Musée Courbet d’Ornans : il est loin le temps du plus petit musée de France !

Depuis le 1^er juillet, les visiteurs du musée Courbet d’Ornans découvrent le nouvel accrochage de l’exposition permanente avec 55 œuvres de Courbet qui mettent en valeur à la fois son attachement à la vallée de la Loue et sa place prépondérante dans l’histoire de l’art. Il est loin le temps du plus petit musée du monde !

« Je trouve que Courbet, c’est vraiment une pointure à ne pas manquer. Je découvre en plus des nouveaux pans de sa peinture. On connaît L’origine du Monde, mais là on est en plein cœur de la nature. C’est vraiment passionnant ! ». A elle seule, cette remarque d’un des premiers visiteurs de la saison estivale du musée Courbet d’Ornans résume bien l’ambition du seul musée en France et à l’étranger entièrement consacré à l’enfant du pays Gustave Courbet.

Un territoire et une révolution

Après neuf mois de travaux pour proposer un nouveau parcours permanent, améliorer l’éclairage et les conditions de conservation des œuvres, Benjamin Foudral, le conservateur-directeur du musée Courbet était là pour accueillir en personne les premiers visiteurs. Impatient de donner à voir, de transmettre ce qui lui tient à cœur :

« C’est l’attachement viscéral de Courbet à son territoire natal, combien son territoire a été fondamental dans sa trajectoire et dans sa production mais aussi combien Courbet au-delà de l’enfant du pays, reste un peintre révolutionnaire.»
Benjamin Foudral. conservateur-directeur du musée Courbet

Plus qu’un musée, il s’agit d’un pôle muséal qui comprend également l’atelier du peintre situé à Ornans, la ferme familiale de Flagey, la source de la Loue et  les sentiers Courbet. Tenter de comprendre Courbet, c’est s’immerger dans la vallée de la Loue.

Cette volonté de relier un territoire, la vallée de la Loue, à la renommée internationale d’un artiste fondamental pour l’histoire de l’art remonte au début des années 2000. Il s’agit d’une décision du conseil départemental de l’époque présidé par Claude Jeannerot. En 2005, un budget de 9 millions d’euros a été voté pour le projet d’extension du musée et la création de ce pôle muséal.

« C’était un devoir de le faire rayonner dans son territoire en utilisant les lieux où il a vécu et qu’il a aimé , sa maison familiale, son atelier mais aussi son musée qui va permettre de valoriser les œuvres et surtout l’ensemble des paysages sans lesquels on ne comprend pas Courbet. »
Claude Jeannerot en 2009. Président du conseil général du Doubs (2004-2015)

A cette époque, il est prévu d’inaugurer ce nouveau musée en 2007-2008 mais une série de polémiques avec l’Institut Courbet va ralentir l’ambition départementale. C’est seulement le 1er juillet 2011 que le nouveau musée Courbet sera inauguré.

Aujourd’hui, tout cela semble bien lointain mais sur le moment, la bataille était rude. Petit retour en arrière. Le musée appartient au département du Doubs depuis 1976. Cette année-là, à la disparition de son fondateur Robert Fernier, l’association donne le musée au Département du Doubs « pour qu’en soit assurée la pérennité » précise l’Institut Courbet sur son site.

Passion Courbet

L’Institut Gustave Courbet est l’héritier de l’Association des Amis de Courbet. Une association qui a un rôle déterminant pour la reconnaissance de l’enfant terrible du pays.

« La ville d’Ornans n’a pas toujours été bienveillante avec Courbet. Homme à scandales, le peintre engagé déplaît. A son décès, l’image du « communard » perdure. Ce n’est que qu’en 1919, après le retour de la dépouille de l’artiste à Ornans que la ville commence un processus de réhabilitation. » peut-on lire sur une frise dans le nouveau parcours de l’exposition permanente du musée Courbet.

Courbet est mort en exil en Suisse en 1877 et ce n’est que 42 ans plus tard, pour le centenaire de sa naissance, que la volonté de sa petite sœur Juliette se réalise : son frère peut enfin être enterré dans son pays.

Il faudra l’opiniâtreté de Parisiens et d’Ornanais pour aller encore plus loin et réaliser le second rêve de sa petite sœur et seule héritière :

« C’est dans la ville qui a été son berceau que je désire placer, comme un salon de famille, les œuvres les plus caractéristiques de sa vie ».
Juliette Courbet

Entre 1903 et 1904, Juliette fait agrandir son atelier et expose les œuvres de son frère. « Elle reçoit les admirateurs du peintre dans cet endroit unique empreint de mémoire » précise le musée Courbet.

