Nous vous avions parlé de Benoît Severac dans un précédent billet. Cet écrivain, prof d’anglais à Toulouse a écrit, notamment deux polars pour les ados. Dans le premier, Silence, le héros Jules devient sourd. Le second, Le garçon de l’intérieur, se déroule un an plus tard, toujours avec le même personnage principal.
Mi-décembre, Benoît Séverac s’est rendu pendant deux heures au centre spécialisé pour déficients auditifs d’Albi. Deux heures de rencontres et d’échanges avec des adolescents qui travaillent sur les aventures de Jules. Une rencontre qui a bouleversé l’écrivain. Interview.
Le monde des sourds ne vous est pas complètement étranger, étiez-vous en terrain connu pour autant?
Non, mais ce monde ne m’est pas familier simplement parce que certains de mes livres en parlent. C’est un univers que mes romans m’ont fait découvrir. Le premier tome, Silence a été écrit sans documentation. Je me le suis autorisé car comme le héros, je découvrais, je pouvais donc me tromper. Mais au fur et à mesure, la surdité a pris le pas sur le reste, ce qui n’était pas prévu.
Avec la suite, Le garçon de l’intérieur, mon personnage a passé un an en CSDA, un centre spécialisé pour déficients auditifs. Là, je ne pouvais pas trahir ce qu’est la surdité, sa réalité. J’ai rencontré un interprète, des parents d’enfants sourds, des sourd eux-mêmes. Cet univers me fascine en tant que linguiste, en plus du handicap et du regard que la société dite normale porte sur ces publics différents. Je suis angliciste et ce que j’aime c’est être à l’étranger. Là, au milieu de sourds, qui sont pourtant français comme moi, je me suis aperçu que j’avais les mêmes sensations. J’étais à l’étranger, parmi des étrangers. Ils le sont d’ailleurs ,dans une certaine mesure, dans leur propre pays. Leur langue, ce n’est pas le français, c’est la langue des signes. Cela a des impacts. Leur culture en matière de cinéma, de radio, d’humour est différente par exemple.
Cette rencontre vous a-t-elle surpris ?
J’y allais pour de l’émotion, je m’attendais à être ému. Ces enfants sont sourds, souvent ils sont souvent en grandes difficultés d’apprentissage, ont du retard scolaire. Et j’en suis ressorti bouleversé. J’ai un blog, et c’est la première fois que j’y parle d’un retour d’expérience.
J’avais de l’appréhension. Allaient-ils valider ce que j’avais écrit dans Le garçon de l’intérieur ? Non seulement ils l’ont fait mais ils sont allés au-delà. Ils m’ont raconté l’empathie qu’ils ont avec Jules, le personnage principal. C’est aussi et peut être surtout leur rapport à la lecture qui est bouleversant. Certains lisent un roman en français pour la première fois. C’est pour eux une langue étrangère et c’est donc très difficile. Ils ont commencé en septembre et en sont à la moitié. Ils sont extrèmement fiers de le faire, on voyait l’émotion dans leurs yeux.
Comment ont-ils travaillé votre livre ?
Ils travaillent avec un binôme de professeurs en français, l’un est sourd, l’autre entendant. Ces personnes font un travail formidable, qui n’a jamais été fait en France. Ils traduisent un roman, le mien, en langue des signes, sous-titré en français. C’est un travail de fou. Voir son propre livre interprété, ça vous remue. Et puis ça ouvre des horizons. J’ai envie de continuer à être en relation avec eux. Nous sommes voisins après tout.
Traduction et sous-titrage du roman de Benoît Severac
Etes-vous dans votre rôle d’auteurs en participant à ces échanges ?
Complètement. En tant qu’auteur, on est entendu de manière particulière. C’est vrai pour beaucoup de publics. Surtout ceux qui ne se confient en général pas beaucoup. On nous parle comme si on était le docteur ou le prêtre. L’écoute, c’est le cœur de notre travail, notre matière première. Avec notre statut d’écrivain, on entre plus facilement en vibration. Ils sont touchants ces ados. Il y a des discours qu’ils n’entendent jamais, sur des pratiques à risques par exemple. Simplement parce que ce n’est pas la priorité. Quand on est une autorité, un parent ou un prof, ce n’est pas pareil. Alors ces échanges, c’est du brassage humain, c’est du bon.
Propos recueillis par Véronique Haudebourg