16 Juil

Les nouvelles règles de l’AOC comté : « On ne sauvera pas les rivières si on ne sauve pas le comté »

Les prairies, un enjeu pour la biodiversité

Défenseurs des rivières et producteurs de comté regardent dans la même direction mais n’avancent pas au même pas. Le 28 juin dernier, le CIGC le Comité Interprofessionnel de Gestion du Comté, a présenté le futur cahier des charges du Comté. Deux semaines plus tôt, SOS Loue et rivières comtoises proposaient 12 mesures pour produire du comté tout en respectant les rivières.

Défenseurs des rivières et agriculteurs ont appris à se connaître. Depuis les fortes mortalités de poissons dans les rivières comtoises d’il y a maintenant une dizaine d’années, ils ont entamé un dialogue notamment lors des réunions du groupe de travail « Agriculture » organisé en marge des Conférences départementales organisées par l’Etat et le conseil départemental du Doubs. Les services de l’Etat et le département ont demandé aux participants de faire des propositions concrètes pour parvenir, un jour, à l’excellence environnementale préconisée par l’expert Eric Vindimian. Autres échanges, ceux réalisés en 2016-2017, lors des réunions lancées par la DRAAF (Direction Régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt) de Bourgogne-Franche-Comté. Avec le soutien du Ministère de l’Agriculture et en partenariat avec le CIGC. Parmi les cinq scénarios élaborés pour imaginer l’avenir du Comté, celui sur l’excellence environnementale était retenu.

«On ne peut pas s’affranchir des soucis environnementaux, particulièrement sur notre sol karstique fragile et surtout dans le Comté, produit naturel issu du terroir ! N’ignorons pas la pollution de nos rivières, même si les agriculteurs font office de boucs-émissaires devant ce problème multi-factoriel. On a notre part de responsabilités, ni plus, ni moins, mais ne nous braquons pas. Nous devons respecter les sols et adapter nos pratiques à leur potentiel agronomique. La nature fait bien les choses : amener plus d’éléments nutritifs que nécessaire conduit l’homme à des problèmes de santé. C’est pareil pour la terre. Les agriculteurs avancent, il y a de nouveaux comportements qui s’installent, il faut poursuivre dans cette voie.»

Michel Foltete, Président de l’Union agricole comtoise et président de la commission environnement à la chambre d’agriculture.

« On regarde dans la même direction, assure Alain Mathieu, président du CIGC et producteur de lait à Bief-des-Maisons (Jura). Il s’agit de consolider la promesse faite aux consommateurs ». Autrement dit, ne pas scier la branche sur laquelle est assise la filière comté. Ce fromage, première Appellation d’Origine Contrôlée de France, donne aux consommateurs une image d’un produit proche et respectueux de la nature. Dans ses publicités, le comté met en avant les prairies fleuries du massif Jurassien. Mais, les près envahis par les pissenlits trahissent des velléités d’intensification d’une partie des producteurs au grand dam des agriculteurs qui s’évertuent, eux, à faire de leurs prairies des exemples de biodiversité. Tout un débat au sein de la filière ! 

La révision du cahier des charges du comté est « vital, tant pour la filière Comté, que pour l’arc jurassien tout entier » déclare Alain Mathieu sur le site du CIGC tout en précisant qu’ils auront « besoin de toutes les sensibilités pour porter ces propositions jusqu’à la Commission européenne. C’est à ce prix que nous réussirons » conclut-il.

Le 28 juin à Poligny, de nouvelles mesures pour le futur cahier des charges ont donc été adoptées par les acteurs de la filière comté. Un gros travail d’exercice démocratique et de consensus car toutes les décisions doivent être prises à l’unanimité des quatre collèges de la filière. Vous trouverez sur le site du CIGC le détail de ces mesures. Voici quelques uns de ces engagements non encore validés par la Commission européenne

-Production maximale des exploitations limitées à 1.2 Millions de litres / an
-Productivité maximum du troupeau : 8500 l / vache (en moyenne troupeau)
-50 vaches laitières maximum pour le chef d’exploitation, 90 pour 2 UMO (unités de main d’œuvre), 90 pour 2 UMO, 130 pour 3 UMO avec 1 UMO salarié maximum pris en compte dans le calcul.
-Fourrage utilisé par l’exploitation : 80 % minimum « origine zone AOP Comté » dont 70 % minimum vient de l’exploitation (= 70 % d’autonomie fourragère)
-Interdiction de la destruction chimique des prairies
-Tout traitement phytosanitaire doit être tracé

« Forcément, ce cahier des charges oblige à se remettre en cause » reconnait Alain Mathieu. Le processus d’adoption définitive est encore long car ces mesures doivent être examinées par l’INAO (Institut National de l’Origine et de la Qualité), le ministère de l’Agriculture et, in fine, les instances européennes. La dernière étape sera la plus délicate car Bruxelles, tout en exigeant une bon état des cours d’eau, n’apprécie guère les règles de la filière comté jugées trop éloignées de la libre concurrence.

