Les tiroirs de Visconti renferment décidément bien des surprises, bien des pépites. Ils racontent la découverte d’un homme, Paul M. au travers de sa maison qu’il fait visiter au narrateur. Au fil de leurs entretiens et des portes poussées se dévoile un étonnant personnage, ecclectique.Collectionneur, reclus au fin fond de la lande girondine, il veut échapper au temps humain, à la banalité de l’existence et la vulgarité du monde.
Mais Paul M. dit-il ce qu’il est, ce qu’il aimerait être, ce qu’il aurait aimé être ? Collectionneur, dandy, érudit, esthète, amoureux des belles choses, Paul M. ne s’en cache pas, il aurait aimé inventé sa vie. Vissé à ses mails mais curieusement anchronique par bien des aspects, Paul M. nous emmène au-delà des apparences, au fond des tiroirs de Visconti.
Les tiroirs de Visconti sont édités chez Naïve livre
Didier Goupil est né à Paris en 1963 et vit aujourd’hui à Toulouse. Après des études de lettres et des années d’enseignement il se consacre à l’écriture. Ses romans portent sur l’amérique post 11 septembre (Le jour de mon retour sur terre, Le Serpent à Plumes) ou la situation à Cuba après le départ du Lider Maximo (Castro est mort !, éditions du Rocher). Il collabore depuis 2001 avec le Festival de la Correspondance de Grignan et depuis 2007 avec la Boutique d’Écriture du Grand Toulouse. La plupart de ses textes sont lus régulièrement en public et il anime, selon les propositions, des rencontres ou des ateliers d’écriture.
« Martin d’Orgeval… Vous voyez de qui il s’agit ? Le photographe ? Un ami de ce François-Marie Banier dont on parle beaucoup dans les journaux en ce moment. Martin
d’Orgeval a fait un très beau livre sur l’incendie qui a frappé la maison Deyrolle, dans lequel il montre les animaux brûlés, comme crucifiés par les flammes. Je dois l’avoir quelque part, je vais vous le montrer. »
Incroyable spectacle, en effet, que cette Arche de Noé ravagée par le feu.
« Je sais bien qu’on accuse ce Banier d’avoir délesté la première fortune de France, Liliane Bettencourt, de sommes astronomiques – et que ça ne se fait pas. Mais je trouve qu’on le caricature bien vite. Son parcours est souvent ignoré et il ne manque pourtant pas d’intérêt. Avant de se reconvertir dans la publicité, son père était ouvrier à la chaîne. Le jeune François-Marie n’a pas eu la vie aussi facile qu’on le dit. Il a toujours dû se battre. Il est allé en maison de correction, a fait une tentative de suicide, je crois, puis une longue psychothérapie. Alors, il a beau avoir perdu sa beauté raphaélique, ressembler désormais à un vieux ouistiti, on a beau nous le dépeindre comme un être cynique, sans cœur et sans fidélité, s’en prenant à de pauvres vieilles dames fortunées, je ne peux m’empêcher de ressentir une certaine sympathie pour lui. Ses peintures, ses photos ne m’intéressent pas trop, mais le personnage, oui. Je crois que dans le fond, ce qu’on lui reproche, ce n’est pas d’être riche, ou peu fréquentable ; des riches peu fréquentables, il y en a quand même un certain nombre. On sait bien que dans ce milieu tout le monde essaie de piquer le fric de tout le monde et il ne fait rien de plus que ce que font tous les gens qu’il côtoie. Alors pourquoi tant de vitriol dans les portraits qu’on nous en dresse ?
Ce qu’on ne lui pardonne pas en vérité, c’est de ne pas être du sérail. De ne pas appartenir à la Famille. On n’a jamais vu le bouffon manger dans l’assiette du roi, même s’il
l’a bien amusé auparavant, et c’est parce que Banier n’est qu’un saltimbanque, un histrion, qu’on nous le présente comme un voleur. Comme un vulgaire délinquant. Que je sache, ce ne sont pas des armes ou des lingots d’or qu’il achète avec son argent. Mais des tableaux, des livres ou des œuvres d’art. »
Paul M. referma le recueil de photos de Martin d’Orgeval, puis le rangea dans la bibliothèque, dont il inspecta de nouveau les rayonnages, à la recherche d’un petit volume à la
couverture précieuse, crème et granuleuse, qu’il finit par trouver : Les Plaisirs du roi, de Pierre Bettencourt.
« Dans la famille Bettencourt, c’est celui que je préfère. Il s’agit du frère d’André, feu le mari de Liliane, et c’est bien le seul à susciter ma sympathie. Vous ne l’avez jamais
lu ? »
Sur la reliure coquille d’œuf était dessiné un long phallus surmonté d’une couronne.
« Celui-ci, c’est un éloge de la fessée. L’histoire d’un roi qui aime tellement les fesses des femmes qu’il a exigé de travailler dans une pièce où une centaine de jeunes filles, entièrement dénudées, sont tournées contre les murs. Assis à son bureau, levant de temps à autre les yeux sur les fessiers qui s’offrent à lui, il signe les décrets et les papiers d’État qu’on vient inlassablement lui présenter. Quand il a fini, il se lève et passe en revue les postérieurs qui lui font face, si on peut dire ainsi, s’arrêtant sur certains d’eux qu’il masse avec gourmandise, comme s’il était en train de les modeler. Puis il choisit l’une des femmes qu’il emmène dans un salon voisin, où il la couche sur un sofa avant de longuement et savamment la fesser.
Réjouissant, n’est-ce pas, quand on voit ce qui se passe en ce moment dans cette famille ? »
Véronique Haudebourg