30 Août

Le charme délicat des Brisées de Jean-Yves Laurichesse

Pas de tapage médiatique autour des Brisées. Mais cette pépite de lecture mériterait d’être plus connue, comme son auteur d’ailleurs.

Les brisées ce sont ces petites branches que l’on sème sur son chemin pour traquer une bête. Jean-Yves Laurichesse nous emmène sur les traces d’une vie, la sienne même si la première personne n’est jamais employée.  Il nous livre ces minuscules choses qui construisent une existence, l’air de rien, petit à petit.

Des lieux de son enfance, il ne reste pourtant plus grand chose.  Jean-Yves Laurichesse patiemment remonte le temps et reconstruit pour nous les lieux, les gens, les instants.

Pourtant Dieu sait si les descriptions m’ennuient en général. Je m’octroie souvent, je l’avoue, un des droits du lecteur de Daniel Pennac, celui de sauter des pages. Mais là, pour rien au monde je n’en aurai perdu une miette. Les images se façonnent sous les mots, les odeurs envahissent vos narines, les lumières s’invitent dans le décor. Ces Brisées, je ne les ai pas lues, Jean-Yves Laurichesse me les a racontées, doucement.

Un livre  délicat, d’une belle élégance, au charme discret et raffiné, à la rêverie douce. Un ouvrage dont la tonalité lente et contemplative ne m’inspirait guère au départ mais qui m’a conquise dès les premières pages par sa tranquilité. Une parenthèse à savourer dans un bon fauteuil et la quiétude d’une soirée (par exemple…).

Les Brisées de Jean-Yves Laurichesse aux éditions Le temps qu’il fait.

  • L’auteur

Jean-Yves Laurichesse est né dans la Creuse il y a 57 ans. Il enseigne la littérature française à l’université de Toulouse. Il écrit depuis l’adolescence mais laissait ses écrits dormir dans un tiroir jusqu’à ce que la découverte de vieux documents familiaux ne provoque un déclic. Et c’est tant mieux.

  • L’extrait

Il lui raconte cela au dîner, sur la terrasse, tandis que la nuit comble peu à peu la vallée et qu’en bas le grondement du déversoir s’intensifie.
La fenêtre du salon était fermée de lourds rideaux bruns à croisillons d’or. Il se glissait dans l’embrasure pour y respirer l’air glacé de l’hiver, enfoncé dans l’obscurité, ne percevant plus que de très loin les bruits familiers de la maison, comme s’il était perdu dans la grande forêt des dimanches rendue à la nuit immémoriale. Il restait ainsi, immobile et parti, entre les lourds rideaux et les vitres glacées, jusqu’à ce que son père ou sa mère lui demande de sortir de peur qu’il ne prenne froid. Il retrouvait alors le salon au sol couvert de sisal jaune, qui donnait aux soirées d’hiver une couleur si chaude.
Il se souvient des histoires que son père lui racontait à voix basse le soir dans son lit, penché sur lui le visage dans l’ombre. Un petit garçon était enlevé par une horde de loups, mais sauvé par le plus vieux qui empêchait les autres de le dévorer. Et quand son père revenait dans la forêt armé d’un revolver pour l’arracher aux bêtes, l’enfant le suppliait d’épargner son ami, et le vieux loup les regardait partir avec tristesse et reconnaissance. Il se souvient aussi des grands livres que sa mère lui lisait quand il dut demeurer chaque soir immobile sur le divan du salon, les jambes serrées dans des bandes de toile, entrant pour la première fois, par le truchement mystérieux de la voix, dans le grand temps du roman, la géographie lointaine de la jungle ou de la savane, la noblesse infinie des animaux sauvages.

  • Ils en parlent aussi

– Les promenades culturelles de Lydia Bonnaventure

– Le blog de Nicole Gaspon, conseillère municipale PCF de Perpignan

– Olé, le magazine culturel Aude-Hérault

– Le nouvel observateur et le travailleur catalan

Véronique Haudebourg

19 Août

Bohême d’Olivier Steiner ou l’art de parler d’amour à l’heure d’internet

Cher Jérôme, cher Pierre

Je ne vais pas vous mentir, votre histoire d’amour, je m’y suis rendue à reculons. C’est juste pour voir ce que votre auteur pouvait écrire sur une relation épistolaire à l’heure d’internet que je me suis plongée dans Bohême. Et je n’ai pas regretté. Sinon, je n’en parlerai pas sur ce blog.

Oh, bien sûr, il y a eu des moments de lassitude. Passés les premiers émois, la naissance de la passion, les déclarations, les premières découvertes, vos échanges m’ont semblés un peu ennuyeux. Mais n’est-ce pas comme dans la vraie vie -comme on l’appelle-, ces périodes un peu longuettes où la routine s’installe avec le quotidien ? Ce qui me pousserait à penser que le virtuel, somme toute, est aussi la vraie vie.