Le plus petit musée du monde

C’est en 1939 que les passionnés de Courbet, peintre comme Robert Fernier ou critique-collectionneur comme Georges Besson ont créé l’association « Les  Amis de Gustave Courbet » avec Gaston Delestre et quelques Ornanais comme la famille Maire. Son but est d’acquérir la maison de famille de Courbet, en plein cœur d’Ornans pour en faire un musée.

En attendant, le « plus petit musée du monde » est hébergée par la mairie d’Ornans avec au tout début seulement cinq tableaux ! Au fil des ans, la collection s’étoffe et des expositions sont organisées à la mairie.

Pour financer l’acquisition de la maison, un bel hôtel particulier, Georges Besson a l’idée d’organiser une vente aux enchères au Palais Galliera à Paris en 1970. Des collectionneurs et des peintres sont sollicités pour donner leurs œuvres pour cette vente qui va finalement, avec d’autres financements, permettent l’acquisition de la maison familiale .

Les visiteurs de l’exposition Courbet-Picasso, révolutions ! découvrent même que Picasso, bien que grand admirateur de Courbet, refusa de donner une œuvre pour aider à cet achat !

Courbet et les Fernier

Inauguré en 1971, le premier musée Courbet a été géré par l’Institut Courbet jusqu’à sa fermeture en mai 2008. A sa tête, Jean-Jacques Fernier, fils de Robert Fernier, architecte parisien et conservateur bénévole. Avec une particularité, le musée appartient depuis 1977 au département du Doubs. Tous les étés, Jean-Jacques Fernier propose des expositions. Certaines marquent les esprits comme lorsque Balthus, grand admirateur de Courbet, vient à Ornans en 1992. L’année précédente, Jean-Jacques Fernier avait même réussi à exposer L’origine du Monde avant que les héritiers de Jacques Lacan en fassent dation aux musées nationaux. Et en 1989, une présentation Picasso-Courbet  avait déjà eu lieu grâce au prêt de la fondation Zervos à Vézelay.

Les années troubles

Nous revoilà au début des années 2000. A cette époque-là, rien ne va plus. Pour l’Institut Courbet, le projet du département va transformer le charmant petit musée en un établissement culturel sans âme. Mais surtout, avec ce nouveau projet, Jean-Jacques Fernier ne sera plus le conservateur bénévole du musée. Il vit cela comme une forme de dépossession.

« Il faudra plusieurs années pour ramener les 35 000 visiteurs qu’il y a eu dans les plus belles années . Cela se monte petit à petit un musée . Cela ne s’ouvre pas comme cela . On peut faire un cocktail mais deux mois après il n’y plus rien alors je regrette que l’on en soit là.
Jean-Jacques Fernier, conservateur bénévole du musée Courbet de 1971 à 2008.

C’est Frédérique Thomas-Maurin, conservatrice du patrimoine au musée des Beaux-Arts de Besançon, qui prendra la tête du musée d’Ornans en 2007.

«On part quand même sur des bases solides. A partir de là, nous allons donner une dimension un peu plus moderne à ce lieu en utilisant toutes les techniques muséographiques qui sont à notre disposition »
Frédérique Thomas-Maurin. directrice-conservatrice du musée Courbet de 2007 à 2021.

Outre l’implosion en interne de l’Institut Courbet, la nouvelle conservatrice doit faire face à des retards dans les travaux en raison d’un recours devant le tribunal, à la difficulté de constituer la collection permanente du musée, issue du fonds constitué par l’Institut Courbet avec, en partie, des financements publics.  La justice s’en mêle et une convention sera finalement signée en 2013 entre le département et l’Institut Courbet en ce qui concerne la propriété, les prêts, la gestion des œuvres du peintre. Soit deux ans après l’inauguration de juillet 2011 !

Objectif dépassé

Une inauguration qui laisse certains visiteurs sur leur faim. Le nouveau musée est plus grand mais au début, il présente moins d’œuvres de Courbet. La réponse à cette critique récurrente du début du musée d’Anne Pingeot, conservateur honoraire du musée d’Orsay, est prémonitoire. Anne Pingeot, spécialiste de la sculpture française du XIXe siècle était venue visiter l’exposition temporaire « Courbet-Clésinger, œuvres croisées ».

