Malgré la noirceur (affichée dans le titre de l’ouvrage) des récits de Michel Baglin, il faut tout de même reconnaître que l’on rit beaucoup à la lecture des nouvelles de La part du diable et autres nouvelles noires.
Comptez en moyenne un mort par histoire (mais ce n’est qu’une moyenne), ajoutez au choix : des auteurs de polars qui se détestent, un flic qui rate son coupable, des poivrots, des salauds, des ordures, des policiers compréhensifs, des taulards, des romantiques, des farceurs, des assassins, une tueuse en série, une drôle de sirène, des victimes, des poètes, des traumatisés d’AZF, un empoisonneur, et des braves gens aussi… mélangez bien et vous obtiendrez ce coktail bigarré et étonnant de La part du diable et autres nouvelles noires.
Michel Baglin vit dans la région toulousaine. Ses récits à l’écriture vive et enlevée se déroulent souvent (mais pas toujours) dans ce secteur ou en lien avec son histoire, comme avec le drame d’AZF. Fiction, réalité, les deux se rejoignent furieusement dans cet ouvrage. Oh toutes les nouvelles n’engendrent pas le même degré de plaisir de lecture, question de goûts, mais il faut bien l’avouer, l’ensemble vaut tout de même un bon pesant de cacahouettes. A lire pour rire tout de même (ou malgré), les drames et les désespoirs qu’on vous y raconte. Ca c’est pour une partie du livre. Pour le reste, à déguster pour savourer le talent de Michel Baglin pour raconter des histoires diablement bien ficelées.
La part du diable et autres nouvelles noires c’est aux éditions Le bruit des autres.
Tout allait bien, il avait Monica avec lui. Il tâta la poche de sa parka, machinalement. Un geste qu’il répétait cent fois dans la journée. Monica était bien là, fidèle. Sa seule compagne depuis qu’il avait perdu Raoul. Tout allait bien, se répétait-il. Malgré sa main qui lui faisait mal. Qu’il n’arrêtait pas de masser avec son autre main, et qui lui faisait mal quand même. A cause des os, sans doute. Bon.
Dans le bistrot – les autres, ils disaient : le buffet de la gare ; mais pour lui c’était pareil qu’un troquet, n’importe quel rade – dans le bistrot, donc, il se sentait mieux. Il se rappelait même pas comment il était arrivé là. Quand il avait abandonné la fille, bien sûr… Mais après, qu’est ce qu’il avait bien pu faire ? Marché, oui. Un peu dans les rues, pas mal le long du canal. S’était même assis dans l’herbe, avait sorti Monica pour la porter à ses lèvres. Même que son haleine fumait. Soufflé un peu, joué quoi. Des trucs. Comme avant.
Dans le bistrot, ça allait. Même si l’autre type, à la table d’à côté, le regardait bizarre. Pas vraiment l’air de le voir. Plutôt occupé par des trucs dans sa tête. Lui aussi. Mais quand même. Des yeux qui percent. Et puis qui lorgnaient les gens qui entraient. Et puis qui revenaient s’accrocher à lui. Et puis qui repartaient voir dans sa tête. Des yeux de flics. Bon.
Si ç’avait été Raoul, à sa place, là, dans leur bordel de buffet de gare, comment qu’il l’aurait tamponné le type à la cravatte et aux idées pas claires ! Raoul, il rigolait pas pour les regards. Pas le chercher. On le trouvait à tous les coups. Paf ! Le nez éclaté. Comme l’autre… Bon.
Mais où est-ce qu’il était, Raoul ? Paumé, le con ! Là-bas, au marché-gare où ils étaient allés chercher de quoi croûter, hier. Disparu le Raoul. Même que ça avait gueulé. D’accord, après la gnole du camionneur. Et après avoir un peu fumé le joint… Bon. Mais quand même, on s’évapore pas comme ça !
Après, il se souvenait plsu vraiment. Il avait marché. Longtemps. Avant de revenir en ville. Et il voyait encore les guirlandes, dans la grande avenue. C’était beau. Noël, bordel ! Des illuminations partout ! Comme môme.
Véronique Haudebourg