Alors pour passer le temps, je me suis concentrée sur votre métier Pierre, celui d’un metteur en scène en cours de création. Cela m’a occupée. Fort heureusement pour moi, Olivier Steiner a su relancer mon attention pour achever son roman. Avec une fin des plus crédibles, et la seule possible sans nul doute.

Bref, cher Jérôme, cher Pierre, vous m’avez donné envie de lire un autre ouvrage d’Olivier Steiner, du moins quand il l’aura publié. J’espère pour vous deux que vous avez su rebondir depuis Bohême. Mais sort-on indemne de ce genre d’histoire ?

Bien à vous,

Véronique Haudebourg

PS : Ah oui, pour les lecteurs de ce blog, Bohême, pour faire court, raconte un amour épistolaire moderne, SMS et mail à la clé. Une histoire vécue par Jérôme, jeune beur bigourdan exilé à Paris et Pierre, quadragénaire, metteur en scène, marié et père de famille, en résidence aux Etats-Unis. Une histoire passionnelle que certains peuvent juger excessive et même ridicule. Mais la passion de toutes les manières, est par définition excessive et incensée.

Bohême d’Olivier Steiner est publié chez Gallimard. Il a obtenu le prix Rive gauche à Paris en 2012.

  • L’auteur

Olivier Steiner est un nom d’emprunt. A l’origine, il s’agit de Jérôme Léon. Né à Tarbes en 1976, il fréquente le lycée Théophile Gauthier et fait des études à Toulouse. Il décide assez vite de changer de vie et monte à Paris pour vivre sa passion du théâtre. Il a alors 21 ans. Il se consacre aujourd’hui entièrement à l’écriture, notamment sur le site du huffington post.

  • L’extrait

Peut-être que je suis fou, hystérique, que je délire, que je vous persécute avec mes fulgurances, que je me contemple dans votre reflet, que je n’aime que moi en train de vous aimer. Car vous êtes célèbre, ce n’est pas un détail, vous avez du pouvoir, ce n’est pas un détail. Ne suis-je qu’une pute qui fantasme ? Une pute suffisamment aveugle pour ignorer son état de pute ? Mais une pute offre son service sexuel contre de l’argent. Quelle serait la transaction entre nous ? C’est une vraie question que je pose là. Je n’en ai aucune idée. J’ai envie de pleurer. Avais-je le droit d’employer le verbe aimer ? Je tremble depuis que je l’ai écrit. Ecoutez, je ne suis plus sûr de rien… I am too much. Too much to be true. Comme la France doit vous sembler minuscule et dérisoire là où vous êtes ! Jérôme.

Pierre, c’est incompréhensible. Il se passe quelque chose de très réel. De mon côté c’est physique. Acceptez-vous d’avoir un amoureux à distance ? Un parfait inconnu amoureux à distance. Pas un admirateur, juste un garçon amoureux d’un autre garçon ? Jérôme.

Mon dîner va bientôt se terminer et je vais rentrer chez moi. Peut-être que j’aurai un mail de vous ? P.

Pierre, je m’étais endormi devant la télé ! Le bip qui vient de me réveiller vient de Californie, c’est un bonheur. Oui, vous allez trouver quelques mails, je redoute votre lecture… J.

Rendormez-vous Jérôme. Pardon de vous avoir réveillé avec le SMS. Suis rentré à la maison. Très troublé par ce que je viens de lire de vous. Perturbé, heureux, excité, comment dire cela ? Quel mot employer ? Quelque chose me coupe le souffle. Vous me dites : acceptez-vous d’avoir un amoureux à distance ? Un parfait inconnu amoureux à distance, comme un garçon avec un autre garçon ? Oui ! Oui, oui, sûrement, à priori, sauf que je veux le connaître, je veux le voir. Je vous aime déjà de façon irrationnelle, totalement irrationnelle. C’est sûrement un problème, parce que nous nous emballons tous les deux excessivement, mais j’aime ce que vous me dites, je comprends vos larmes, vos tourments, j’ai envie de les accompagner, mais vous êtes loin, et moi aussi. J’ai envie de vous parler, de vous voir. De vous toucher sûrement. Je suis troublé par des mots, un élan, une vitesse, pas encore une personne. Je devine que cet élan, que vous connaissez, qui est vous, vous manque, vous fait défaut, ne vient pas, n’est pas au rendez-vous, vous ne vous sentez plus comme vous aimez, donc vous vous sentez mal, je comprends, si c’est cela je comprends. Tellement.
Que tout est compliqué ! Et pourtant, que tout est simple ! J’entends ce que vous dites, ce que vous écrivez, il me manque la personne. La personne. Le corps. Le regard que je ne connais pas, les gestes, les bras, les mains, comment faire ? Et vous êtes épuisé, et moi aussi. Parlons-nous ? Comment faire ?
Jérôme, je viens vers vous mais quelque chose me terrasse. Vous avez le premier employé le mot « désir »… Oui, je sais que nous tournons autour de ça, depuis le début. Mais je suis mal à l’aise, pas tout à fait à ma place. En tout cas ce n’est pas ma place habituelle. Vous voyez, c’est moi maintenant qui suis confus… Je ne sais plus comment continuer. Restez là auprès de moi, encore. Rendormez-vous, à demain. je pose ma main sur votre front. Pierre.

