissons meurent-ils en grande quantité deux années de suite, au printemps 2009 puis l’année suivante ?

LE PARADOXE DE LA LOUE

Très vite, le « paradoxe de la Loue » était mis en avant : Officiellement, la Loue était considérée comme une rivière en « bon état écologique » selon les critères définies par la Directive-cadre européenne sur l’eau mais dans les faits, les poissons ne pouvaient plus y vivre sans être en danger.

Pourquoi les actions entreprises dans un contrat de rivière signé dès 2004 n’avaient pas été suffisantes ? Pourquoi les aides du département et de l’Agence de l’eau (42,5 millions d’euros entre 2004 et 2009) pour améliorer le traitement des rejets des collectivités et des agriculteurs n’avaient pas été totalement efficaces ? Pour sauver la Loue, il s’agissait d’aller au delà des mesures.

AU DELÀ DES NORMES

Petit à petit, les responsables du département et de la préfecture du Doubs prennent alors  conscience de cette nécessité de dépasser les normes habituellement en vigueur pour les cours d’eau. Si la Loue est si fragile c’est parce qu’elle évolue en milieu karstique autrement dit calcaire. Un milieu souterrain souvent comparé à un gruyère. Les sols n’ont pas la capacité de filtrer les rejets des activités humaines et presque tout se retrouve rapidement à la rivière.

Après la plainte déposée le 28 mai par la Commission de protection des eaux, Franche-Comté Nature Environnement, Saône et Doubs vivants, Loue vive et ANPER-TOS (Association Nationale pour la Protection des Eaux et des Rivières-Truite, Ombre, Saumon) ont également déposé une plainte contre X. Les causes multifactorielles de l’agonie de la Loue sont déjà mises en avant par les associations. Dix ans plus tard, aucune de ces procédures n’a encore abouti.

Des arrêtés préfectoraux précisent qu’il est interdit de consommer les poissons pêchés dans la Loue et que toute prise doit être remise à l’eau. L’alimentation en eau du bétail est interdite mais la baignade reste possible même si elle n’est pas recommandée.

Pêche électrique sur la Loue à Cléron le 23 juillet 2020.

Autre mesure assez spectaculaire : en juillet 2010, trois jours de comptage de poissons sont organisés entre Mouthier et Lombard.par la fédération de pêche du Doubs et l’Onema, la police de l’eau. Des pêches électriques qui seront reconduites les années suivantes.

En 11 ans,  la population des truites a chuté de moitié à Mouthier et de 90% à Cléron.

Pour tenter d’accélérer les prises de décision, le collectif SOS Loue et rivières comtoises décide, en janvier 2011, d’adresser un recours gracieux au ministre de l’Environnement pour non respect de la DCE, Directive Cadre Européenne sur l’eau. 

La DCE  date de 2000 et elle avait l’ambition d’avoir 100 %  des masses d’eau (nappe, rivière, plan d’eau, estuaire) en bon état écologique à l’horizon 2015, avec possibilité de proroger deux fois cette date butoir (échéances 2021, 2017).

Un objectif irréalisable ! A titre d’exemple, 26% des rivières de Bourgogne Franche-Comté sont en bon état écologique en 2020.

Et c’est pour rappeler aux autorités leurs engagements que le collectif engage cette action. En mai 2011, la commission européenne retient le recours comme plainte et s’engage à l’examiner. Cette plainte est toujours à l’étude.

Pour comprendre ces mortalités de poissons et l’origine de la détérioration de leur milieu, les données scientifiques à la disposition des chercheurs sont disparates et insuffisantes. Avant même d’établir précisément les responsabilités des uns et des autres, il est nécessaire d’analyser ce qui se passe.

Cette volonté de comprendre va déboucher par la mise en place de deux expertises, l’une locale, l’autre nationale. Deux groupes de spécialistes qui se regardent un peu en chiens de faïence.

Et c’est dans le cadre du programme local, que le laboratoire de chrono-environnement de l’université de Franche-Comté commence un programme pluri-annuel de recherche sur les dysfonctionnements observés dans le bassin versant de la Loue.

