Avec les élections municipales et européennes, 2014 sera, assurément, politique. Alors commençons cette année par un roman, lui aussi politique et fort peu banal. Requiem pour l’oligarchie, d’Emmanuel Delattre nous raconte ce qui se passerait si, pour simplifer, les thèses de la gauche de la gauche étaient appliquées. Bref si « on abolissait les riches ».
Vaste programme, belle utopie et délectable moment de lecture en réalité. Même si l’on ne partage pas ces idées-là.
Requiem pour l’oligarchie, c’est l’histoire de Laurent, metteur en scène sans financement que les aléas de l’existence vont amener à participer à un vaste complot du PAG (le parti anticapitaliste de gauche) visant à abolir les riches. Pour cela, rien de plus évident, il va prendre la place d’un des hommes les plus influents du pays et insuffler dans le pouvoir économico-politique un nouvel élan. Simple comme bonjour.
Pour cela, Laurent va devoir se mettre dans la peau du personnage. Et une fois en place, ne pas se laisser séduire par les sirène du pouvoir et de la richesse.
Oui, on nage en pleine utopie dans ce roman. Et ça fait du bien. Au diable les injustices, les inégalités, l’argent roi, les dictatures et le mépris des classes populaires. Place au partage des richesses, au courage, à l’imagination. Laissons-nous emporter, un tant soit peu, par cette folie.
Emmanuel Delattre interprète jusqu’au bout son requiem. Même les proches d’Hector Parias, le puissant dont le héros prend la place deviennent moins détestables à son contact. L’histoire est improbable de bout en bout mais elle fonctionne. Et nous offre au passage un beau voyage en utopie.
Requiem pour l’Oligarchie est publié aux éditions Utopia.
Emmanuel Delattre est auteur et metteur en scène. Il a notamment écrit un livret d’Opéra La molécule des Fous mis en scène à Toulouse.
Je m’assoie et… préside ! Voilà, j’y suis. Je préside une réunion dont chaque décision peut influencer la marche du monde. Après avoir rassuré ce sérail sur mon état de santé, je dois saluer les deux nouveaux camarades. Il me faut les soutenir face à l’aile droite du conseil – c’est à dire tout le reste, qui doute encore de ces nominations qu’ils jugent trop progressistes. S’ils savaient que l’un d’entre eux n’a qu’un CAP de tourneur-fraiseur, ils en avaleraient leurs cravates. Pour les mettre encore plus mal à l’aise, je confirme la nomination de notre nouveau directeur de la fiction à la One, que Gonzague juge maintenant « originale ».
Notre objectif est de produire de nouvelles fictions ou séries, qui parlent de la vraie vie et sachent critiquer le système, l’attaquer, le transformer. La fiction télévisuelle ayant remplacé la fiction religieuse, il s’agit de détourner ce nouvel opium des peuples pour ouvrir les consciences. Nous voudrions, d’un média d’aliénation, faire un média d’ouverture d’esprit. Pour cela, il faut agir sur la chaîne la plus regardée. Doucement déprogrammer pour reprogrammer, par petites doses presque invisibles. On commence par la fiction, ça reste ludique et attractif; ensuite l’information, les talk-shows, les débats politiques, les documentaires. On envisage même des jeux intelligents et drôles. En attendant la révolution qui verra la prise des médias par le peuple et la suppression de la publicité, cette oppression par la consommation, le nouvel Hector va tenter de désamorcer la bombe fictionnelle pour inventer un nouveau récit. Dans un premier temps, il suffira simplement de ressortir des tiroirs tous les excellents scénarios qui pullulent dans les sous-sols de la One et de ses satellites. Tous ces scénarios refusés car oligarchiquement incorrects.
Je donne ensuite la parole à Rachel pour la liste des autres nominations dans les groupes, sous groupes et filiales, en France et à l’étranger. Il y a bien quelques mouvements d’humeurs de-ci de-là, mais je confirme que je suis en accord avec ses choix. Je dois avouer que le parti n’y va pas avec le dos de la cuillère. J’y reconnais la ferveur et l’empressement d’Eric. Il dit qu’il faut profiter au maximum de la période d’état de grâce qui suivra mon accident. Au risque de provoquer des réactions en chaîne. Ce qui ne tarda pas, à propos du nouveau DRH des supermarchés.
– D’où sortez-vous cet individu ? dit l’un.
– Mais c’est un obscur directeur d’une de nos succursales discount, dit l’autre.
– Et en plus, d’après nos renseignements, il aurait milité dans un mouvement d’extrême gauche.
– Dans sa jeunesse, précisai-je. – On avait réussi à effacer les traces les plus récentes.
– Oui mais quand même ! – Il fallait que je réagisse :
– Ecoutez, je m’occuperai personnellement de ce cas. Je le rencontrerai et je verrai ce qu’il a dans les tripes. Vous savez que dans notre maison on apprécie la valeur personnelle et le travail. S’il a mérité, je saurai le voir. Je fais aussi confiance à Rachel, qui a de très bonnes intuitions…
– Féminines, précise ma mère, qui m’aide toujours.
– Veux-tu que je fasse une enquête complémentaire ? proposa mon oncle.
– Non merci. Nous ne sommes pas le KGB, dis-je en faisant rire tout le monde et en évitant que le tonton ne fourre son nez dans cette affaire.
Il nous fallait ce DRH pour pour recruter des employés non-modèles, prêts à se syndiquer et à réclamer de meilleures conditions de travail, à lutter avec nous contre l’oligarchie. Il va bientôt y en avoir des rebelles dans le trust d’Hector Parias. Par contre, je sens qu’il va falloir un compromis pour le poste de directeur des magasins du Brésil.
– Cette fois-ci, il n’y a aucun doute. Nous sommes certains que cette personne vient des rangs du Parti Anticapitaliste de Gauche, dit un administrateur bien informé.
– Et, rajouta un autre, ce changement c’est n’importe quoi. C’est bien M. Rodriguez qui devait être nommé. – Eric était trop pressé, il fallait que je calme le jeu.
– Je suis tout à fait d’accord. Je vais revoir ce dossier. Ceci dit, être au PAG n’est quand même pas interdit par la loi. – Je testait le conseil.
– Ah ! Ils nous font déjà assez chier comme ça avec les syndicats.
– Je me demande si on ne devrait pas justement interdire ce genre de parti. Ils veulent notre mort, un point c’est tout.
– Moi, j’ai connu un ancien maoïste qui a fini numéro deux du patronnat. Comme quoi tout peut arriver, dit le tonton qui me protège.
– Il est vrai, dis-je, que beaucoup d’anciens gauchistes travaillent chez nous. Mai 68 n’a pas produit que de la chienlit. Sur cette réflexion pleine de bon sens, je reprends la main. Mais le tonton me fait un revers smashé :
– Par contre, pour le poste au Brésil, Pierre a raison. Je décide de ne pas pousser le bouchon.
– Tu as raion Marcel, dis-je avec souplesse. Je bloquerai cette nomination. Rachel me regarde, elle a compris la manoeuvre, qu’elle approuve. On verra plus tard.
Véronique Haudebourg