La méthode est rodée. Ce 4 eme rendez-vous pour sauver la Loue et les rivières karstiques de notre région a suivi le même protocole que les précédents. Les conférences départementales regroupent des élus, des techniciens de l’Etat et du départements, des représentants des associations de défenses des rivières, des représentants de toutes les activités humaines sur le territoire : l’agriculture, l’industrie, la filière bois .. Tout le monde connaît à peu près tout le monde. Seuls les plus motivés d’une impressionnante liste d’invités font le déplacement. Top Chrono, c’est parti pour 3h30 de présentations avec une petite place pour les questions dans la salle. L’objectif est de partager les informations, les résultats scientifiques, les mesures envisagées ou prises.. Tout va très vite.. Les intervenants ont pour mission impérative de ne pas dépasser leur temps imparti. Alors que retenir d’une telle matinée ? Est-ce vraiment utile ? Oui et non.
Ingénierie territoriale.. Principe de réalisme économique…Accompagnement sur la méthode…Volume financier..mobiliser les enveloppes…Le vocabulaire employé par les uns et les autres pourrait trahir une forme de ronron technocratique démoralisant pour les passionnés de la Loue et des rivières comtoises. Pourquoi en est-on encore à « envisager des mesures » alors que les scientifiques précisent que la qualité des eaux des rivières karstiques ne s’améliore pas ? Les récentes mortalités piscicoles dans la Bienne sont là pour le rappeler. Finalement, le titre de mon article de décembre 2014 n’a pas pris une ride : la politique des petits pas est toujours à l’ordre du jour !
Mais peut-on faire autrement ? Sait-on faire autrement ? Si l’on fait abstraction de la forme institutionnelle de la Conférence, des informations percent et sont là pour prouver que des actions se mettent en place. Elles sont de deux ordres : techniques ou politiques ( au sens noble du mot).
La plus importante nouvelle de cette 4 eme Conférence est finalement celle qui est la plus floue, la plus lontaine. Mais, si elle parvenait à exister, elle serait le symbole d’un acte politique fort. Après avoir rédigé un diagnostic des causes des perturbations de la Loue et des rivières comtoises, Eric Vindimian, l’expert mandaté par le ministère de l’Environnement pour apporter son appui aux services de l’Etat, vient de rendre son rapport : 22 recommandations détaillées pour faire de notre territoire de rivières karstiques, un « territoire d’excellence ». Voici ce rapport qui doit être « soumis aux acteurs du territoire ». La version définitive prendra en compte leurs observations.
Propositions de mesures pour la Loue
La proposition d’Eric Vindimian est de créer un Label d’excellence environnemental. Tout est à faire, le cahier des charges, le périmètre et surtout le calendrier. Si les acteurs de la Conférence départementale parviennent à le mettre en place, cela pourrait être un formidable accélérateur décisionnel. Une « médaille » , une carotte qui n’aurait rien du gadget puisque l’attribution de ce label serait la conséquence d’actions concrètes détaillées dans les 22 propositions. Et, vis à vis du grand public, ce label pourrait les inciter à eux aussi agir pour la qualité des eaux des rivières de leur région. Une forme de visibilité unique en son genre.
Les acteurs de la Conférence sont « au pied du mur » selon Eric Vindimian. Pour qu’ils le soient réellement, il faudrait qu’un calendrier précis soit établi avec obligations de résultat. Ce qui n’est pas le cas. Mais déjà, des règles ont été mises en place pour diminuer l’impact. Deux documents administratifs sont à la disposition des décisionnaires.
–Les services de l’Etat ont défini de nouvelles normes pour les rejets de l’assainissement collectif. Trois zones ont été créées avec une réglementation adaptée en fonction de la situation des stations d’épuration. Qu’elles soient sur les plateaux karstiques, près des rivières ou en zone intermédiaires. Les normes de rejets sont plus restrictives qu’ailleurs. En fait, il s’agit d’une déclinaison du SDAGE, le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux, adopté en novembre 2015 pour la période 2016-2021. Ce schéma a pris toutes une série de mesures ( limitation des pesticides, restauration de la continuité écologique) pour respecter la norme européenne de bon état des cours d’eau. L’autre document sur lesquelles sont bâties les règles est le contrat de territoire. Une des propositions d’Eric Vindimian est de créer un EPAGE sur les bassins versants du Haut-Doubs et de la Haute-Loue. Ce n’est pas nouveau et une étude de faisabilité doit être remise pour début 2017. En fait, tous les outils existent déjà mais au quotidien, il manque du personnel pour bien faire fonctionner, contrôler les STEP et surtout pour vérifier que les particuliers sont correctement raccordés.
-L’autre grand acteur pour diminuer l’impact des activités humaines sur les rivières est le département. Le Doubs a aidé financièrement avec l’Agence de l’eau la construction de 7 nouvelles stations d’épuration (Arc et Senans, Feule, Mancenans, Pouligney Lusans, Rougemont, Solemont, La Tour de Scay) et la réhabilitation ou extension de 4 stations d’épuration (Avoudrey, Chay, La Grange, Valonne). Cette collectivité soutient financièrement aussi les agriculteurs qui font des travaux afin d’améliorer leurs pratiques d’épandage. Avec un système de points, plus ils sont vertueux, plus ils sont aidés.
-Autre intervenant qui, mine de rien, avance petit à petit sur le dossier de la limitation des rejets : la chambre de commerce et d’industrie du Doubs. Aujourd’hui, son représentant présentait une étude menée en 2014 et 2015. Pas forcément représentative car basée sur le volontariat . Les résultats de l’enquête menée chez 142 établissements doit permettre de développer des actions collectives. « Nous sommes dans une démarche de très longue haleine » reconnaît Gérard Marion. Autre présentation, celle de l’action Limitox dans le bassin versant du Doubs et du Dessoubre. Les PME peuvent avoir jusqu’à 60% d’aides de la part de l’Agence de l’eau pour diminuer leur impact sur l’environnement.
–Autre signe positif, l’intervention de l’ONF et de la Chambre d’agriculture sur la question épineuse du traitement des grumes de bois en forêt. Un petit insecte empoisonne la vie des forestiers et son éradication empoisonne les petites bêtes des rivières qui, elles mêmes, sont mangées par les truites. Sur les 900 000 m3 de résineux abattus chaque année dans les forêts franc-comtoises, 30 000 m3 sont traités. L’ONF préconise deux solutions : créer des zones de stockage hors forêt ( mais cela coûte de l’argent et il faut de la place) et diminuer le temps de stockage en forêt ( principe des flux tendus comme pour l’automobile mais avec la variable météo, c’est plus compliqué pour le bois !) . Lors de l’une de ses interventions, l’un des représentants du collectif SOS Loue et rivières comtoises, Marc Goux demande pourquoi le choix de Bolandoz d’utiliser « zéro-phyto » pour ses 10 000 hectares n’est pas généralisé ? Bonne question ! La réponse de Marc Nouveau de l’ONF symbolise tout l’enjeu de la lutte pour la bonne santé des rivières comtoises. Ne pas traiter nécessite de la main d’oeuvre, il faut travailler à l’ancienne en écorçant les grumes. « Déjà, on a du mal à trouver du monde pour couper les arbres, alors on aurait encore plus de mal à en trouver pour les écorcer. En plus, cela a un coût ». Et nous voilà ramenés au principe de réalité. Au pied du mur.
Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius(a)francetv.fr