L’autre groupe d’expert, chapeauté par l’ONEMA ( Office National de l’Eau et des Milieux Aquatiques) rend ses conclusions en mars 2012. Ce sont bien des causes multiples qui sont à l’origine des mortalités. Le responsable du groupe, Jean-François Humbert est clair :

« Aussi bien les agriculteurs que les particuliers ou les industriels ou d’autres ont leur part de responsabilité dans l’état de cette rivière . Il y a un certain nombre de propositions faites par notre groupe d’expertise, notamment sur des rejets de phosphates et nitrates qu’il faut arriver à maîtriser et à diminuer dans la Loue si on veut restituer une bonne qualité à cet écosystème »

Les responsables sont « officiellement » désignés, reste à déterminer dans quelles proportions et de quelles manières. Et c’est là toute la difficulté. Après avoir analysé des données entre 2012 et 2018, les chercheurs bisontins ont pu quantifier les impacts. Ils sont formels, « Les excès d’azote dans les milieux aquatiques et l’accroissement des teneurs en bicarbonates sont la conséquence de l’intensification des pratiques agricoles ». D’autres responsabilités sont aussi établies mais ce sont les activités agricoles qui ont le plus d’impact sur la qualité de l’eau des rivières.

La hausse de la température de l’eau de la Loue est aussi un facteur à prendre en compte. « Cette accroissement des températures maximales des rivières a deux causes aux effets très différents . le changement climatique prend une part très minime au problème et c’est la baisse considérable des débits estivaux qui porte la responsabilité majeure du réchauffement des eaux. » précise l’ingénieur à la retraite Jean-François Bonvallot. C’est ce que nous verrons plus loin dans cet article avec le programme du BRGM.

DÉCIDER D’AGIR, C’EST ÉTABLIR DES RESPONSABILITÉS

Pour le collectif SOS Loue et rivières comtoises, la commande de ces expertises par l’Etat avec un financement par l’Agence de l’eau permet de ralentir la prise de décisions. Décider d’agir, c’est établir des responsabilités.

Tout au long de ces dix années, ce reproche de lenteur a été récurrent. Les études permettraient  selon les défenseurs des rivières de retarder l’action. Les décisionnaires , l’Etat, le département et l’Agence de l’eau, principal financeur, veulent, eux, s’appuyer sur des études solides avant d’agir.

Trois ans après les mortalités, les premières Assises de la Loue ont lieu à Ornans le 11 octobre 2012. Etat et département du Doubs veulent « agir plus vite et plus fort ». c’est le lancement des conférences départementales. Au départ, le rendez-vous est annuel, puis le temps s’allonge de plus en plus entre deux conférences … Ces grands raouts symbolisent la politique des petits pas pratiquée pour tenter de sauver les rivières. Des décisions sont certes prises, la connaissance du milieu progresse mais l’état général de la rivière ne s’améliore pas réellement. La population des truites et les ombres ne retrouvent pas globalement un niveau satisfaisant selon la fédération de pêche du Doubs.

Pire, les autres cours d’eau de la région sont aussi touchés par des mortalités piscicoles. Le Doubs Franco-Suisse, le Dessoubre, la Bienne. En février 2014, les défenseurs du Doubs et du Dessoubre rejoignent le collectif SOS Loue et les conférences départementales traitent désormais de l’ensemble des cours d’eau.

Le Dessoubre

Les pétitions , manifestations, actions en justice, recensement de « points noirs » entrepris par les défenseurs de l’environnement au cours de ces dix dernières années ont-ils servi à quelque chose ? A propos de la responsabilité de l’Etat, aucune condamnation en justice n’a été prononcée. Seule une poignée d’agriculteurs n’ayant pas respecté la réglementation sur l’épandage d’effluents, a été sanctionnée par la justice.

