Quand on me parle de jurés littéraires, je pensais jusqu’à récemment à la cohue médiatique parisienne qui revient chaque année. Une annonce très officielle, en général dans un grand restaurant avec des membres du jury tous plus prestigieux les uns que les autres. Ils ont toujours très bien habillés, et parlent très poliment. Bref un monde qui semble un peu éloigné de mon quotidien. Si j’ai la prétention de parler poliment, j’avoue ne pas être toujours sur mon 31 et plus fréquenter la boucherie et la boulangerie de mon quartier que les tables des grands chefs. Mon entourage comporte peu de célébrités hormis Marie-Sophie Lacarrau que le 13 heures de France 2 nous emprunte de temps en temps.
Aussi, quand j’ai été contactée par les organisateurs de Polars du Sud pour savoir si je je voulais faire partie du jury du prix Violeta Negra, les bras m’en sont (un peu) tombés. D’autant que les « romans noirs ou policiers traduit d’une langue du Sud (espagnol, italien, portugais, grec, turc, arabe…) » … ben… ne sont pas légion sur ma table de nuit vu que j’ai une préférence pour ceux du nord et de l’est de l’Europe (et les Midi-Pyrénéens cela va de soi). Après avoir éliminé la thèse de la mauvaise blague en demandant à mon interlocuteur de répéter, j’ai finalement accepté, me disant que comme première mission d’infiltration, ce n’était pas trop risqué.
Et grand bien m’en a pris. Non seulement, j’ai passé de bons moments, mais en plus, je suis ressortie moins bête, ce qui en général est le signe d’une bonne expérience.
Car pour être juré littéraire, et bien, il faut commencer par lire la sélection. Quand on aime ça, il y a pire comme mission. Six romans donc, dont j’ignorais tout des auteurs et de l’univers. Je ne suis pas une spécialiste de l’Argentine des années 60-70, je n’ai jamais mis les pieds à Cuba, je suis allée à Barcelone mais probablement pas dans les mêmes quartiers que Christina Fallaras, je ne connais aucun flic italien, les seules images que j’ai vu de l’Egypte étaient diffusées à la télévision, et Porto est une ville portugaise certes mais surtout une bonne bouteille à déguster entre amis. Autant vous dire que j’en ai pris plein la tête en découvrant les territoires de la sélection 2014. Six romans, très (très) noirs pour la plupart. Six découvertes. Plus ou moins bonnes.
Restait à choisir un gagnant. Un seul. Avec les autres membres du jury, présidé par Magyd Cherfi himself. Et là, il paraît que je ne suis pas censée vous raconter quoi que ce soit. Vous pardonnerez donc la légitime censure, je n’ai pas envie de finir avec une main coupée, un doigt ou un oeil en moins (ou la bouche cousue ou que sais-je encore) pour avoir rompu l’omerta.
Il y a des choses que je peux dire. Finalement, être juré littéraire pour Polars du sud, ce n’est pas si loin de mon quotidien. On se retrouve devant un coup à boire pour discuter de choses qu’on aime (ou pas). Un peu comme à la maison quoi. Personne sur son 31 et c’est tant mieux. Il y a le retardataire, celle qui jure de « s’attacher à un poteau si ce bouquin-là obtient le prix » , le consensuel, la passionnée, la timide, les habitués. Et personne n’est d’accord comme d’habitude.
Si tout le monde respecte le travail fourni pour pondre un bouquin, en revanche, le langage peut être moins châtié pour en parler. Il y a eu des « je me suis emm… à le lire » , « il avait rien d’autres à écrire ? » , « c’est fade » , « j’ai pas compris en fait » et ça c’est le plus présentable. Mais il y a eu aussi des « quel personnage formidable ! » , « un méchant comme je les aime » , « un livre d’une magnifique poésie » , « une écriture lumineuse » .
J’avoue que je me suis sentie un peu comme la nouvelle élève de la classe qui, en plus ne brille pas dans la matière imposée. Comble du malheur, dans ma fébrilité, j’avais oublié toutes mes notes chez moi. Pour une première, j’aurai pu faire mieux et j’ai donc opté pour des prises de paroles plutôt courtes. Mais une certaine bienveillance étant de règle dans ce jury visiblement, personne ne m’en a tenu rigueur.
Evidemment, tout le monde a fini par se mettre d’accord. Il y a donc un lauréat 2014 du prix Violeta Negra. Ne comptez pas sur moi pour vous donner son nom avant samedi 11 octobre 11h30. Je n’ai pas envie que les organisateurs de Polars du Sud passent un contrat sur ma tête.