Jusqu’à présent, Lydie Salvayre l’affirme, elle répugnait à mettre le nez dans les biographies des auteurs qu’elle lisait. Un jour, en panne d’écriture, elle découvre l’étonnante correspondance entre Marina Tsvetaeva et Boris Pasternak. C’est le déclic. Lydie Salvayre va alors déroger à son grand principe. Grand bien lui en a pris.
Elles sont donc sept. Sept folles, sept allumées comme se plaît à les nommer Lydie Salvayre. Sept femmes pour qui « vivre ne suffit pas », qui ne se protègent pas, qui aiment à corps perdu, pour qui écrire est une douleur, une nécessité, une délivrance jamais atteinte. Sept femmes au destin tragique, reconnues aujourd’hui pour la qualité et la beauté de leur oeuvre. Sept femmes dont la vie fut un combat pour écrire, pour exister comme auteur mais aussi tout simplement comme femme. Elle s’appellent Emily Brontë, Marina Tsvetaeva, Virginia Woolf, Colette, Sylvia Plath, Ingeborg Bachmann, Djuna Barnes. Envers et contre tout, elles ont trouvé la force d’écrire, malgré les épreuves et la douleur.
En partageant avec nous sa fascination pour ces auteurs et leurs oeuvres, Lydie Salvayre s’interroge elle même et nous questionne. Comment continuer à vivre avec une telle douleur ? Quel est notre rapport à la folie ? Que signifie vivre et écrire quand on est une femme ? Quelle est l’imbrication entre l’oeuvre et la vie ? Une vie vivante, mais si douloureuse est-elle préférable à une vie plate, sans souffrance et ennuyeuse à mourir ?
Mais plus que tout, Lydie Salvayre nous donne envie de lire ces sept femmes, de les écouter nous murmurer à l’oreille leur douleur, leur combat, leur vie et leur beauté. Et se livre aussi un peu en partageant avec nous les émotions et les questions qu’amènent sa vision de la vie et l’oeuvre de ces sept passionnantes et passionnées allumées.
7 femmes, de Lydie Salvayre aux éditions Perrin
Lydie Salvayre est fille de réfugiés espagnols. Elle a grandi à Auterive près de Toulouse. Sa langue maternelle n’étant pas le français, elle complexe longtemps (et encore un peu) sur les éventuelles fautes de langage qu’elle pouvait faire. Diplômée de littérature espagnole de l’université Toulousaine, elle est aussi psychiatre et a exercé à Aix et en région parisienne. Son premier roman, La Déclaration, est publié aux Editions Julliard en 1989. Son roman La Compagnie des spectres (1997) a reçu le prix Novembre et a été élu meilleur livre de l’année par le magazine Lire. En 2007 paraît Portrait de l’écrivain en animal domestique, suivi par BW en 2009 et Hymne en 2011. Plusieurs textes de Lydie Salvayre ont été adaptés pour le théâtre ou joués sous la forme de concerts-lectures.
- Eux aussi, ils ont aimé 7 femmes
Julie Clarini dans le journal Le Monde
Eleonore Sulster dans le journal suisse Le Temps
La revue Page
François Busnel dans le Grand Entretien sur France Inter
« Sept folles.
Pour qui vivre ne suffit pas. Manger, dormir et coudre des boutons, serait-ce là toute la vie ? se demandent-elles.
Qui suivent aveuglément un appel. Mais de qui, mais de quoi ? s’interroge Woolf.
Sept allumées pour qui écrire est toute la vie. (« Tout, l’écriture exceptée, n’est rien », déclare Tsvetaeva, la plus extrême de toutes.) Si bien que leur existence perd toute assise lorsque, pour des motifs divers, elles ne peuvent s’y vouer.
Sept insensées qui, contre toute sagesse et contre toute raison, disent non à la meute des « loups régents », qu’ils soient politiques, littéraires, ou les deux, et qui l’écrivent à leur façon, les unes en hurlant, en claquant les portes en arrachant les masques, et tant pis si la peau et la chair viennent avec, les autres avec des grâces et des manières très british, mais toutes en écoutant la voix qui leur murmure à l’oreille : un peu plus à gauche, un peu plus à droite, plus haut, plus vite, plus fort, stop, précipiter, ralentir, couper. La voix du rythme. Sans cette voix, elles sont formelles : pas d’écriture et pas d’écrivain. C’est aussi simple et aussi implacable.
Sept imprudentes pour qui écrire ne consiste pas à faire une petite promenade touristique du côté de la littérature et puis, hop, retour à la vraie vie, comme on l’appelle.
Pour qui l’oeuvre n’est pas un supplément d’existence.
Pour qui l’oeuvre est l’existence. Ni plus ni moins. Et qui se jettent dans leur passion sans attendre que le contexte dans lequel elles vivent leur soit moins adverse.
Sept folles, je vous dis.
Car il fallait qu’elles fussent folles ces femmes pour affirmer leur volonté présomptueuse d’écrire dans un milieu littéraire essentiellement gouverné par les hommes. Car il fallait qu’elles fussent folles pour s’écarter aussi résolument, dans leurs romans ou leurs poèmes, de la voie commune, pour creuser d’aussi dangereuses corniches, pour impatienter leur temps ou le devancer comme elles le firent, et endurer en conséquence les blâmes, les réprobations, les excommunications, ou pire, l’ignorance d’une société que, sans le vouloir ou le voulant, elles dérangeaient.
Je relus, il y a un an, tous leurs livres.
Je traversais une période sombre. Le goût d’écrire m’avait quittée. Mais je gardais celui de lire.
Il me fallait de l’air, du vif. Ces lectures me l’apportèrent.
Je vécus avec elles, m’endormis avec elles. Je les rêvais.
Certain jour, un seul vers de Plath suffisait à m’occuper l’esprit. La perfection est atroce, me répétais-je, elle ne peut pas avoir d’enfant. Le lendemain, j’avalais d’un trait les trois cent dix-sept pages du roman de Woolf Orlando, dans un bonheur presque parfait. »
Véronique Boissel-Haudebourg