  • Eux aussi, ils en parlent

Le site critiquesLibres.com : une histoire d’amour par SMS et par email
Le blog des Petits papiers de mademoiselle
Chroniques de la rentrée littéraire.com
Le site Rue des auteurs

Véronique Haudebourg

14 Août

La théorie du papillon – Vincent Martorell

C’est une très belle histoire dans laquelle nous entraine Vincent Martorell.
Dès le début du livre, l’auteur nous donne envie d’en savoir plus sur ces 2 sœurs si différentes et qui vont être confrontées au passé de leur mère. Un passé qu’elles ignoraient, et qui va complètement bouleverser leur vie.
Mais comment juger certains actes quand la survie est en jeu ? Comment se comporter quand toute une part d’un être que l’on aime et que l’on pensait connaitre se révèle au grand jour ? Est-il possible de pardonner ?  
Lors des obsèques de leur mère, Géneviéve Lamarthe, Alice  pleure, Gabrielle est renfrognée. D’ailleurs elle souhaite le plus rapidement possible regagner Londres où elle a choisi de vivre. Alice est ravagée par le chagrin. Divorcée, elle est restée auprès de cette mère qu’elle chérit depuis toujours et s’est occupée d’elle depuis qu’elle-même est séparée de son mari.
Les 2 sœurs ne se sont pas vues depuis dix sept ans, ne se comprennent guère et ont entretenus durant toute leur vie des liens très différents avec cette mère aujourd’hui défunte.
Les voici désormais face à face, porteuses d’un héritage qu’il va falloir gérer.
Ce qu’elles ignorent, c’est que Geneviève Lamarthe, leur mère, leur lègue une histoire qu’elle a réussit à cacher durant toute sa vie.

 Corinne Lebrave

 Extrait : « (…) Gabrielle ne cesse de jouer avec ce ruban noir qui entoure le coffret. Le fait que l’on y ait apposé un cachet de cire au centre du tissu croisé l’intrigue, mais comment peut-elle encore être étonnée ? Geneviève Lamarthe aimait à se donner des allures énigmatiques, adorant parler des esprits, convaincue que si une mauvaise action avait été commise, les âmes qui demeuraient de l’autre côté viendraient vous réclamer un jour ou l’autre des comptes. Pour une femme aussi pieuse, parler ainsi librement de ces choses avait toujours été incompréhensible pour Gabrielle, elle ne pouvait adhérer sérieusement à ces croyances ridicules qui tenaient plus du folklore que de la réalité. Mais une fois encore, ce legs et la manière dont il s’était opéré attestaient de la personnalité complexe de sa mère. »

  • L’auteur

 Né à Toulouse en février 1961, d’un père d’origine espagnole et d’une mère native des Pays de Loire, Vincent MARTORELL est auteur de nouvelles, de pièces de théâtre, et de plusieurs romans. Depuis juillet 2002, il réside en Comminges. De juillet 2011 à janvier 2012, il a collaboré en tant qu’auteur à l’exposition Un Pays, des figures, des hommes, avec le photographe Igor BERTRAND. En mars 2012, le prix Sky Prod lui été attribué pour sa nouvelle Brouillard. Portraits, un recueil de textes ayant servi de support à l’exposition Un Pays, des figures, des hommes, a été publié en juillet 2012. La Théorie du Papillon est son quatrième roman.