Cette mobilisation incarnée par le collectif SOS Loue et rivières comtoises a eu le mérite de faire sortir l’Etat de son déni initial. Autre atout de ce collectif, son travail. Les défenseurs des rivières ont rédigé en 2019, un rapport très détaillé présentant les douze propositions et recommandations qu’ils préconisent « pour un comté soutenable en équilibre avec son territoire et ses hommes ». Un dossier remis au CIGC, (Comité Interprofessionnel de Gestion du Comté) chargé de rédiger les modifications du cahier des charges du comté.

Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que les rivières karstiques de la région sont malades. 

Autre effet positif, les acteurs de ce dossier sensible ont appris à se connaître et se parler, en particulier lors des groupes de travail « agriculture ».

L’OBJECTIF DU TERRITOIRE D’EXCELLENCE ENVIRONNEMENTALE

Finalement que retenir de tous ces petits pas ? Un socle a été posé par Eric Vindimian. Cet expert du ministère de l’Environnement avait été nommé en 2014 pour une mission d’appui auprès du préfet du Doubs. Deux ans plus tard, son rapport établit 22 recommandations claires et détaillées pour faire de notre territoire de rivières karstiques, un « territoire d’excellence ». Une feuille de route idéale qui nécessiterait d’être évaluée pour vérifier les engagements des uns et des autres.

Parmi les recommandations d’Eric Vindimian, l’une des plus importantes porte sur la « gouvernance ». Un mot à priori abstrait qui revêt en fait des principes très concrets. Il s’agit de l’organisation des structures qui agissent en faveur des milieux aquatiques.

Annoncé en 2014, il faudra attendre fin 2019, pour que les deux syndicats mixtes du bassin versant de la Loue fusionnent. Et, depuis janvier 2020, c’est un EPAGE (Etablissement Public d’Aménagement et de Gestion des Eaux) qui gère les milieux aquatiques et la prévention des inondations. Parvenir à mettre en place cet EPAGE Haut-Doubs Haute-Loue permet d’avoir plus de moyens pour gérer les milieux aquatiques. Cette structure regroupe neuf communautés de communes du Doubs et du Jura ainsi que le département du Doubs. Chaque habitant de ce vaste secteur contribue à hauteur d’environ 7 euros par an. Comme il y a 126 000 habitants cela correspond à un budget initial de 882 000 euros auxquels s’ajoutent les budgets spécifiques en fonction des projets. 

Pour la première fois, il y a une meilleure cohérence administrative et hydrologique : l’EPAGE intervient de la source du Doubs au saut du Doubs et de toute la Loue et ses affluents jusqu’à Arc-et-Senans.

Les autres recommandations d’Eric Vindimian ont en partie été reprises dans le contrat de territoire mis en place entre 2015 et 2018 par le biais du SAGE. Le SAGE, c’est un document qui cadre la politique de l’eau pour un secteur donné. Il est voté par des élus, des représentants d’associations de défense de l’environnement et des représentants d’institutions.   

QUEL BILAN POUR LE CONTRAT DE TERRITOIRE 2015-2018 ?

Pendant trois ans, sept types d’investissements ont été réalisés sur un territoire qui ne comprenait pas la basse Loue dans le Jura. Sur un budget de 34 millions d’euros, plus de 20 millions ont été consacrés à l’amélioration de la qualité de l’eau. Impossible de présenter toutes les actions entreprises, vous trouverez les détails dans les documents publiés sur le site de l’EPAGE Haut-Doubs Haute-Loue.

Améliorer la qualité de l’eau a essentiellement consisté à financer des travaux d’assainissements (45 projets) dans les communes et à participer à la mise aux normes des exploitations agricoles. Pour donner un ordre d’idée, avant 2016, 67,7 % des Unités de Gros Bétail (UGB) étaient aux normes. Fin 2019, 82,5% des UGB l’étaient. Et, plus de 75% des exploitations ayant plus de 20 UGB ont un plan d’épandage.

Cette mise aux normes des exploitations agricoles intervient dans un contexte particulier à la région. Considérant la particularité des sols karstiques de notre région et le mauvais état des cours d’eau, l’Etat a décidé en 2014 de renforcer son Règlement Sanitaire. Les fermes doivent avoir des capacités de stockage des effluents comprises entre quatre et six mois selon les secteurs. C’est pour éviter d’épandre lorsque cela ne sert à rien pour les plantations et par conséquence que l’azote aille directement dans la rivière sans avoir été capté par la végétation.