« C’est un lieu tellement beau que les dons vont arriver. Je suis sûre que les œuvres vont arriver ici quand les collectionneurs verront ces surfaces.  Les collectionneurs veulent laisser leurs noms. Les musées sont faits par les collectionneurs ! »
Anne Pingeot, Conservateur honoraire du musée d’Orsay.

Dès le premier été, près de 34 000 visiteurs sont venus au musée rénové. L’objectif des 45000 visiteurs annuels fixé par le département est largement dépassé :

Le musée devient une locomotive culturelle, touristique et donc économique pour tout un territoire dès sa réouverture

« La réouverture du musée Courbet a permis une grosse augmentation de la fréquentation. On est à peu près à plus 30% en juillet par rapport à l’été dernier et à plus 40% au mois d’août. Le bilan est valable pour les restaurateurs, les hôteliers qui sont tous, plus ou moins, à 30 % d’augmentation par rapport à l’été dernier. (…) L’ouverture du musée a apporté son flot de clientèle qui était vraiment attendu depuis 2008 »
Annabelle Vida. Responsable de l’office du tourisme d’Ornans en 2011.

En 2019, le département du Doubs soutient de nombreuses initiatives imaginées pour célébrer le bicentenaire de la naissance du maître d’Ornans.

« 70 000 visiteurs en 2019 au Pôle Courbet dont 41 500 pour la seule exposition Yan Pei Ming. Plus de 170 évènements organisés sur l’ensemble du Département impliquant l’ensemble de notre population : les artistes bien évidemment mais aussi les collégiens, les sportifs et les personnes éloignées ». Christine Bouquin, présidente du conseil départemental du Doubs.instit

Aujourd’hui, le reproche de « coquille vide » ne tient plus. La collection permanente s’est effectivement étoffée. En 2012-2013, la souscription publique et les subventions publiques permettent l’acquisition du Chêne de Flagey pour environ 4 millions d’euros. Le veau dont Jeff Koons détient une autre version, a été donné au musée par Jean Bettoule. L’association Les nouveaux mécènes de Courbet s’est mobilisée pour permettre l’acquisition d’un petit portrait de Juliette en 2020. Pour le nouvel accrochage de la collection permanente, les collectionneurs Marie et Bernard Cola prêtent une œuvre de jeunesse de Courbet, représentant le visage du Christ. Enfin et surtout, le musée d’Orsay intensifie son appui au musée d’Ornans en lui prêtant les portraits de Joseph Proudhon et celui de son épouse ainsi qu’un nu réalisé en collaboration avec Hector Hanoteau.

Autre succès : les expositions temporaires séduisent le public. Pendant dix ans, Frédérique Thomas-Maurin et l’équipe du musée ont présenté une série d’expositions-dialogues avec d’éminents artistes. Cézanne, les impressionnistes, Yan Pei-Ming. A chaque fois, des œuvres venues du monde entier sont exposées. L’occasion aussi de mieux comprendre la peinture de Gustave Courbet.

L’atelier devient un centre culturel et scientifique

Avec l’arrivée en mars 2020 du nouveau directeur-conservateur Benjamin Foudral à la suite du départ en retraite de Frédérique Thomas-Maurin, le musée va poursuivre sa mission. Pour rénover l’éclairage, l’installation climatique et le parcours de la collection permanente, le conseil départemental du Doubs, présidé par Christine Bouquin, a voté un budget de 3,8 millions d’euros pour le musée.  4 millions d’euros ont été également dédiés à l’Atelier du peintre. La Drac et le conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté participent à la rénovation de cet atelier qui devrait rouvrir à l’automne.

Le lieu devrait devenir un centre culturel scientifique. Des ateliers pédagogiques et des colloques sont prévus. En mars 2022, un colloque international « autour du peintre et de la notion d’atelier » aura lieu dans cet atelier rénové. Organisé avec l’Institut national d’histoire de l’art, l’une des pistes de recherche est d’approfondir la « notion d’atelier dans la trajectoire de Gustave Courbet ». Les chercheurs se retrouveront à l’endroit même où Courbet a peint L’hallali du cerf en 1867. Le dernier grand format peint par le peintre. Plus tard, sa petit sœur Juliette, fait agrandir ce lieu cher à sa mémoire pour présenter les œuvres de son frère. Les prémices d’un musée.

Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius(a)francetv.fr