La théorie du papillon – Vincent Martorell
Editions Gunten

13 Août

Une belle Saloperie – Robert Littell

 

 Il s’appelle Gunn avec « Deux  n » précise-t-il, chaque fois qu’il se présente. L’homme est très à cheval sur l’orthographe de son nom.
Lemuel Gunn a des valeurs, de celles qui n’ont plus cours à notre époque. Des valeurs, des méthodes de travail, et un flair qui en font un redoutable enquêteur.
Cet ancien agent de la CIA, qui en a trop vu en Afghanistan, au point de démissionner, est devenu détective privé. Il s’est installé au Nouveau Mexique, loin du monde et de ses semblables.
Mais quand Ornella Neppi fait appel à ses services, pour retrouver un certain Emilio Gava, qui a disparu après avoir été libéré sous caution suite à une affaire de drogue, Il accepte l’enquête. Parce qu’il a besoin d’argent, et surtout Ornella, « la belle comtesse aux pieds nus », ne le laisse pas insensible.
Il n’en faut pas plus pour que le détective se lance au volant de sa Studebaker sur les routes du nouveau Mexique, puis du Nevada pour retrouver le fugitif.  Les chances d’y arriver sont minces, et surtout, il se retrouve dans une affaire bien plus complexe qu’il n’y parait au départ : FBI, mafia, argent et vengeance viennent interférer dans une enquête déjà trouble. Mais Gunn en a vu d’autres. Il ira jusqu’au bout.
Et puis on peut avoir vu des horreurs, et essayer malgré tout de garder foi en ses semblables surtout quand ils sont aussi attirants qu’Ornella.

Voici un polar de facture classique, servi par une galerie de personnages tous aussi marquants les uns que les autres. Une belle saloperie est un livre réjouissant et un bel hommage à la grande époque du roman noir. 

 Corinne Lebrave

 « Elle termina son vin et secoua la tête quand je proposai de la resservir. « bon, alors expliquez moi si vous en êtes capable : comment est –il possible d’avoir la nostalgie de choses qu’on a jamais connues ? »
Je haussai les épaules. « C’est la condition humaine selon Gunn. En pensée, nous écrivons les scénarios de la vie que nous aimerions mener » »

  •  L’auteur
    Robert Littell, l’un des grands maîtres du roman d’espionnage, après plusieurs livres qui se développent dans un contexte international, se tourne ici vers le polar et situe son récit dans un décor profondément américain.
    Ancien journaliste à Newsweek, spécialiste dans tes affaires russes et moyen-orientales, Robert Littell a notamment publié Ombres rouges (1992), Le Sphinx de Sibérie (2994), La Compagnie : le grand roman de la CIA (201)3), Légendes (2005), L’Hirondelle avant l’orage : le poète et le dictateur (2009), Philby, portrait de l’espion en jeune homme (2011), et un livre d’entretiens, Conversations avec Shimon Pères (1997). Ses livres sont traduits dans le monde entier. 
    Il vit dans le Lot , prés de Martel .
    Robert Litell  est nominé pour le Grand prix de littérature policière  décerné à la mi-septembre
    .

Une belle Saloperie – Robert Littell – éditions Baker Street

12 Août

La dernière mission d’Edouard K.

La dernière mission d’Edouard K. – Christophe Chaffardon

Edouard K.est l’astronaute le plus secret et le plus discret de sa génération.

Le grand-père de Loup, un jeune garçon de 12 ans en sait quelque chose. Il est intarissable sur la conquête spatiale : Passionné, il collectionne tout ce qui s’y rapporte et il ne lui manque qu’une chose : un autographe d’Edouard K.  Il n’en existe aucun exemplaire au monde, car l’astronaute n’en a jamais signé et depuis sa dernière mission il vit retiré du monde sur une île écossaise et ne veut plus parler de son passé dans l’espace.

Quand son grand-père tombe malade, loup n’a qu’une idée en tête, lui faire le plus beau cadeau que ce dernier puisse espérer : le fameux autographe.

Le hasard et une rencontre avec Bertille, une petite fille pétillante et audacieuse va lui permettre de concrétiser son rêve et l’amener bien au-delà. Ensemble, il se pourrait qu’ils résolvent l’une des plus étranges énigmes du monde des spacionautes, celle qui régne autour d’Edouard K.

Un livre passionnant, très bien documenté, qui entrainera les enfants et les adolescents sur les pas de personnages hors du commun, dans une histoire à l’intrigue bien menée. L’expérience de Christophe Chaffardon, responsable activités de la cité de l’espace à Toulouse, apportera de nombreuses clés et plein d’informations aux futurs astronautes et à tous ceux qui s’intéressent à la conquête spatiale.

Corinne Lebrave

« La sortie extravéhiculaire était imminente. Edouard K en connaissait tous les dangers, toutes les exigences et les difficultés.
La concentration nécessaire, à tous les instants, la clairvoyance. Les efforts surhumains pour réaliser les travaux, serrer un boulon, fixer un câble, les doigts en sang dans les gants trop rigides. L’épuisement, les kilos perdus par litres de transpiration.
Et l’infini qui tend les bras, le risque de lâcher prise, de perdre le contact, de ne plus pouvoir revenir dans la station, de dériver sans fin dans l’espace.
Il savait tout cela. Pourquoi y penser maintenant, encore ? »

La dernière mission d’Edouard K.
Christophe Chaffardon –  Editions Le Pommier