Il est peu probable d’atteindre dans ce domaine 100% car les agriculteurs qui n’ont pas réalisé les mises aux normes devraient prendre leur retraite prochainement. Reste quelques rares exploitants récalcitrants. Le programme d’aide de l’Agence de l’eau est clos pour ce type de travaux.

A noter, la bonne performance des objectifs de restauration de la continuité écologique de la rivière, de la restauration de zones humides. Les objectifs ont été atteints à 90%.

ET APRÈS ? 

Ces actions vont se poursuivre. Actuellement les acteurs du SAGE Haut-Doubs Haute-Loue (Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion de l’Eau) sont en train de préparer un nouveau contrat. Il devrait être signé début 2021 pour une durée de trois ans. Et déjà, un premier pas interessant a été franchi. C’est l’ensemble du bassin versant qui est pris en compte.

perimetre contrat de bassin

Ce contrat qui couvrira les bassins versants du Haut-Doubs et de la Loue, sera animé par l’EPAGE Haut-Doubs Haute-Loue et le Syndicat Mixte Doubs Loue ( qui couvre la basse Loue jusqu’à la confluence) . En effet, leur rapprochement permet de porter des actions sur le bassin de la Loue dans sa globalité : de sa source à sa confluence avec le Doubs, en incluant le secteur du Haut -Doubs en amont, qui l’alimente via les pertes du Doubs.

Voici les priorités fixées :

  • Réduire les pollutions en Nitrates et en Phosphore qui génèrent des phénomènes d’eutrophisation des cours d’eau, via l’amélioration des systèmes d’assainissement du bassin,

  • Restaurer des cours d’eau et des zones humides dégradés afin qu’ils retrouvent leur potentiel biologique et leur fonctionnement optimal,

  • Améliorer la gestion quantitative de l’eau sur le secteur Haut-Doubs, en poursuivant les programmes d’économies d’eau par l’amélioration des rendements des réseaux d’eau potable, afin de limiter les pertes lors de l’acheminement,

  • Sensibiliser aux bonnes pratiques d’économie d’eau et de réduction des pollutions par les produits chimiques des eaux du bassin.

En lisant cette présentation sur le site de l’EPAGE, j’ai été interpellée par l’absence de mention du volet agricole. En fait, les crédits de l’Agence de l’Eau ne sont plus affectés à l’amélioration du stockage d’effluents. Mais, finalement, en ce qui concerne l’agriculture, l’ambition de ce futur contrat de bassin, est bien plus importante qu’il n’y paraît. Il ne s’agit pas de programmer des investissements mais de faire travailler la matière grise.

L’ENJEU DES « FLUX ADMISSIBLES »

L’objectif est de « trouver un consensus scientifique » pour établir des normes adaptées aux rivières karstiques puisque celles qui ont été mises en place par l’Europe ne sont pas suffisantes pour avoir des rivières en bonne santé.

Comment déterminer ces nouvelles normes ? C’est tout l’enjeu des années à venir. Lors de la réunion de Commission Locale de l’Eau où siègent élus et associations environnementales), le SAGE a rappelé que le Schéma Directeur du Bassin Versant Rhône Méditerranée avait demandé aux acteurs de l’eau de définir ces normes.

Les contrats de milieu identifient et quantifient les différents flux de pollution et ils définissent des flux admissibles pour engager des actions pertinentes de réduction des apports. Une étude de définition des flux admissibles pour gérer les bassins versants fragiles vis-à-vis des phénomènes d’eutrophisation pourrait être une opportunité de réaliser la synthèse des nombreuses données existantes sur le territoire Haut-Doubs Haute-Loue, et définir les flux admissibles par nos rivières dans le contexte particulier des circulations karstiques et développer un programme d’actions pour remédier aux problématiques d’apports excessifs de phosphore et/ou azote par sous-bassins versants.