Mais est-ce suffisant pour parvenir à l’excellence environnemental prôné par Eric Vindimian ? Lors de la quatrième réunion de la Conférence départementale, il y a trois ans, Eric Vindimian, l’expert nommé par le ministère de l’Environnement, avait présenté 22 recommandations pour faire des bassins versants de la Loue et des rivières comtoises un territoire d’excellence environnementale. Décroché un tel label serait le signe d’un accord réussi entre enjeux environnementaux et économiques. Une feuille de route pour « sauver les rivières comtoises ». L’une des préconisations de ce rapport est justement de

Construire avec le CIGC un label d’excellence environnementale qui tienne compte des mesures de préservation des eaux et de la biodiversité.

Pour Marc Goux de SOS Loue et Rivières Comtoises, le compte n’y est pas «  Il n’y a pas de décisions qui peuvent réellement inverser la tendance à la destruction des rivières et de la biodiversité ». Selon lui,  » On ne sauvera pas les rivières si on ne sauve pas le comté » d’où la nécessité d’aller plus loin dans la révision du cahier des charges pour parvenir à cette excellence environnementale.

Après un an de  travail, Le collectif vient de publier un travail très complet « 12 mesures pour un comté soutenable en équilibre avec son territoire et ses hommes ». Pour y parvenir, la clé est une autonomie fourragère des exploitations à 95%. Tout part de là. Le CIGC préconise lui 70%. En adaptant son troupeau à ce que peut donner ses surfaces agricoles, sans avoir a acheté de l’alimentation en dehors de la zone AOP, l’exploitant ne surchargera plus le sol karstique en intrant.

Les défenseurs des rivières préconisent également des fermes avec un troupeau de vaches produisant un maximum de 6400 litres par vache au lieu des 8500 indiqués dans le cahier des charges du comté. Ces curseurs plus exigeants doivent permettre de diminuer nettement les intrants dans les sols karstiques. Autre regret, la faible prise en compte de l’impact de la filière sur la production de gaz à effet de serre et des mesures encore trop timides pour pouvoir s’adapter au changement climatique. Enfin, l’une des mesures les plus importantes revendiquées par SOS Loue et Rivières Comtoises est le passage en agriculture Bio pour l’ensemble de la filière.

La confédération paysanne veut elle aussi un cahier des charges plus strict. Mes confrères Lucie Thiery et Jean-Louis Saintain avaient rencontré les représentants de ce syndicat agricole en décembre 2017, au début des négociations sur le futur cahier des charges. La Confédération Paysanne, syndicat minoritaire mais impliqué au sein de la filière, souhaitait voir limiter la taille des exploitations à 200 000 litres par actif de lait produits par an et par agriculteur ou 800 000 litres au maximum par exploitation. Finalement, le 28 juin dernier, la Confédération Paysanne s’est abstenue lors du vote. Pour ces agriculteurs qui militent pour « des fermes à taille humaine », la limitation à 50 vaches laitières maximum pour le chef d’exploitation n’en n’est pas une. « Un couple d’exploitants qui a 90 vaches laitières, cela oblige à beaucoup de mécanisation. Augmenter la taille des fermes, cela implique une intensification des pratiques ». Les dernières propositions du cahier des charges validées par la FDSEA et le CDJA, « reviennent à une démission » estime Guy Mottet.  

Le chemin administratif de ce futur cahier des charges rénové est encore long. Sur le terrain, les pratiques peuvent évoluer sans avoir à attendre la décision ultime de la Commission européenne. Pour parvenir à ce délicat équilibre entre environnement et économie, des connaissances en agronomie semblent indispensables. Les sécheresses 2018 et 2019 nous rappellent l’urgence de cette évolution vers une agriculture respectueuse des sols et par conséquent des rivières.

Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius(a)francetv.fr