En 2020, dix ans après les mortalités de poissons, les connaissances ont été réunies pour réaliser ce travail. Outre l’étude du laboratoire Chrono-environnement, il existe aussi les données du réseau QUARSTIC. Réalisé par le BRGM ,  ce programme de plus de trois ans, cofinancé par le département du Doubs, l’agence de l’eau RMC et le BRGM, a pour objectif de « suivre en continu la qualité des eaux souterraines et de surface sur le Doubs, la Loue, et le Lison, en se focalisant sur les paramètres physico-chimiques et les nutriments ».

Dans le rapport final publié en 2018, la conclusion du BRGM est claire :

Les résultats des mesures et analyses réalisées sur le réseau montrent que les eaux de la Loue dépassent de manière chronique les seuils naturels en azote et phosphore sur toutes les stations. L’analyse des principaux paramètres et la comparaison inter-sites montrent que les tronçons de rivière délimités au niveau des 5 stations ont des comportements variables dans l’espace et le temps, illustrant la variabilité des sources de contamination, ainsi que du fonctionnement hydrologique et écologique du bassin de la Loue.
Les résultats marquants indiquent que la température est la plus élevée et la plus fluctuante de manière saisonnière sur les stations aval, avec des températures supérieures à 25°C de manière chronique en été sur le Doubs à Arçon et la Loue à Chenecey-Buillon. Les exportations les plus importantes en azote sont estimées sur les sous-bassins aval à Chenecey-Buillon et l’impluvium de la source de la Loue (potentiellement sur-estimées du fait des apports issus des pertes du Doubs). Les flux conséquents en phosphore sont observés sur le Lison à Nans-Sous-Sainte-Anne en période estivale du fait de concentrations ponctuellement très élevées.

Un nouveau programme NUTRI KARST  est en cours pour poursuivre l’analyse des données recueillies pendant plus de trois ans. Enfin, l’EPTB Saône Doubs a été chargé de mettre sur pied un pôle Karst.

Bref, toutes les données scientifiques sont désormais disponibles pour déterminer ce que le sol du bassin versant de la Loue est capable de recevoir sans mettre en péril les milieux aquatiques. Une fois que ces nouvelles normes seront définies, il sera possible de savoir si l’objectif à atteindre est lointain, irréalisable, possible. Comment ces nouvelles normes vont être prise en compte par la filière comté ? C’est la question des années à venir. Une filière qui de son côté affiche des intentions d’excellence environnementale sans parvenir, pour l’instant, a rassuré les défenseurs des rivières. Marc Goux de SOS Loue et rivières comtoises est formel : « On ne sauvera pas les rivières si on ne sauve pas le comté ».

Pour réaliser ce travail ardu de concertation, il serait bon d’avoir en tête ce qu’Eric Vindimian, l’expert mandaté par le ministère de l’Environnement, préconise dans son rapport :

« La volonté forte ressentie, à l’occasion de toutes les rencontres dans le Doubs, rend optimiste, mais les difficultés sont réelles. Chaque citoyen, chaque filière va devoir prendre ses responsabilités. Les pouvoirs publics, l’État aussi bien que les collectivités, sont prêts à accompagner les acteurs, mais ils ne se substitueront pas à eux. Le principal levier n’est pas financier, il s’agit d’un label d’excellence environnementale que les différents secteurs vont devoir définir et faire vivre. Ils devront être exigeants, avant tout avec eux-mêmes, car il ne s’agit pas de se contenter du respect de réglementations, ni de maintenir ou de restaurer un « bon état » dont on sait qu’il n’est pas celui que méritent les rivières du territoire karstique. L’excellence viendra du jeu collectif, de l’émulation entre les acteurs, des retours d’image qu’il est permis d’espérer et, à plus long terme, des bénéfices économiques qu’il est légitime d’attendre. »

Il s’agit, ni plus ni moins, d’inverser le raisonnement communément en vigueur. Cela serait alors à l’homme de s’adapter à ce que le milieu naturel peut recevoir. Une révolution de pensée qui place les enjeux de la Loue au coeur du débat de société de ce XXIe siècle.

Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius(a)francetv.fr